
Les ouvriers travaillant sur le chantier de la Maison Blanche ont achevé de démolir l'aile est du bâtiment, qui sera remplacée par une salle de bal à 300 millions de dollars voulue par Donald Trump. © AP / Studio graphique de France 24
Pour des millions d'Américains, elle représentait le bâtiment le plus familier de la démocratie américaine. Lieu des visites guidées de la Maison Blanche, des bureaux des Premières dames depuis près d'un demi-siècle, la partie orientale de la "Maison du Peuple" a été entièrement détruite jeudi 24 octobre sur ordre de Donald Trump après 123 ans de bons et loyaux services, suscitant l'émoi d'une partie de la classe politique ainsi que des défenseurs du patrimoine.
Le choc est d'autant plus grand à Washington que le président américain avait promis cet été de ne pas toucher au bâtiment. Son projet de salle de bal à 300 millions de dollars ne devait constituer qu'un ajout. Au contraire, non seulement l'aile est a disparu, mais aussi le couloir qui y mène, connu sous le nom de colonnade est.
"Les plans ont changé lorsque le président a entendu les conseils des architectes et des entreprises de construction", a justifié la porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt.

Devant le tollé provoqué par cette destruction express, l'administration Trump a rappelé que le président n'était pas le premier à entreprendre des travaux. Au fil des ans, de nombreux anciens locataires de la Maison Blanche ont effectué des rénovations : Woodrow Wilson a fait disparaître le jardin pour aménager une roseraie, Richard Nixon a détruit la piscine intérieure pour en faire une salle de presse. Plus récemment, Barack Obama a transformé le court de tennis en terrain de basket et a ajouté un potager.
Cependant, le chantier voulu par l'ancien magnat de l'immobilier est de loin le plus important depuis des décennies. Il prévoit un nouveau bâtiment de 8 400 mètres carrés, soit presque deux fois la taille de la Maison Blanche elle-même, pouvant accueillir jusqu'à 1 000 convives. Une transformation majeure rendue nécessaire, font valoir les défenseurs du projet, par l'exigüité de l'actuelle salle de réception. Cette dernière ne pouvant recevoir que 200 personnes ont conduit les récentes administrations à devoir ajouter une tente et des toilettes portatives à l'extérieur lors des dîners officiels.

"Nous reconnaissons l'utilité d'un espace de réunion plus grand, mais nous sommes profondément préoccupés par le fait que la masse et la hauteur du nouveau bâtiment proposé risquent de dominer la Maison Blanche elle-même et de perturber de manière permanente l'équilibre classique soigneusement étudié de la Maison Blanche avec ses deux ailes est et ouest, plus petites et plus basses", s'inquiète dans une lettre Carol Quillen, présidente-directrice générale du National Trust for Historic Preservation, le principal organisme dédié à la protection du patrimoine culturel américain.
Salle de cinéma et bunker souterrain
Construite en 1902 sous l'administration Theodore Roosevelt pour accueillir les invités arrivant en calèche, puis rénové dans les années 1940 sous la présidence de Franklin D. Roosevelt, l'aile est a gagné en importance à mesure que les équipes des Premières dames se sont étoffées pour mener à bien initiatives sociales et culturelles. L'ancienne Première dame Hillary Clinton n'a d'ailleurs pas manqué de fustiger son rival républicain : "Ce n'est pas sa maison. C'est votre maison. Et il est en train de la détruire", a estimé l'ex-candidate à la présidentielle dans un post sur X vu 29 millions de fois.
Le bâtiment abritait aussi les calligraphes chargés de rédiger les invitations pour les dîners officiels. Les visiteurs, au nombre de 6 000 par jour, pouvait également y apercevoir les animaux de compagnie des présidents comme le chat Willow des Biden ou encore Bo, le chien des Obama. Quant à la colonnade est, elle accueillait une salle de projection de 42 places où les présidents pouvaient découvrir en exclusivité des films avant leur sortie ou encore regarder le Super Bowl en compagnie de leur garde rapprochée.

Sous le bâtiment, se trouve un bunker souterrain construit secrètement après l'attaque de Pearl Harbor et l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1941. Connu aujourd'hui sous le nom de Centre présidentiel des opérations d'urgence, il est directement accessible au président depuis l'aile ouest et le Bureau ovale via un réseau de tunnels. Il a été utilisé par des membres du cabinet du président George W. Bush et son vice-président, Dick Cheney, après les attentats du 11 septembre 2001, et par le président Trump lors des manifestations survenues à Washington après la mort de George Floyd en 2020.
Comparée à l'agitation qui règne dans la "West Wing", nom du bâtiment abritant les bureaux du président des États-Unis, l'aile est était réputée pour son calme. "C'était une véritable bouffée d'air frais par rapport à l'aile ouest", confie au New York Times avec une pointe de nostalgie Stephanie Grisham, attachée de presse et cheffe de cabinet de Melania Trump, pendant le premier mandat de son mari. "Je déteste voir toute cette histoire littéralement démolie sous nos yeux".
L'art et la manière
Au-delà des inquiétudes entourant la cohérence architecturale de l'un des plus vieux bâtiments de la capitale, c'est la brutalité de la méthode qui interpelle. Sans aucune consultation, l'administration Trump a décidé de rayer de la carte un morceau de l'histoire des États-Unis.
Un couple de particuliers originaire de l'État de Virginie a déposé jeudi une requête devant un juge de Washington dans l'espoir d'interrompre la démolition, assurant qu'elle est effectuée "sans les autorisations ou les examens requis par la loi".
Contestable sur la forme, la manœuvre n'aurait pourtant rien illégale, affirme la BBC. Si le National Historic Preservation Act oblige les agences fédérales à examiner l'impact de tout projet de construction sur des propriétés historiques, il existe trois exceptions : la Maison Blanche, le Capitole américain et le bâtiment de la Cour suprême des États-Unis.
Cependant, par souci de transparence et au regard la valeur hautement symbolique de la Maison Blanche, les présidents américains successifs ont systématiquement fait valider leurs projets par la Commission nationale d'aménagement de la capitale. Le bulldozer Donald Trump ne s'est pas embarrassé de ces procédures qui peuvent prendre plusieurs années, certains opposants politiques y voyant une allégorie de son deuxième mandat.
"Voici la présidence Trump en une seule photo", a écrit la sénatrice démocrate Elizabeth Warren au-dessus d'une image montrant l'aile est attaquée par les mâchoires des excavatrices. "Illégal, destructeur et inutile".

De son côté, Donald Trump balaye d'un revers de la main ces critiques rappelant que le nouveau bâtiment ne coûtera pas un dollar aux contribuables américains et sera financé exclusivement par ses propres deniers et des dons privés de géants de la tech comme Amazon, Apple, Google et Meta, ainsi que le poids lourd de la défense Lockheed Martin.
Le président américain qui a déjà remodelé le bureau ovale à son image à grand renfort de lustres et de dorures compte sur ce projet pharaonique pour marquer définitivement de son empreinte la capitale américaine. Reste à savoir si le kitsch néo-baroque cher à Donald Trump résistera aussi bien au passage du temps que la sobriété de l'ancienne aile est de la Maison Blanche.
