
La présidente Samia Suluhu Hassan lors de sa cérémonie d'investiture à Dodoma, en Tanzanie, le 3 novembre 2025. © via Reuters
Arborant ses habituelles lunettes de soleil aux verres fumés, le nez rivé sur ses notes, Samia Suluhu Hassan a été investie lundi 3 novembre présidente de la Tanzanie pour la deuxième fois. Dans une cérémonie qui n’était pas ouverte au public, "Mama Samia" – son surnom chez ses soutiens – a prôné "l’unité et la solidarité" devant un parterre de dignitaires et de militaires. Pendant les cinq jours qui ont précédé son élection, des manifestations inédites contre son régime ont bousculé le pays et causé la mort de plusieurs centaines de personnes.
Selon la commission électorale tanzanienne, la présidente sortante de 65 ans a obtenu mercredi dernier près de 98 % des suffrages exprimés, avec un taux de participation affiché de 87 %. Des chiffres dignes d'une dictature qui servent un but précis, selon Dan Paget, professeur de sciences politiques à l’université du Sussex, au Royaume-Uni. "En s’octroyant ces résultats, le régime veut envoyer un message : 'N’essayez pas de nous résister, nous avançons ainsi en plein jour'", estime ce spécialiste de la communication politique des pays d’Afrique de l’Est.
La victoire d’apparence écrasante de Samia Suluhu Hassan n’a pourtant pas tardé à être dénoncée par des observateurs électoraux régionaux pointant l’absence de pluralisme et d'opposition – les deux principaux leaders de l’opposition ayant été pour l'un emprisonné, pour l'autre disqualifié.

"Dans de nombreuses régions, les électeurs n'ont pas pu exercer leur droit de choisir librement et démocratiquement", a dénoncé dans un communiqué le chef de la Mission d'observation électorale de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), Richard Msowoya. L'ONG Amnesty International a quant à elle vivement dénoncé une "vague de terreur" à l'approche des élections, évoquant des "disparitions forcées, des arrestations arbitraires, des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires".
"Écran de fumée"
Fille d’un instituteur et d’une mère au foyer, Samia Suluhu Hassan s’était pourtant taillé une réputation prometteuse à son arrivée au pouvoir.
Née en 1960 à Zanzibar, elle est diplômée d’un master en développement économique communautaire obtenu dans le New Hampshire, aux États-Unis. Elle fait ses premiers pas au sein de l’administration du gouvernement de l’île semi-autonome, où elle gravit les échelons du service public jusqu’à devenir responsable du développement.
Toujours à Zanzibar, elle rejoint ensuite le Programme alimentaire mondial des Nations unies comme cheffe de projet, avant de prendre la tête de l’association des ONG locales, Angoza.
Sa carrière politique ne débute qu’en 2000, lorsqu’elle est nommée au Parlement de Zanzibar par le parti au pouvoir depuis l’indépendance, le Chama cha Mapinduzi (CCM). Elle est ensuite élue à l’Assemblée nationale tanzanienne, où elle poursuit rapidement son ascension et occupe plusieurs portefeuilles ministériels. En 2014, elle devient ministre des Affaires de l’Union sous la présidence de Jakaya Kikwete.
L’année suivante, elle crée la surprise en accédant à la vice-présidence aux côtés de John Magufuli. Considérée comme une technocrate chevronnée, discrète mais tenace, elle se retrouve propulsée à la tête du pays à la mort du président, en mars 2021. Avec sa doctrine des "4R" – réconciliation, résilience, réformes et reconstruction –, elle promet alors d’ouvrir une nouvelle ère dans une Tanzanie longtemps refermée sur elle-même.
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Réessayer
"Elle est arrivée à un moment sombre pour la Tanzanie d’un point de vue démocratique et s’est présentée comme une réformatrice, en commençant par des mesures à la marge", décrypte Dan Paget. Dans ce pays alors marqué par une répression de l'opposition, elle desserre légèrement l’étau sur les médias et permet aux opposants de tenir des meetings politiques.
"Mais la réforme constitutionnelle plus profonde appelée de ses vœux tarde à être enclenchée", poursuit le politologue. "Elle met en place un comité, dit qu’il faut attendre les résultats d’un dialogue institutionnel... Les années passent mais rien ne bouge : on se rend compte que tout cela n’était qu’un écran de fumée."
La dimension ultraprésidentielle du régime reste inchangée. Le gouvernement continue de choisir les juges et les représentants en région, les médias ont des licences à renouveler et sont maintenus sous contrôle, les lois de diffamation et de sédition – utilisées pour mater l’opposition – restent en place et la séparation des pouvoirs n’est toujours pas garantie. C’est ainsi que le principal opposant de Samia Suluhu Hassan, l'avocat Tundu Lissu, du Parti pour la démocratie et le progrès (Chadema), s'est retrouvé inculpé pour "trahison" et "publication de fausses informations" à six mois de la présidentielle, puis libéré. Il a depuis appelé au boycott du scrutin.
Un "pur produit" du parti au pouvoir
"Il faut bien garder à l’esprit que Samia Suluhu Hassan est un pur produit du CCM, le parti qui, sous ses différentes formes, est resté le plus longtemps au pouvoir en Afrique sans discontinuer", remarque Dan Paget. "Elle a évolué pendant des décennies dans ce système partisan et en a grimpé les échelons."
"Il n’est pas sûr que l’opposition aurait gagné [dans d'autres circonstances, NDLR] mais la popularité de la présidente a bien diminué ces deux dernières années", estime quant à lui Nicodemus Minde, chercheur à l’Institute for Security Studies de Nairobi, au Kenya. "Ces mobilisations historiques sont le point culminant de longues périodes durant lesquelles les citoyens tanzaniens n’étaient pas en mesure de s’exprimer librement. Elles montrent aussi un ras-le-bol économique, sur fond de corruption", estime-t-il.
Selon lui, cet immobilisme de la présidente tanzanienne pourrait aussi être la conséquence de luttes internes au sein du CCM. "Il y a une frange conservatrice et une autre plus progressiste : Samia Suluhu Hassan est prise en étau entre les deux", analyse le politologue.
La situation en Tanzanie demeure préoccupante après les violences qui ont éclaté autour des élections du 29 octobre. Les manifestations, organisées dans plusieurs grandes villes du pays, ont donné lieu à des scènes de chaos, alors que des milliers de manifestants exigeaient l'arrêt du comptage des voix.

Dans la capitale économique, Dar es Salam, les stations-service et les magasins sont restés fermés lundi, tandis que la plupart des habitants de la capitale Dodoma ont choisi de rester chez eux. En raison de l'instabilité persistante, le gouvernement a annoncé le report de la réouverture des universités, initialement prévue pour le 3 novembre.
