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Génocide de Srebrenica : "Il faut agir pour empêcher que des crimes similaires ne se reproduisent"
Le 11 juillet 1995, les forces serbes de Bosnie pénétraient dans la ville de Srebrenica, avant d'abattre 8 000 hommes et adolescents musulmans. Trente ans plus tard, ce génocide de la guerre de Bosnie-Herzégovine a laissé de profondes cicatrices dans la mémoire des survivants et des familles des victimes. 

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Une femme pleure à côté d'un cercueil contenant les restes de l'un de ses proches, une victime nouvellement identifiée du génocide de Srebrenica, à Potocari, en Bosnie, le mercredi 9 juillet 2025. AP - Armin Durgut
01:25

"La chute de Srebrenica s'est soldée par un terrible massacre de la population musulmane. Les preuves apportées par le procureur décrivent des scènes d'une sauvagerie inimaginable : des milliers d'hommes exécutés et jetés dans des fosses communes, des centaines d'hommes enterrés vivants, des hommes et femmes mutilés et massacrés, des enfants tués devant leurs mères, un grand-père forcé de manger le foie de son propre petit-fils. Telles sont les scènes authentiques et infernales écrites sur l'une des pages les plus sombres de l'histoire de l'humanité".

C’est en ces termes que Fouad Riad, juge au Tribunal de La Haye, confirme en novembre 1995 l’inculpation pour génocide et pour crimes contre l'humanité du chef politique bosno-serbe, Radovan Karadzic, et de son commandant militaire, Ratko Mladic, pour leur participation au "génocide qui a suivi la prise de Srebrenica".

Génocide de Srebrenica : "Il faut agir pour empêcher que des crimes similaires ne se reproduisent"
Sur cette photo d'archive du jeudi 13 juillet 1995, une femme non identifiée et sa mère, réfugiées de Srebrenica, pleurent ensemble parce qu'elles ne savent pas ce qui est arrivé au reste de leur famille, dans une base de l'ONU à 12 km au sud de Tuzla, à 100 km au nord de Sarajevo. ASSOCIATED PRESS - DARKO BANDIC

Le point culminant d’une campagne de nettoyage ethnique

Quatre mois plus tôt, le 11 juillet, cette ville de 40 000 personnes à majorité musulmane, située dans l'est de la Bosnie, à 15 kilomètres seulement de la Serbie, est prise d'assaut par les forces Serbes de Bosnie, dirigées par le général Ratko Mladic, surnommé "le boucher des Balkans".

Cette conquête de Srebrenica est suivie par des exécutions de masse. "À la toute fin de la guerre (la guerre de Yougoslavie, NDLR), Srebrenica a été le seul cas où des milliers de personnes furent massacrées de manière organisée, jour après jour, et jetées comme des ordures dans des fosses communes. Plus de huit mille hommes et garçons, pour la plupart des civils, furent abattus et leurs corps jetés dans des fosses communes illégales, creusées pour dissimuler les preuves", décrit l’historienne Iva Vukusic, professeure d’histoire internationale à l’Université d’Utrecht.

Ces massacres ne sont pas des actes isolés, mais le point culminant d’une campagne de nettoyage ethnique, comme le souligne Muamer Dzananovic, directeur de l'Institut de recherche sur les crimes et la guerre et le droit international de l’université de Sarajevo : "Dès le 12 mai 1992, Radovan Karadzic a présenté les ‘objectifs stratégiques du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine’. Le premier objectif était la séparation du peuple serbe des Bosniaques et des Croates, ce qui signifiait concrètement que les territoires qu’ils considéraient comme ‘serbes’ devaient être ‘nettoyés ethniquement’. Une telle séparation ne pouvait être obtenue que par la violence, y compris le génocide, comme Ratko Mladic l’avait déclaré publiquement à l’époque".

Génocide de Srebrenica : "Il faut agir pour empêcher que des crimes similaires ne se reproduisent"
Des réfugiés musulmans à bord d'un convoi de l'ONU, alors qu'ils fuient l'enclave bosniaque de Srebrenica, assiégée par les Serbes, pour se rendre à Tuzla, le 31 mars 1993. AFP - PASCAL GUYOT

L’abandon de la communauté internationale

Dès le début du conflit intercommunautaire qui embrase la Bosnie en avril 1992, les forces armées des Serbes de Bosnie lancent le siège de Srebrenica. Un an plus tard, dans une ultime tentative pour éviter sa chute, le Conseil de sécurité de l'ONU déclare "zone de sécurité" l'enclave de 148 km2 et y déploie des Casques bleus chargés d'en assurer la protection.

Mais début juillet 1995, les troupes du général Ratko Mladic prennent le contrôle de positions de la Forpronu (Force de protection des Nations unies) après avoir pris en otage une trentaine de Casques bleus néerlandais. Le 11 juillet, Srebrenica tombe aux mains du chef militaire. Désespérée, la population cherche refuge auprès des Casques bleus néerlandais qui se sont repliés dans leur base à Potocari. Mais, débordés par cet afflux massif, des soldats de l'ONU ferment les grilles de la base que des milliers de personnes apeurées tentent de franchir, en vain.

Génocide de Srebrenica : "Il faut agir pour empêcher que des crimes similaires ne se reproduisent"
Sur cette photo d'archives du 13 juillet 1995, des Casques bleus néerlandais de l'ONU sont assis sur un véhicule blindé de transport de troupes tandis que des réfugiés musulmans de Srebrenica se rassemblent dans le village voisin de Potocari. AP - Anonymous

Les soldats de l'ONU laissent ensuite les forces de Mladic évacuer les femmes et les enfants. Séparés, les hommes et adolescents sont emmenés dans des camions et des cars, puis exécutés. Environ 3 400 d'entre eux réussissent à survivre, certains ayant marché pendant plusieurs mois. La communauté internationale est alors accusée d’avoir abandonné les victimes, notamment en n’ordonnant pas de frappes aériennes sur les positions serbes.

La justice en marche

Très vite, la justice se met en action. Dès la fin du mois de juillet 1995, les premiers actes d'inculpation du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) tombent contre Radovan Karadzic et Ratko Mladic. Au total, plus de 50 condamnations pour le massacre de Srebrenica, dont une vingtaine pour génocide, ont été prononcées par la justice internationale et les tribunaux en Bosnie et en Serbie.

"Le génocide commis contre les Bosniaques a impliqué un grand nombre d'individus, depuis ceux qui l'ont planifié, ordonné et organisé jusqu'à ceux qui ont directement perpétré les crimes. Nombre d'entre eux, malheureusement, n'ont jamais été tenus responsables et ne le seront probablement jamais", note le chercheur Muamer Dzananovic. "Néanmoins, le travail du TPIY ne doit pas être sous-estimé. Ce tribunal a laissé un héritage juridique, historique et documentaire considérable, non seulement par ses verdicts, notamment ceux contre Karadzic et Mladic (Tous deux condamnés à la perpétuité, NDLR), mais aussi par des centaines de milliers de pages de preuves, de témoignages et de documents d'archives aujourd'hui utilisés par d'autres institutions judiciaires, notamment en Bosnie-Herzégovine".

Génocide de Srebrenica : "Il faut agir pour empêcher que des crimes similaires ne se reproduisent"
Des femmes de Srebrenica regardent une retransmission en direct du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye pour connaître le verdict du chef militaire serbe de Bosnie Ratko Mladic, à l'écran, au cimetière commémoratif de Potocari près de Srebrenica, dans l'est de la Bosnie, le 8 juin 2021. AP - Darko Bandic

Ce travail judiciaire a été suivi d’une reconnaissance internationale. Il y a un an, en mai 2024, l’ONU a décrété le 11 juillet journée internationale de commémoration du génocide de Srebrenica. Mais cette résolution a été condamnée par le président serbe Aleksandar Vucic. "Il était mécontent des tentatives pour obtenir cette journée internationale. Il a alimenté des slogans en Serbie affirmant que les Serbes ne sont pas un peuple génocidaire. Son but était de susciter un soutien national et patriotique, mais il aurait dû comprendre que les crimes en question concernaient des individus et non des peuples ou des pays. Il n’y a d’ailleurs pas de mention de la Serbie ou des Serbes dans cette résolution", explique James Gow, professeur de paix et de sécurité internationale au King’s college de Londres, auteur de plusieurs ouvrages sur l’ex-Yougoslavie.

La remise en question du génocide

La gravité de ces crimes continue ainsi d'être relativisée, notamment par des dirigeants politiques de l'entité serbe de Bosnie (la Republika Srpska). Le chef politique des serbes de Bosnie, Milorad Dodik, nie régulièrement le génocide et remet en question le nombre de victimes. Pour Muamer Dzananovic, ce déni n’est pas nouveau. "La première forme a été physique. Les corps des victimes ont été exhumés des premières fosses communes et ré-inhumés dans des sites secondaires afin de dissimuler l'ampleur du crime et d'empêcher toute identification", insiste-t-il. "Depuis lors, la Serbie et les autorités de la Republika Srpska, entité bosniaque, ont systématiquement coordonné leurs efforts pour contester non seulement le génocide de Srebrenica, mais aussi d'autres crimes, notamment le siège de Sarajevo et les atrocités de masse commises à Tuzla, Prijedor, Foča et de nombreux autres endroits".

Génocide de Srebrenica : "Il faut agir pour empêcher que des crimes similaires ne se reproduisent"
Sur cette photo d'archives du 18 septembre 1996, des enquêteurs du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIR) débarrassent des débris et de la terre de dizaines de victimes de Srebrenica enterrées dans une fosse commune près du village de Pilica, à environ 55 km au nord-est de Tuzla, en Bosnie-Herzégovine. AP - Staton R. Winter

La Bosnie-Herzégovine est aujourd’hui formée de deux entités autonomes, la Republika Srpska et la Fédération croato-musulmane, raccordées par un faible gouvernement central. Mais depuis deux ans Milorad Dodik multiplie les actions et les législations séparatistes. En mars, le président de la Republika Srpska a même été visé par un mandat d'arrêt national, après avoir refusé une convocation du parquet d'Etat, à Sarajevo, pour être interrogé dans un dossier pour "attaque contre l'ordre constitutionnel". "On a craint le retour d’un conflit armé", explique James Gow. "C’était improbable que cela arrive, mais cela reflète les profondes divisions entre les communautés".

Le 5 juillet, les dirigeants politiques de l'entité serbe de Bosnie et de la Serbie, ainsi que les dignitaires de l'Eglise orthodoxe serbe se sont réunis à Bratunac, près de Srebrenica, pour une commémoration en hommage à plus de 3 200 militaires et civils serbes de Bosnie orientale tués pendant la guerre.

De leur côté, les membres de la communauté bosniaque et des militants pour la paix ont effectué cette semaine leur marche annuelle à travers la forêt pour mettre leurs pas dans ceux des milliers d'hommes et d'adolescents fuyant l'horreur du massacre en juillet 1995. Ils ont atteint jeudi le mémorial de Srebrenica - Potocari, où sont enterrées près de 7 000 hommes et adolescents. À l’occasion des cérémonies commémorant les 30 ans du génocide, de nouvelles inhumations vont avoir lieu après des identifications réalisées grâce à des tests ADN.

Génocide de Srebrenica : "Il faut agir pour empêcher que des crimes similaires ne se reproduisent"
Les participants à la "Marche pour la paix" en mémoire du massacre de Srebrenica de 1995, à Nezuk, en Bosnie, le mardi 8 juillet 2025. (AP Photo/Armin Durgut) AP - Armin Durgut

"Se concentrer sur les besoins des survivants"

Près de 1000 victimes sont toujours portés disparus. "Elles ne seront jamais toutes retrouvées", souligne l’historienne Iva Vukusic. "Certains restes ont été laissés à la surface, où ils ont été dévorés par des animaux. D'autres sont restés à l'air libre, sous le soleil et la pluie pendant des années ou ont été brûlés ou endommagés, ce qui a entraîné une détérioration des os rendant impossible l'extraction de l'ADN. Dans d'autres endroits, tous leurs membres d’une même famille ont été tués. Il ne reste donc plus personne pour établir une correspondance".

Professeure à l’Université de New York, Lara Nettelfied étudie depuis de nombreuses années l’impact du génocide de Srebrenica sur les différentes communités locales. En ce 30e anniversaire, elle estime que le plus important est aujourd’hui de se "concentrer sur les besoins des survivants" . "Nous devons les écouter et faire entendre leur voix. La guerre n'est pas terminée pour beaucoup de survivants de Srebrenica ; ils sont confrontés au déni, à la discrimination et aux difficultés économiques", décrit la co-autrice de "Srebrenica in the Aftermath of Genocide" (Cambridge University Press, 2015). 

Génocide de Srebrenica : "Il faut agir pour empêcher que des crimes similaires ne se reproduisent"
Des membres d'une famille se recueillent et prient près de la tombe d'une victime du génocide de Srebrenica, avant les commémorations à Potocari, en Bosnie, le jeudi 10 juillet 2025. AP - Armin Durgut

Cette professeure n’hésite pas à faire le parallèle avec "le génocide commis actuellement à Gaza". Pour Lara Nettelfied : "Les survivants de Srebrenica nous ont montré pourquoi nous ne devons pas rester silencieux face au génocide. Ils ont inspiré d'autres survivants à exercer leur pouvoir et à faire entendre leur voix pour réclamer justice". Un appel partagé par l’historienne Iva Vukusic : "Se souvenir n’est pas suffisant. Il faut agir pour empêcher que des crimes similaires ne se reproduisent. Malheureusement, nous constatons qu’ils se répètent encore aujourd’hui".