
Le président français Emmanuel Macron et son épouse Brigitte Macron devant l'Élysée, à Paris, le 8 octobre 2025. © Benoit Tessier, Reuters
C'est une rumeur aussi absurde que tenace. Depuis quatre ans, Brigitte Macron est la cible d'une campagne de désinformation selon laquelle elle serait une femme transgenre née sous le nom de Jean-Michel Trogneux. Une théorie transphobe, née dans les sphères complotistes françaises, qui a rapidement franchi les frontières.
Devant le tribunal correctionnel de Paris, dix personnes ont comparu lundi 27 octobre pour cyberharcèlement à l'encontre de la Première dame. Ce procès, doublé d'une plainte aux États-Unis, intervient après des années d'attaques en ligne et de vidéos virales relayées jusqu'aux sphères trumpistes.
L'affaire remonte à décembre 2021. Sur YouTube, une vidéo de quatre heures montre la "médium" Amandine Roy interviewant Natacha Rey, journaliste autoproclamée. Cette dernière prétend révéler les conclusions d'une enquête de trois ans sur un "mensonge d'État" : selon elle, Brigitte Macron ne serait pas la mère biologique de ses trois enfants et serait en réalité son frère, Jean-Marie Trogneux, qui a changé de sexe. En moins de deux jours, la vidéo cumule des centaines de milliers de vues. La rumeur se propage.
"Aucun élément tangible"
Avant la diffusion de cette vidéo, Natacha Rey avait tenté de convaincre le média d'investigation en ligne Mediapart de publier ses accusations. Refus catégorique. "On n'a aucun élément tangible permettant même de douter", explique le journaliste Antton Rouget à BFMTV. Malgré tout, l'infox prospère, relayée par certains militants des Gilets jaunes, un mouvement avec lequel Natacha Rey entretient des liens.
Deux ans plus tard, la rumeur traverse l'Atlantique. Xavier Poussard, ancien rédacteur en chef du magazine d'extrême droite Faits et Documents, relaie la théorie complotiste auprès de partisans de Donald Trump. L'influenceuse conservatrice Candace Owens s'en empare : "Je suis prête à mettre toute ma réputation professionnelle en jeu pour dire que Brigitte Macron est en réalité un homme", écrit-elle en mars 2024 sur les réseaux sociaux. En janvier 2025, elle connaît un pic de notoriété avec une série de vidéos virales intitulée "Becoming Brigitte" ("Devenir Brigitte"), inspirée du livre de Xavier Poussard avec lequel elle collabore étroitement.
"Il s'agit d'une infox qui possède tous les ingrédients d'une théorie du complot assez efficace", expliquait dès 2024 Maya-Anaïs Yataghène, journaliste à France 24. "Elle touche le sommet de l'État, implique que l'exécutif mentirait aux concitoyens pour cacher une double vie et, enfin, elle est transphobe."
Alessia Tranchese, professeure de linguistique, féminisme et médias numériques à l'université de Portsmouth, replace cette rumeur dans un contexte plus large de ce qu'elle nomme la "guerre contre la vérité". Selon elle, "il s'agit avant tout d'un phénomène politique partisan visant à affaiblir les adversaires et à éroder leur légitimité."
Le plus souvent, les campagnes de fausses informations ciblent les femmes, car "le sexisme, l'âgisme et le racisme trouvent un écho auprès d'une grande partie du public" et peuvent être "utilisés de manière stratégique pour donner du poids à certains discours", poursuit Alessia Tranchese. "C'est une dynamique que nous avons souvent vue exploitée par les membres de la manosphère [communautés en ligne promouvant les croyances, attitudes, comportements et discours antiféministes et sexistes, NDLR] à travers des attaques coordonnées."
"Transvestigation"
Les rumeurs dont Brigitte Macron fait l'objet rappellent d'autres campagnes similaires : l'ex-Première dame des États-Unis Michelle Obama, l'ancienne vice-présidente américaine Kamala Harris et l'ancienne présidente de la Nouvelle-Zélande Jacinda Arden ont toutes été accusées d'être secrètement transgenres. Ces théories du complot "s'inscrivent dans un mouvement appelé 'transvestigation', qui prétend révéler une cabale menée par des personnalités secrètement transgenres pour manipuler la population cisgenre", soulève Sander van der Linden, professeur de psychologie à l'université de Cambridge.
Pour afficher ce contenu YouTube, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixUne extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.
Réessayer
Si Brigitte Macron est devenue la cible idéale, c'est aussi parce que son histoire personnelle alimente la curiosité. L'écart d'âge avec le président et leur rencontre au lycée ont souvent suscité des commentaires malveillants. En ligne, les complotistes n'hésitent pas à détourner cette différence en insinuations sur une prétendue pédophilie.
Face à la persistance des attaques, Brigitte Macron porte plainte en août 2024. La Première dame dénonce alors l'impact néfaste de ces années de rumeurs : "Toutes ces allégations ont un fort retentissement sur mon entourage et moi-même", confie-t-elle lors d'une audition avec la police quelques mois plus tard. "Je n'ai pas effectué un séjour à l'étranger sans que l'on m'en parle. Il n'y a pas un conjoint de chef d'État qui n'est pas au courant."
Preuves "scientifiques"
Le procès ouvert à Paris vise dix personnes âgées de 41 à 65 ans, notamment Natacha Rey, Amandine Roy (désignée sous le nom de Delphine J. devant le tribunal) et Aurélien Poirson-Atlan, l'un des principaux prévenus, connu et suivi sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de "Zoé Sagan". Une autre procédure est en cours aux États-Unis contre Candace Owens. L'avocat du couple présidentiel, Tom Clare, a déclaré qu'Emmanuel et Brigitte Macron étaient prêts à fournir des preuves "scientifiques" lors du procès aux États-Unis afin de prouver que Brigitte Macron était née femme.

Mais cette stratégie n'est pas sans risque, prévient le chercheur Sander van der Linden : "Toute tentative de réfuter une théorie du complot est généralement interprétée [par les adeptes de ces théories] comme une preuve qu'il doit y avoir quelque chose de vrai."
"Quelle que soit la décision du tribunal, elle ne changera probablement pas les convictions de ceux qui sont déjà convaincus par ces théories", ajoute Alessia Tranchese. "Toute décision institutionnelle est considérée comme l'expression de la même autorité 'élitiste' dont il faut se méfier. Même si un test ADN était produit comme preuve, les sceptiques pourraient simplement prétendre que le certificat a été falsifié."
Cependant, les victoires juridiques "pourraient être utiles pour signaler au public et aux auteurs de ces propos qu'il existe des mécanismes de responsabilité et que la diffamation n'est pas une forme de liberté d'expression", conclut Sander van der Linden.
Cet article a été adapté de l'anglais par Barbara Gabel. L'original est à retrouver ici.
