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La France rend à Madagascar les crânes sakalava, première application de la loi de 2023
La France restitue mardi à Madagascar trois crânes dont celui présumé du roi Toera, décapité par les troupes coloniales françaises en 1897. Première application de la loi française sur la restitution de restes humains, elle marque une étape inédite dans l’apaisement des mémoires, et pourrait annoncer une série de restitutions à venir, réclamées par d’autres pays marqués par la colonisation.
Un tombeau sakalava, à Madagascar. © Creative Commons

Arrachés à leur terre il y a 128 ans et collectés tels des trophées, ils étaient, depuis, conservés au musée de l’Homme, à Paris, en compagnie de plusieurs centaines d'ossements humains malgaches.

Trois crânes sakalava – un groupe ethnique de Madagascar qui occupe la majeure partie de la frange côtière occidentale de l'île – doivent être restitués, mardi 26 août, par la France.

Un événement attendu depuis plus de vingt ans, qui constitue la première application concrète de la loi française de 2023 relative à la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques.

"Faire le deuil"

C'est l'un des épisodes les plus douloureux de la conquête coloniale française de Madagascar. En 1897, lors du massacre d’Ambiky, le roi Toera, dernier souverain du royaume sakalava du Menabe, est exécuté et décapité par les troupes coloniales françaises, malgré sa reddition.

Son crâne présumé figure parmi les trois reliques qui seront restituées à Madagascar. Il avait fait l'objet d'une première demande de restitution adressée en 2003 par ses descendants à l'ambassade de France à Antananarivo, après que des recherches ont permis de retracer l'origine de ces restes humains.

Pendant des années, la question reste sans réponse, alimentant un sentiment de mépris.

Mais en 2019, préparant son retour au pouvoir, le président malgache Andry Rajoelina fait de cette restitution l'une de ses promesses de campagne.

"Je m'attache personnellement et particulièrement à notre riche histoire, à notre racine, parce que si l'on ne connait pas son histoire, on ne peut pas transformer l'histoire de son pays" déclarait-il récemment à TV5 Monde.

"La famille [du roi Toera] ne pouvait pas faire le deuil. C'est important pour la communauté sakalava que ces crânes soient restitués", poursuivait-il, dressant un parallèle avec le dais de la dernière reine de Madagascar, Ranavalona III, restitué par la France en 2020.

En octobre 2024, un comité scientifique bilatéral est créé en marge du Sommet de la francophonie à Paris, et c'est alors que l’un de ces trois crânes est attribué au roi Toera [les deux autres sont attribués à deux de ses soldats].

"Cela va au-delà d'une simple restitution parce que les ancêtres ont une place très importante dans la culture malgache", évoquait auprès de RFI Fetra Rakotondrasoava, secrétaire général du ministère malgache de la Culture, en avril. Évoquant le "fitampoha", cérémonie organisée par les Sakalava permettant notamment une rencontre avec les ancêtres, il poursuivait : "La cérémonie ne sera pas complète tant que le crâne du roi Toera ne sera pas revenu en terre malgache."

Ainsi, la restitution actée, "le rêve se réalise", se réjouissait il y a quelques mois la ministre malgache de la Culture, évoquant le dernier souverain sakalava comme "un martyr, un héros".

La restitution de son crâne devait initialement avoir lieu en avril dernier, mais des descendants du roi s'opposaient à une restitution à cette période de l'année, synonyme de malheur selon les traditions locales. La famille avait aussi demandé que le tombeau du roi, récemment profané, soit restauré pour pouvoir accueillir son crâne.

Chose faite. "Le Zomba, le tombeau destiné à accueillir le Kabeso du roi Toera, est actuellement en réhabilitation", affirmait le 22 août Fetra Rakotondrasoava à l'Express de Madagascar.

Prévue à 9 h 30 mardi au siège du ministère de la Culture à Paris, la cérémonie de restitution aura lieu en présence de la ministre Rachida Dati, de son homologue malgache Volamiranty Donna Mara, ainsi que de parlementaires et de personnalités du monde de la culture et du patrimoine.

"Il ne s’agira pas d’une discussion familiale, mais d’une cérémonie républicaine et diplomatique", précise le secrétaire général du ministère malgache de la Culture.

Les reliques quitteront ensuite Paris pour la capitale malgache le 31 août. Après un hommage étatique à Antananarivo et une cérémonie rituelle à Belo-sur-Tsiribihina (ouest), le crâne présumé du roi Toera rejoindra son corps à Ambiky, détaille-t-il encore. Ici même où les troupes coloniales françaises massacrèrent, selon les sources, entre quelques centaines et 5 000 Malgaches.

Ouvrir la voie à d'autres demandes

Du côté de la France, cette restitution s’inscrit dans une dynamique plus large initiée par Emmanuel Macron de reconnaissance et de réparation de certains crimes coloniaux.

Après les restitutions d’œuvres d’art au Bénin et au Sénégal, le président s'était engagé à la mise en place d'une politique d’"apaisement mémoriel" avec l’Afrique. Cette fois, en restituant non plus des objets, mais des restes humains, la France franchit un seuil plus sensible encore.

"Les liens [entre la France et Madagascar] ont été parfois forgés dans la douleur, et nous avons engagé un travail mémoriel de fond pour apaiser les mémoires", avait déclaré en avril le président français en déplacement à Madagascar.

"La restitution des trois crânes sakalaves dans quelques mois aura, je le sais, un sens profond. Madagascar devient ainsi le premier pays où sera mis en œuvre notre loi sur la restitution des restes humains. Cet agenda des restitutions nous le poursuivront."

Cette première application de la loi de 2023 pourrait en effet ouvrir la voie à d’autres demandes.

Le cas malgache pourrait créer un précédent et amplifier la pression alors que plusieurs pays marqués par la colonisation ont déjà officiellement saisi la France pour obtenir le retour de restes humains conservés dans ses collections, sans que ces démarches aient pour l'heure abouti.

C'est notamment le cas de l'Australie qui, dès 2009, a formulé une demande officielle concernant 55 restes humains aborigènes et insulaires du détroit de Torres, dont 53 conservés au musée de l'Homme, partie du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), et deux autres conservés par les Universités de Strasbourg et Montpellier.

La loi française de décembre 2023, suivie d’un décret en 2024, a ouvert une procédure spécifique pour encadrer ces restitutions et un comité scientifique conjoint travaille depuis 2023 à établir la liste des restes "restituables", mais aucune remise effective n’a encore eu lieu.

En 2015, les autorités argentines ont quant à elles réclamé la restitution du squelette de Liempichún Sakamata, qui avait lui aussi été intégré aux collections du musée de l'Homme.

En 1896, la tombe de ce fils d'un chef amérindien tehuelche (peuple de Patagonie) avait été profanée pour que le comte français de la Vaulx puisse rapporter son corps en France avec plus d'un millier d'autres pièces de collection, incluant des pierres précieuses, des objets manufacturés, des squelettes d’animaux et des restes humains provenant des communautés de la région. 

La France a donné son accord de principe en 2021, et la loi de 2023 permet juridiquement l’opération, mais malgré des annonces en Argentine laissant espérer une restitution dès 2024, la procédure n’a pas encore été menée à son terme.

Quant à l'Algérie, à qui la France a restitué en 2020 quelque 24 crânes de résistants du XIXe siècle, la demande initiale faite en 2016 concernait un nombre bien plus large de restes humains.

Une commission mixte d’historiens a remis en 2024 une liste de biens symboliques à restituer, sans que le gouvernement français n’ait pour l’instant annoncé de nouvelles restitutions.

"Il faut affronter cette histoire, produire des connaissances partagées", déclarait en 2023 dans une interview à La Croix Klara Boyer-Rossol, historienne ayant longuement travaillé sur les collections de crânes et ossements malgaches conservés au MNHN. "Restituer est parfois vu comme une perte, mais cela peut s’accompagner d’un gain de savoirs et d’une forme de réparation précieuse."

Ainsi, en rendant à Madagascar le crâne de son roi, la France referme une plaie vieille de 128 ans. Mais se rappellent à elle toutes celles qui restent à panser.