
L’adoption, ce jeudi, du volet "cybercriminalité" du projet de loi Loppsi 2 a suscité une polémique. Deux articles du texte font l’objet d'une discorde entre défenseurs d'une Toile libertaire d'une part, partisans du filtrage par l’État de l'autre.
Jeudi, le projet de loi Loppsi 2, un vaste chantier de révision des mesures de sécurité intérieure, a vu son volet consacré à la lutte contre la cybercriminalité être entériné par l’Assemblée.
Une adoption parlementaire qui suscite l’inquiétude de nombreux défenseurs des libertés cybernétiques. Sur le banc des accusés, deux des quatre articles de Loppsi 2 portant sur le filtrage des sites pédopornographiques et sur l’usurpation frauduleuse d’identité.
L’alinéa 4 de ce texte impose le blocage des sites web pédopornographiques après demande de l'administration, sous réserve d’un accord du juge. Une mesure qu’avait envisagée l’Allemagne en octobre 2009, avant de se raviser, reconnaissant "que le blocage n'était pas efficace lorsqu'il sert à restreindre l'accès à des contenus d'abus sexuels sur mineurs hébergés en dehors de l'Union européenne".
Effets pervers
Pour la députée UMP de Seine-et-Marne Chantal Brunel, cette prise de position est compréhensible sur le fond, mais ne justifie pas pour autant le choix du gouvernement allemand : "Évidemment que pour régler définitivement le problème, il faudrait aboutir à un accord international. Cet article n’est peut-être pas parfait, mais il a le mérite d’exister. Il faut absolument faire quelque chose ! Il est inacceptable que de telles images soient accessibles sur Internet. Même le fait de passer par l’aval d’un magistrat me paraît aberrant."
Un tel blocage serait toutefois techniquement inopérant, selon Jérémie Zimmermann, co-fondateur et porte-parole de l’organisation La quadrature du Net. "Il a été prouvé, en Allemagne, que ce mode de filtrage était inefficace en comparaison des moyens qu’il nécessitait", explique-t-il. "De toute manière, les personnes qui souhaitent avoir accès à ces contenus utilisent déjà des moyens détournés. Ce mode opératoire permettrait juste d’empêcher que, ‘par hasard’, un internaute tombe sur ce type de données. J’utilise le Web depuis 15 ans, et jamais le hasard ne m’a conduit sur l’une de ces plateformes."
Au-delà de l’aspect purement technique, cette mesure pourrait, toujours selon Jérémie Zimmermann, présenter des effets pervers : "De nombreuses études ont démontré que le risque principal de l’application de ce texte consistait en un surblocage inévitable. Par manque de moyens, les FAI [fournisseurs d'accès à Internet] n’auront d’autre choix que de procéder à des blocages globaux basés sur l’IP d’un serveur, ce qui entraînera des dommages collatéraux considérables. Certains sites, hébergés par ce même serveur, risquent d’être fermés sans aucune raison."
L’"usurpation d’identité numérique" au cœur du débat
Si l’article 4 du projet de loi concentre l’essentiel des critiques, un autre suscite également la polémique. L’article 2, qui incrimine l’"usurpation d’identité numérique", stipule que "le fait de faire usage, de manière réitérée, sur un réseau de communications électroniques, de l’identité d’un tiers ou de données qui lui sont personnelles, en vue de troubler la tranquillité de cette personne ou d’autrui, sera puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende." Le texte ajoute que des peines similaires pourront être encourues dès lors qu’il y aura intention de "porter atteinte à [l’honneur] et à la [considération]" de la victime. Tranquillité, honneur, considération : trois piliers sur lesquels s’appuiera la justice pour statuer.
Pour les détracteurs du projet, le projet de loi adopté en séance est trop vague et pourrait, une fois encore, criminaliser certaines pratiques, pourtant bénignes : "Les députés UMP se sont opposés à tout amendement portant sur la précision des termes employés dans le texte. De fait, si quelqu’un décide d’employer un pseudonyme, par exemple ‘Speedy Sarkozy’, et qu’il défend une position qui ne convient pas au chef de l’État dans un débat cybernétique, rien ne dit clairement qu’il ne tombera pas sous le coup de la loi."
Pour Chantal Brunel, ce tollé ne justifie en aucun cas une remise en cause de la loi Loppsi 2 : "Le texte est peut-être trop vague, je ne suis pas une spécialiste, reconnaît-elle. Je sais en revanche qu’il est essentiel de légiférer dans ce sens. Nous devons profiter de Loppsi 2 pour mettre fin à tout un tas de dérives. C’est le cas de la prolifération des sites de vengeances. Il n’est pas normal qu’un mari abandonné par sa femme ait la possibilité de mettre en ligne des photos intimes de sa conjointe sans que cela soit lourdement sanctionné", conclut-elle.