logo

"Immortalité", "antivieillissement" : quand Poutine livre ses idées fixes à Xi Jinping
La discussion captée mercredi entre le président chinois Xi Jinping et son homologue russe Vladimir Poutine porte sur une obsession du maître du Kremlin, la prolongation de la vie. Au point de faire des recherches sur les "technologies antivieillissement" une priorité nationale.
Lors d'un échange avec le président chinois Xi Jinping – capté par un micro resté ouvert –, Vladimir Poutine a évoqué des sujets comme l'immortalité et la jeunesse retrouvée grâce au don d'organes. © Alexander Kazakov, AFP

Il n’est certes pas forcément étonnant que deux dirigeants vieillissants – 73 ans pour Vladimir Poutine et 72 pour Xi Jinping – évoquent le poids du temps qui passe dans des échanges censés être privés.

Mais la discussion entre le président russe et son homologue chinois sur "l’immortalité" et la "greffe d’organes" – captée mercredi 3 septembre – a connu un retentissement médiatique inattendu en raison d'un micro de la télévision chinoise resté ouvert. Et s'il ne s'agissait pas de simples lubies d'autocrates désireux de s’accrocher coûte que coûte au pouvoir ?

Idées fixes de Vladimir Poutine

Lors de cet entretien, Xi Jinping semble avoir été le premier à s’aventurer sur le terrain de la longévité, faisant remarquer à son homologue russe que "par le passé, les gens ne dépassaient que rarement les 70 ans. Aujourd’hui, à cet âge, on est considéré comme un enfant !" Vladimir Poutine assure alors à son hôte que les "biotechnologies de greffes d’organes" allaient permettre de "rajeunir", voire d’atteindre "l’immortalité".

Des affirmations qui pourraient émaner d’un magnat de la Silicon Valley, haut lieu de la tech américaine et de l’obsession pour le vieillissement et l’immortalité.

Vladimir Poutine partage ses idées fixes avec les rois de la tech. "Il prend sa santé très au sérieux. On dit que ses médecins personnels l’accompagnent pour la plupart de ses rendez-vous et déplacements et qu’un hôpital en Russie est spécialement aménagé pour pouvoir accueillir le président russe à n’importe quel moment", explique Stephen Hall, spécialiste la politique russe à l’université de Bath.

En Russie, la propagande officielle ne tarit pas d’éloges sur la santé "exceptionnelle" et la longévité du maître du Kremlin. "Il est présenté comme un accro au travail qui ne dort presque jamais et se maintient parfaitement en forme afin de pouvoir enchaîner les réunions de travail et œuvrer sans discontinuer à la protection de la Russie", résume Stephen Hall.

Comme dans la plupart des régimes autoritaires, la survie du pays est présentée comme intimement liée à la survie du dirigeant. "La Russie est un régime unipersonnel où tout dépend du président et il est donc normal que sa longévité soit un sujet central", poursuit Stephen Hall. "Vladimir Poutine s’est probablement convaincu lui-même d’être une sorte de figure messianique pour le pays et qu’il se doit donc de rester en forme aussi longtemps que possible pour continuer à guider le pays", ajoute Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics.

Programme pour combattre le vieillissement

Si d’autres autocrates ont probablement une conception similaire d’un exercice à rallonge du pouvoir, la Russie pousse cette logique très loin. En 2024, Vladimir Poutine a fixé comme priorité scientifique la recherche sur les "technologies antivieillissement", avait écrit le média russe indépendant Meduza en septembre dernier dans le cadre d’une enquête menée avec Systema, la cellule investigation en russe de Radio Free Europe.

Présenté officiellement comme un programme visant à améliorer la longévité de tous les Russes, ce plan prévoit "d’investir notamment dans les technologies pour empêcher le vieillissement des cellules, dans les neurosciences et les autres innovations favorisant la longévité", avait souligné en février 2024 la vice-Première ministre russe Tatiana Golikova, lors de la clôture d’une exposition à Moscou consacrée aux réalisations de Vladimir Poutine.

Ce plan insiste également sur l’importance de développer les technologies d’impression en 3D d’organes afin de faciliter les transplantations. Il n’est donc pas étonnant que Vladimir Poutine ait glissé ce sujet dans sa conversation avec Xi Jinping.

Pour afficher ce contenu YouTube, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Une extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.

Réessayer
"Immortalité", "antivieillissement" : quand Poutine livre ses idées fixes à Xi Jinping
© France 24
01:27

Les experts et médecins contactés par Meduza et Systema ont été, pour la plupart, pris de court par ce plan. Ils estiment que mettre l’accent sur la recherche pour améliorer la qualité et la durée de vie des plus âgés n’est peut être pas la priorité en temps de guerre, souligne Meduza. Pour l’un des interlocuteurs de ces médias russes, c’est clairement un plan voulu et pensé pour le petit cercle vieillissant au pouvoir.

Une obsession très politique

Le grand promoteur de ce programme, Mikhaïl Kovaltchouk, est d’ailleurs un "ami proche" de Vladimir Poutine, souligne le média russe indépendant Novaya Gazeta. Le président russe a fait de ce physicien l’un des scientifiques les plus influents du pays, nonobstant son obsession pour les théories du complot. Mikhaïl Kovaltchouk promeut aussi l’idée que la technologie permettra à l’humanité d’atteindre l’immortalité et, cerise sur le gâteau, il collabore avec Maria Vorontsova, la fille aînée de Vladimir Poutine, qui est endocrinologue.

"Ce genre de plan extravagant revient à intervalles réguliers. En 2012, par exemple, Dmitri Medvedev avait ainsi promu des recherches pour développer la cryogénie afin, notamment, de conserver Vladimir Poutine", note Jeff Hawn.

L’obsession poutinienne pour tout ce qui pourrait prolonger sa vie est aussi très politique. "C’est lié à son incapacité à trouver un éventuel successeur", assure Stephen Hall. Pour cet expert, "il n’a aucune confiance dans la jeune génération" et préfère miser sur des technologies qui pourraient maintenir la vieille garde en poste aussi longtemps que possible.

"Parler d’immortalité et de sa bonne santé lui permet de dire qu’il n’y a aucune raison d’évoquer le sujet de sa succession. C’est un vrai problème politique pour la Russie, car la réalité est qu’il vieillit et que s’il doit quitter son poste, il y aura une vacance du pouvoir car rien n’est prévu", confirme Jeff Hawn.

Et puis c’est aussi un vrai coût pour la société russe. "Ces plans et programmes de recherche qui n’aboutissent à rien de concret profitent à des individus qui savent exploiter cette idée fixe de Vladimir Poutine", estime Jeff Hawn. Mikhaïl Kovaltchouk a ainsi "des liens étroits avec le géant russe de l’énergie atomique Rosatom qui supervise toutes les activités d’impression 3D d’organes en Russie", souligne Meduza. Et Dmitri Medvedev a été, en 2012, le cofondateur de l’une des principales start-up russes de cryogénie. "C’est un véritable gâchis de ressources", regrette Jeff Hawn.

Un héritage du cosmisme russe ?

La confiance de Vladimir Poutine dans la technologie comme remède au temps qui passe "est en phase avec le credo hérité de l’époque soviétique selon lequel la technologie peut résoudre tous les problèmes", affirme Jeff Hawn.

Mais c’est surtout le prolongement à des fins de préservation du pouvoir d’un courant de pensée russe de la fin du XIXe siècle : le cosmisme. Cette philosophie, empreinte d’éléments ésotériques, estime qu’à travers le progrès technologique, l’humanité pourra conquérir le cosmos et se débarrasser de sa propre mortalité.

Le cosmisme a été rayé des courants de pensée acceptables durant la période soviétique, mais il est resté très influent auprès des pères du programme spatial de l’URSS, souligne le quotidien espagnol El Pais.

Vladimir Poutine a rendu hommage en 2007 à Konstantin Tsiolkovsky, pionnier de l’exploration spatiale russe et figure importante du cosmisme au début du XXe siècle. De l’autre côté de l’Atlantique, l'idée de voir l'humain réussir à dépasser sa date de péremption naturelle a de fervents adeptes. À commencer par Elon Musk, qui a cité cité Konstantin Tsiolkovsky comme une influence majeure.