
Alexandre Lapine, décoré "héros de la guerre" en 2022, a été démis de toutes ses fonctions militaires. via REUTERS - Gavriil Grigorov
De "héros de guerre" à "bon à rien", responsable de tous les malheurs militaires russes ou presque. Le colonel général Alexandre Lapine a été privé de toutes ses fonctions militaires et renvoyé à la vie civile dans la région du Tatarstan, ont rapporté plusieurs médias russes, dimanche 21 septembre.
Le Kremlin n’a pas officiellement confirmé la fin de carrière militaire de ce général de 61 ans, qui a été en première ligne sur les principaux fronts russes ces dernières décennies. Mais les influents sites d’information Gazeta.ru et RBC ont affirmé qu’Alexandre Lapine allait être nommé "assistant" du gouverneur du Tatarstan, sa région natale.
Ex-star de l’armée
Le Kremlin avait même déjà décidé dès le mois d'août du nom de son remplaçant à la tête du district militaire de Léningrad, le général Yevgeny Nikiforov, d’après ces médias.
"Le sort réservé à Alexandre Lapine est très inhabituel", assure Jeff Hawn, spécialiste des questions de sécurité en Russie à la London School of Economics. "Le Kremlin va, le plus souvent, permettre aux généraux dont il veut se débarrasser de prendre leur retraite ou alors, les autorités vont trouver une raison de les traîner en justice. Là, c’est un étrange entre-deux", renchérit Jenny Mathers, spécialiste de la Russie à l’université d’Aberystwyth (Pays de Galles).
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Le Kremlin a frappé d’une sorte de mort militaire ce général, qui avait été décoré "héros de la Russie" par le président Vladimir Poutine en juillet 2022.
C’était quelques mois seulement après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par les forces russes. Alexandre Lapine avait été nommé à la tête du groupe "Centre" de l’armée d’invasion qui avait la charge de prendre Kiev.
Sur le papier, ce général apparaissait comme un choix naturel pour devenir l’un des hommes forts de la guerre d’invasion en Ukraine. Il avait dirigé de 2017 à 2019 le district militaire central – le plus important de Russie qui couvre plus de 40 % du territoire national – et avait également été à la tête du détachement russe en Syrie entre octobre 2018 et janvier 2019. En 2017, il avait déjà été le chef d’État major des forces armées en Syrie.
Des ratés et des casseroles
Alexandre Lapine coche aussi les cases de la réussite sociale grâce à l’armée. Un modèle d’ascension activement promu par le Kremlin. Né dans une famille pauvre de Kazan, capitale du Tatarstan, il est devenu soldat à 18 ans et a ensuite gravi les échelons de la machine militaire russes.
Mais à partir de l’été 2022, les nuages commencent à s’amonceler à l’horizon militaire de cette figure centrale de l’effort russe de soumettre l’Ukraine. Peu après avoir été décoré par Vladimir Poutine, Alexandre Lapine est ainsi contraint au repli face à la contre-offensive ukrainienne de l’automne 2022.
Il n’est pas le seul commandant russe à avoir été pris par surprise par la résilience ukrainienne. Ce général apparaît alors moins comme un "héros militaire" que comme "l’archétype de l’officier russe, pas particulièrement incompétent, mais qui, face à une résistance surprise, ne fait pas preuve de beaucoup d’esprit d’initiative ou de vivacité", estime Jeff Hawn.
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Alexandre Lapine a, cependant, le malheur de se retrouver dans le collimateur de deux chefs de guerre particulièrement influents à cette époque : le leader tchétchène Ramzan Kadyrov et Evguéni Prigojine, l’omniprésent patron du groupe Wagner.
"C’est le général bon-à-rien", affirme Ramzan Kadyrov qui l’accuse d’être introuvable sur le champ de bataille et d’être responsable de l’un des plus importants revers du début de la guerre en Ukraine : la retraite russe de Kharkiv en septembre 2022. Peu après, Evguéni Prigojine a surenchéri, assurant qu’il fallait "se débarrasser des oisifs, et Ramzan [Kadyrov] sait de qui je parle".
L’incarnation de l’incompétence ? "C’est sûr qu’il est principalement associé à tout ce qui a mal tourné pour l’armée russe", reconnaît Jenny Mathers. Après l’échec de la prise de Kiev en début de guerre, Alexandre Lapine a aussi été critiqué pour avoir échoué à prendre l’initiative dans la région de Donetsk.
Mais surtout, "il était chargé de la protection de la région russe de Koursk au moment où l’armée ukrainienne a réussi à y opérer sa percée surprise en août 2024", souligne Jenny Mathers. Le général venait de redéployer des troupes présentes à Koursk vers la région de Kharkiv où l’armée russe tentait de faire une percée depuis le printemps.
Le bon bouc émissaire
Avant d’être renvoyé à la vie civile, Alexandre Lapine avait déjà perdu le commandement du très stratégique groupe "Centre" de l’armée d’invasion. Il avait cependant obtenu comme lot de consolation en mars 2024 le district militaire de Léningrad où il est censé "défendre la Russie contre la menace de l’Otan".
Les détracteurs d’Alexandre Lapine n’ont alors pas tardé à ressortir une autre de ses casseroles. Il a été accusé par le site d’investigation Bellingcat comme étant impliqué dans le tir d’un missile soupçonné d’avoir abattu l’avion du vol MH17 de la Malaysia Airlines en juillet 2014. En effet, le tir a été effectué par une brigade appartenant à la 20e armée dirigée à l’époque par Alexandre Lapine, assure Bellingcat.
Un tableau d’honneur certes peu reluisant. Mais pour les échecs sur le front ukrainien "il est souvent envoyé pour gérer les défaites", assure Jeff Hawn. Ainsi, à Kharkiv par exemple, Alexandre Lapine doit défendre les positions russes, alors que le rapport de force est déjà en faveur de l’Ukraine. Quant à l’invasion de la région de Koursk, "aucun général, y compris à l’état major, n’aurait pu prévoir que les Ukrainiens allaient oser attaquer sur le sol russe. Alexandre Lapine a d’ailleurs reçu des instructions directes de sa hiérarchie de redéployer des troupes [vers la région de Kharkiv, NDLR]", assure le site Novaya Gazeta en citant des sources anonymes au sein du ministère de la Défense.
Mais c’est précisément à ça que sert Alexandre Lapine. "Il est transformé en bouc émissaire pour protéger les échelons supérieurs de l’armée", assure Jeff Hawn. "Les autorités russes adorent faire porter autant que possible le chapeau à un individu pour cacher les problèmes plus structurels", note Jenny Mathers.
Pour elle, c’est la raison pour laquelle la sanction contre ce "héros de la Russie" n’a pas été plus sévère. "Il faut s’en débarrasser sans pour autant que cela fasse trop de bruit. L’idée est de pouvoir dire qu’on a identifié le coupable, qu’il était incompétent, mais que tout va bien dans l’armée. Si on l’avait traîné en justice, cela aurait pu laisser entendre qu’il y avait un dysfonctionnement plus profond", conclut Jenny Mathers.