À la suite d'une plainte déposée par six familles de victimes de l'attentat de Karachi en 2002, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire visant notamment le financement de la campagne électorale d'Édouard Balladur en 1995.
AFP - Soupçons de corruption liée au financement illicite de la campagne d'Edouard Balladur en 1995, entrave à la justice: des policiers financiers vont enquêter en marge des investigations antiterroristes sur l'attentat de Karachi en 2002 contre des salariés de la DCN.
Le parquet de Paris a ouvert début février une enquête préliminaire à la suite d'une plainte déposée mi-décembre par six familles de victimes de l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi, la capitale économique du Pakistan. Cette attaque avait fait 14 morts, dont 11 salariés de la Direction des constructions navales (DCN) travaillant à la construction de sous-marins vendus par la France au Pakistan.
Cette enquête, conduite par le parquet, a été confiée aux policiers de la Division nationale des investigations financières (Dnif), a-t-on précisé de source judiciaire. Elle constitue une "première victoire pour les familles", s'est réjoui Olivier Morice, avocat des parties civiles.
L'enquête menée par les juges antiterroristes a longtemps privilégié la piste Al-Qaïda, mais les magistrats l'ont réorientée vers l'hypothèse de représailles pakistanaises après l'arrêt des versements de commissions versées sur la vente de sous-marins au Pakistan décidé par Jacques Chirac après son élection en 1995.
Selon des rapports baptisés Nautilus --établis à la demande de la DCN dès 2002 mais versés au dossier fin 2008-- ces commissions pourraient avoir donné lieu à des rétro-commissions illégales pour financer l'activité politique de l'ancien Premier ministre Edouard Balladur, et notamment sa campagne présidentielle en 1995.
La plainte des familles pour corruption vise ainsi l'Association pour la réforme, le club politique présidé par M. Balladur.
Les familles considèrent qu'elles ont "été trompées par l'Etat français et par plusieurs dirigeants politiques français et pakistanais de premier plan, que leurs proches ont été exposés et tués à la suite d'une sordide affaire de financement politique illicite".
Sont également visées plusieurs sociétés off-shore (Heine, Eurolux, Mercor Finance) ainsi que la Sofema --un office d'exportation d'armement dont l'Etat est actionnaire-- par lesquelles transitaient les commissions.
Le nom de Heine est apparu dans une enquête préliminaire antérieure à l'information judiciaire visant la DCN et menée par la Dnif en 2007: les policiers avaient trouvé à la DCN une note mentionnant l'aval pour la création de cette société du directeur de cabinet de M. Balladur à Matignon, Nicolas Bazire, et celui du ministre du Budget d'alors, Nicolas Sarkozy.
Elle laissait "supposer des relations ambiguës avec les autorités politiques en faisant référence au financement de la campagne électorale de M. Balladur", estimaient les policiers.
Le parquet de Paris n'avait à l'époque pas donné suite.
Faute d'ouvrir une enquête préliminaire, le parquet laissait ouverte la voie à une nouvelle plainte avec constitution de partie civile entraînant l'ouverture d'une enquête confiée à un juge d'instruction.
L'enquête préliminaire devra notamment établir si l'infraction constituée par ces éventuelles rétro-commissions dénoncées dans la plainte est prescrite ou pas. Elle peut déboucher sur un classement sans suite ou un procès.
Elle devra également déterminer si les dirigeants de la DCN, qui ont gardé pour eux pendant six ans les rapports Nautilus, ont commis le délit d'entrave à la justice visé dans la plainte.
Les plaignants dénoncent également le "faux témoignage" livré selon eux devant les juges antiterroristes par le dirigeant d'Heine, Jean-Marie Boivin, et une "tentative d'extorsion en bande organisée" de la part des dirigeants des sociétés off-shore.