
Captures d'écran de vidéos de témoignages censées montrer des élections "truquées" lors des législatives moldaves du 28 septembre 2025. Mais les voix de ces vidéos ont très probablement été générées par IA, selon deux experts contactés par notre rédaction. © Les Observateurs
"Quelqu'un détruit les bulletins de vote des partis d'opposition moldaves" : c'est ce qu'affirme sur X le compte News Ivanka Trump (suivi par un million de personnes), du nom de la fille du président américain, dans une publication partagée le jour du scrutin, le 28 septembre.
Pour preuve, le compte relaie une vidéo de 48 secondes censée montrer une personne dans un bureau de vote qui se filme en train de brûler des bulletins au nom d’Alternativa et du Bloc patriotique, les principaux partis d'opposition au parti moldave pro-européen PAS.
Ce compte, souvent épinglé pour avoir partagé de la désinformation pro-russe, est loin d'être le seul à avoir partagé la vidéo : une publication de la vidéo par Ian Miles Cheong, influenceur connu pour ses positions pro-Trump et qui se décrit comme un "chevalier d'Elon" Musk, a par exemple été vue plus de deux millions de fois sur X.
Cette séquence est la plus récente d'une série de vidéos prétendant qu'une fraude électorale a eu lieu lors des élections législatives en Moldavie, finalement remportées par le parti pro-européen PAS de la présidente moldave Maia Sandu.

Le 23 septembre, une autre vidéo a commencé à circuler : on peut y entendre un supposé électeur issu de la diaspora moldave aux États-Unis se plaindre de ne pas voir apparaître les deux principaux partis d'opposition sur la liste des bulletins de vote, dont Alternativa.
Sur X, la vidéo a cumulé plusieurs millions de vues après son partage par plusieurs comptes en ligne, comme le compte pro-russe Truth_Teller, qui dénonce des "élections truquées".
Au même moment, une autre vidéo reprenant le même argumentaire en montrant le même bulletin de vote – sans la mention des deux partis d'opposition prorusses –, a également commencé à circuler.
Des audios probablement générées par IA
Notre rédaction n'a détecté aucun indice visuel permettant de déceler une mise en scène, mais l'analyse sonore de ces trois vidéos incite à douter fortement de leur authenticité.
S'il est nécessaire d'être prudent avec les résultats produits par les outils de détection de génération par IA, qui peuvent produire des faux positifs comme négatifs, les concepteurs de ces détecteurs affirment, dans l’ensemble, que les voix off qu'on entend dans ces vidéos sont très probablement générées par des intelligences artificielles.
L’outil de détection Hiya, disponible sur la plateforme gratuite InVID-WeVerify, estime que la voix de la personne brûlant des bulletins de vote a "très probablement" été générée par intelligence artificielle, affichant un taux de détection de 95 %. "Hiya détecte si une voix est humaine ou synthétique", précise Denis Teyssou, responsable éditorial du Medialab de l'AFP à l'origine de la plateforme InVID-WeVerify. "Le simple fait que plusieurs fragments sont détectés comme étant synthétiques suffit à prouver que ces fichiers ne sont pas authentiques et ont été manipulés", précise-t-il, concluant qu'il y a "clairement une détection" de voix générée par IA.

Le taux de détection moyen des deux autres vidéos est de plus de 60 %, indiquant que plus de la moitié du son a été généré par IA. "Un score global de 60 % est ici suffisant pour prouver la manipulation", estime Denis Teyssou. "Certains passages sont moins détectés à cause de bruitages, de silences ou autres bruits parasites, mais si ces voix étaient humaines, il n'y aurait aucune trace de voix synthétique."

Les outils de l’entreprise française Whispeak, qui compte parmi les leaders de la détection de parole générée par intelligence artificielle, ont également détecté de fortes probabilités de génération par IA pour ces trois vidéos. "Même si l’outil seul ne permet pas de conclure de manière définitive, on observe tout de même un premier faisceau d’indices allant plutôt dans le sens d’audios contenant des voix artificielles", décrit l'entreprise, qui précise qu'"aucun des audios ['a été] identifié comme 'hautement probable authentique'".
Des vidéos relayées par des comptes identifiés de désinformation russe
Certaines de ces vidéos ont également été identifiées par plusieurs observateurs comme étant des contenus issus de l'opération de désinformation Storm-1516. Le mode opératoire de ce réseau de désinformation est désormais connu, entre la diffusion d'intox anti-européennes via de fausses vidéos régulièrement produites par intelligence artificielle et leur diffusion via un réseau identifié de comptes sur X, comme l'a par exemple décrit le service français de protection contre les ingérences numériques étrangères Viginum dans un rapport publié en mai 2025.
Ces dernières semaines, la présidente moldave Maia Sandu a été visée à plusieurs reprises par des fausses informations émanant de ce réseau de désinformation, comme l'a documenté l'entreprise de veille sur la désinformation NewsGuard dans un rapport publié deux jours avant l'élection. NewsGuard indique qu'une des deux vidéos mettant en scène la destruction de bulletins de vote pour nuire aux partis d'opposition faisait bien partie de cette opération de désinformation.
Les trois vidéos ont également été diffusées par des relais identifiés de désinformation liés à l'opération russe Storm-1516. C'est notamment le cas du compte sur X Johnny Midnight, régulièrement épinglé pour être l'un des principaux relais de ce réseau (voir ici, ici ou encore ici). Ce dernier a publié sur son compte deux des trois vidéos (ici et ici).
Il avait par ailleurs publié le 24 septembre une autre intox liée à l'opération Storm-1516, qui soutenait qu'un accord avait été passé par la Moldavie avec la France pour accueillir des milliers de tonnes de déchets toxiques. Une source gouvernementale française avait déclaré à l'AFP que cette intox, qui cochait toutes les cases du mode opératoire traditionnel de Storm-1516, provenait bien de cette opération.
Forte ingérence russe sur les élections législatives moldaves
Si le parti pro-européen PAS a finalement emporté l'élection, obtenant la majorité des sièges à l'Assemblée, les autorités moldaves ont dénoncé ces derniers mois de nombreuses opérations de désinformation contre le pays. Le scrutin a en effet été assombri par les craintes d'achats de voix et de troubles, ainsi que par une "campagne de désinformation sans précédent" menée par la Russie, selon l'Union européenne.
De son côté, Moscou a démenti ces allégations et accusé les autorités moldaves d'avoir entravé le processus de vote.
Le service de cybersécurité moldave a déclaré dimanche avoir détecté plusieurs tentatives d'attaques sur l'infrastructure électorale, "neutralisées en temps réel".
Après avoir voté à Chisinau, Maia Sandu a mis en garde contre "l'ingérence massive de la Russie", affirmant aux journalistes que son pays, voisin de l'Ukraine en guerre, était "en danger".