
Le missile à longue portée "Flamingo" a été utilisé pour la première fois par l'Ukraine contre une cible russe en Crimée AFP - HANDOUT
Le flamant rose a frappé. L’Ukraine a utilisé pour la première fois son missile à longue portée fait maison, le FP-5 surnommé "Flamingo", pour frapper une cible en Crimée, ont rapporté plusieurs médias ukrainiens, dimanche 31 août.
Une salve de trois Flamingo aurait atteint et partiellement détruit un bâtiment utilisé par le FSB, le service de renseignement russe, sur la péninsule que la Russie a annexée de force en 2014. Ils auraient endommagé plusieurs aéroglisseurs utilisés par les services russes de renseignement pour patrouiller en mer Noire, d’après l’agence de presse ukrainienne RBC-Ukraine.
Jusqu'à 3 000 kilomètres
Des observateurs du conflit en Ukraine ont identifié des missiles FP-5 sur les vidéos des frappes ayant circulé sur les réseaux sociaux, mais les autorités ukrainiennes n’ont pas confirmé officiellement avoir eu recours à cette toute nouvelle arme dévoilée en août.

Ces nouvelles armes sont censées pouvoir frapper n'importe quelle cible dans un rayon de 3 000 km, soit au-delà de l'Oural en Russie. Le choix de la Crimée pour la première démonstration de ces capacités destructrices peut surprendre. La cible, située dans un village à la frontière nord de la Crimée, se trouve à près de 400 km seulement de la région d’Odessa, d’où les Ukrainiens sont censés avoir tiré les Flamingo. Autrement dit, "c’est à portée des missiles Scalp, fournis par le Royaume-Uni et la France à l’Ukraine, ou même des missiles à moyenne portée Neptune, fabriqués en Ukraine", assure Huseyn Aliyev, spécialiste de la guerre en Ukraine à l’université de Glasgow.
Pourquoi, alors que l’Ukraine vient à peine de commencer la fabrication de ces armements, en gâcher pour frapper en Crimée ? "Les Ukrainiens voulaient être aussi sûrs que possible de toucher leur cible, et pour ce faire, le plus efficace était de lancer les Flamingo en parallèle avec d’autres missiles et drones dont la mission consistait à distraire les défenses aériennes russes. Il fallait donc des cibles à portée de ces autres armes", explique Huseyn Aliyev.
De cette manière, "l’armée ukrainienne pouvait constater si ces missiles fonctionnaient comme prévu", ajoute Fabian Hoffmann, spécialiste des missiles à l’université d’Oslo. Une sorte de test pour le fabricant Fire Point, qui assure actuellement construire un missile Flamingo par jour et viser une capacité de production annuelle de 2 500 Flamingo à partir de 2026.
Une relative modestie technologique
À ce titre, les autorités ukrainiennes ont dû être soulagées. "Du point de vue de Kiev, c’est un succès", estime Huseyn Aliyev.
L’Ukraine mise beaucoup sur ces systèmes d’armement. Les autorités ont orchestré une vaste opération de communication autour des FP-5 mi-août lorsque l’existence de ces missiles a été rendue publique. À commencer par toute la mythologie autour du nom qui serait dû à une erreur de fabrication ayant eu pour résultat que les premiers prototypes étaient en partie roses.
Mais pour l’armée, ce qui importe dans le cas des FP-5, c’est que l’Ukraine "ne disposait jusqu’à présent de rien de similaire", note Fabian Hoffmann. Les missiles fournis par l’Europe ou les Atacms américains ont une portée bien plus courte et misent davantage sur la précision de frappe que sur la charge explosive qu’ils peuvent transporter.
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Accepter Gérer mes choixLes Atacms transportent, par exemple, des bombes d’un poids allant jusqu’à un peu plus de 500 kg, alors que le Flamingo ukrainien peut transporter des ogives de 1 150 kg. "Ce sont des engins massifs qui peuvent aller plus loin et transporter davantage d’explosifs que la plupart des autres systèmes de missiles dans le monde", résume Huseyn Aliyev.
Revers de la médaille. Leur taille et poids les condamnent à une certaine lenteur - environ 1 000 km/h d’après le constructeur -, "même s’ils restent une solution plus rapide que les autres systèmes à longue distance de l’arsenal ukrainien [essentiellement certains drones, NDLR]", écrit Fabian Hoffmann dans une analyse détaillée qu’il a fourni sur les capacités de ces Flamingo.
Ces missiles ne sont pas non plus bardés de technologie de pointe, comme les solutions occidentales ou même le missile à moyenne portée ukrainien Neptune. Le FP-5 sera probablement moins précis et plus susceptible d’être vulnérable à certaines mesures défensives comme le brouillage du système GPS embarqué.
Cette relative modestie technologique fait du Flamingo une "arme plus facile et moins chère à produire que, par exemple, le Neptune ukrainien", assure Huseyn Aliyev. "Ce ne sont pas les mêmes logiques. Le Neptune, conçu avant la guerre d’invasion, a bénéficié de matériaux et d’options plus avancées lui permettant, par exemple, d’être plus furtif. Mais c’était surtout une arme produite pour être exportée", ajoute cet expert.
Le défi de la fabrication en série à grande échelle
Le nouveau venu dans l’arsenal balistique ukrainien a été pensé pour les besoins immédiats de la guerre contre la Russie. Sa portée et sa charge explosive sont censées "permettre à l’Ukraine de frapper si nécessaire les installations militaires que la Russie repousse toujours davantage vers l’est, afin de se mettre à l’abri des missiles à moins longue portée", explique Huseyn Aliyev.
En outre, dans le contexte actuel, "les défenses anti-aériennes russes ont déjà du mal à couvrir l’essentiel du territoire national et ça ne va pas aller en s’améliorant", assure Fabian Hoffmann. La guerre d’attrition en cours draine également les ressources russes pour protéger ses sites contre les frappes ukrainiennes sur le territoire russe. Et puis, l’arrivée de missiles pouvant voler sur 3 000 km ne signifie pas que la Russie va simplement reculer ses défenses. Il faut ajouter une nouvelle ligne de défense anti-aérienne, expliquent les experts interrogés.
Mais les Flamingo ne seront vraiment utiles "que si l’Ukraine réussit à les produire en série à grande échelle", estime Huseyn Aliyev. D’où l’objectif d’en fabriquer 2 500 par an affiché par Fire Point. "Le principal défi pour y arriver réside dans le turboréacteur à double flux. C’est le moteur du missile, et il n’est pas évident que l’entreprise ukrainienne qui le fabrique - Motor Sich - sera capable d’augmenter sa production pour répondre à ces objectifs", explique Fabian Hoffmann.
Si l’Ukraine y parvient, le Flamingo pourrait changer la donne de la guerre. D’abord à court terme en réduisant la dépendance ukrainienne aux livraisons d’armes occidentales, soumises aux caprices de dirigeants comme Donald Trump. Mais aussi à plus long terme. Disposer d'un stock conséquent de tels missiles représente "la meilleure solution possible à disposition de l’Ukraine pour dissuader toute velléité future d’agression russe sans dépendre d'un autre pays", conclut Fabian Hoffmann.