logo

"Notre vie est une horreur" : au nord de Gaza, l'angoisse d'habitants pris au piège de l'offensive israélienne
Depuis l'ordre d'évacuation du nord de la bande Gaza donné par l’armée israélienne le 6 octobre, un grand nombre d’habitants ont fui les villes de Gaza, Beit Lahia et Jabaliya. Mais près de 400 000 personnes restent aujourd’hui piégées dans cette zone, encerclée par l’armée israélienne, au milieu de bombardements et de fusillades quotidiennes. Un de nos Observateurs sur place, obligé de fuir d’abri en abri avec sa famille, nous raconte son quotidien.

Sur le réseau social Snapchat, les images prises en début de semaine dans le camp de Jabaliya, au nord de la ville de Gaza, se suivent et se ressemblent. On y voit des files d'hommes, de femmes et d'enfants, marchant dans la même direction, pour suivre l'ordre donné par l'armée israélienne d'évacuer la ville.

"Notre vie est une horreur" : au nord de Gaza, l'angoisse d'habitants pris au piège de l'offensive israélienne

Pour afficher ce contenu , il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Certains transportent des affaires sur des vélos, d'autres directement sur leur tête, ou à bras le corps. Des centaines de Gazaouis ont fui cette semaine, à la suite d'un ordre d'évacuation émis par l'armée israélienne. Lancé dimanche 6 octobre, il concerne l'ensemble de la zone nord de Gaza, notamment une partie de la ville de Gaza, ainsi que les deux villes de Jabaliya et Beit Lahia, situées au nord de celle-ci. 

Ce n'est pas la première fois que les résidents de cette zone sont sommés de quitter leur domicile : le 13 octobre 2023, au début de l'invasion israélienne de la bande de Gaza consécutive aux massacres commis par le Hamas le 7 octobre, l'ensemble du nord de l'enclave avait déjà été concerné par un ordre d'évacuation, affectant 1,1 million de personnes. Les bombardements qui ont suivi ont conduit à la destruction de 80 % des logements de la zone, selon les Nations Unies

Comme lors du précédent ordre d'évacuation, un nombre important de personnes n'a pas été en mesure de quitter les lieux avant l'incursion des forces israéliennes : selon l'Unrwa, l'agence de l'ONU en charge des réfugiés palestiniens, ils seraient actuellement au moins 400 000 à être toujours dans à Gaza-Nord.

Leur situation est particulièrement difficile dans le camp de Jabaliya, que l'armée israélienne encercle désormais totalement. Elle affirme y mener des opérations visant à empêcher la reconstitution des forces du Hamas. Ces opérations se caractérisent notamment par des incursions de militaires et par des bombardements meurtriers : le 9 octobre, 17 personnes ont été tuées dans une frappe aérienne contre l'hôpital al-Yaman al-Said, utilisé comme camp de réfugiés. 

Pour afficher ce contenu YouTube, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

"Nos vies sont une horreur inimaginable, on ne voit ça que dans les films" 

Youssef, un père de famille originaire de Jabaliya qui filme son quotidien sur TikTok, tente de survivre dans le camp avec sa femme et leurs quatre enfants. ll est en déplacement constant. 

Nous sommes assiégés, sans eau potable, sans rien pour nous laver, sans nourriture ni aucun produit de première nécessité. La situation est catastrophique et tout s'épuise : farine, conserves, nourriture, tout. Nos vies sont une horreur inimaginable, on ne voit ça que dans les films. Il y a trois jours, j'ai été pris au piège dans un endroit avec mes enfants. En raison des bombardements des avions de guerre israéliens, des obus d'artillerie lourde et des tirs d'armes à feu, ma femme, mes enfants et moi-même avons quitté la maison et couru vers une autre maison pour nous mettre à l'abri.

Des vidéos transmises par d'autres habitants, comme Hassan, un ingénieur résidant au nord-ouest de Jabaliya, accréditent le récit de Youssef. Ces vidéos, filmées depuis la maison de Hassan et souvent partagées sur ses comptes Instagram et Snapchat, documentent les bruits constants d'explosions et de tirs d'armes à feu qui résonnent aux alentours.

"Notre vie est une horreur" : au nord de Gaza, l'angoisse d'habitants pris au piège de l'offensive israélienne

Pour afficher ce contenu , il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix
"Notre vie est une horreur" : au nord de Gaza, l'angoisse d'habitants pris au piège de l'offensive israélienne

Pour afficher ce contenu , il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

"Personne ne peut quitter Jabaliya"

Malgré le danger, Youssef ne souhaite pas tenter de partir vers le Sud. Selon lui, ce trajet serait en effet le plus périlleux de tous, malgré les couloirs d'évacuation désignés par l'armée israélienne. 

Personne ne peut quitter Jabaliya. Hier et aujourd'hui, il y avait des familles qui essayaient de sortir, et elles ont été bombardées et abattues. Elles ont été tuées à différents endroits.

Le jeune homme en est donc réduit à passer de maison en maison avec sa famille, dans l'espoir de s'abriter des affrontements. Jeudi 10 octobre, il décide de passer de Jabaliya à Beit Lahia, une ville voisine qui fait également partie de la zone d'évacuation décrétée par l'armée israélienne. "À Beit Lahia, la situation est difficile, mais à Jabaliya, ça s'empire à chaque instant", explique-t-il. 

"Notre vie est une horreur" : au nord de Gaza, l'angoisse d'habitants pris au piège de l'offensive israélienne

Pour afficher ce contenu , il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Trois journalistes blessés le même jour 

Les craintes de Youssef quant au sort des personnes tentant de sortir de Jabaliya vers le Sud sont alimentées par plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, dont les auteurs assurent montrer des tirs contre les habitants tentant de sortir du camp de Jabaliya. Il n'a pas été possible à la rédaction des Observateurs de vérifier indépendamment l'authenticité de la totalité d'entre elles. Cependant, plusieurs journalistes locaux ont documenté en direct des fusillades de ce type. 

Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Certains d'entre eux ont été pris pour cible, et parfois touchés. Le 9 octobre, trois journalistes auraient ainsi été gravement blessés à Jabaliya. Fadi al-Wahidi, qui collaborait régulièrement avec Al Jazeera, a été touché au cou, entraînant sa paralysie, selon ses collègues. Tamer Lubbadd et Muhammad al-Tanani, deux journalistes de la chaîne locale gazaouie Al-Aqsa TV, affiliée au Hamas, ont également été touchés le même jour. Le second est mort de ses blessures.

Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Sur ces vidéos, les tireurs ne sont pas visibles : il n'est donc pas possible de confirmer si les tirs ont été effectués par l'armée israélienne. Cependant, il est possible de géolocaliser l'endroit où le collaborateur d'Al Jazeera Fadi al-Wahidi travaillait le jour où il a été touché par une balle. Peu avant, il a en effet publié une vidéo sur son compte Instagram personnel. Sur celle-ci, on entend des coups de feu, à la suite desquels un groupe d'hommes se met à courir (à 17 secondes). "Ils viennent d'ouvrir le feu sur des citoyens", commente le journaliste. 

Pour afficher ce contenu Instagram, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Sur ce plan, on peut voir une sorte de kiosque peint en blanc et rouge. Le toit est marqué d'une inscription : "Entreprise Safi-frères de carburant". La silhouette de pompes à essence est également visible. 

"Notre vie est une horreur" : au nord de Gaza, l'angoisse d'habitants pris au piège de l'offensive israélienne

On retrouve facilement la station-service en question : elle est située à côté d'un rond-point connu de Jabaliya, nommé rond-point Abou Sharkh. 

Une série d'attaques autour du "rond-point de la mort"

Le nom de ce rond-point revient régulièrement dans les récits de fusillades à Jabaliya de ces derniers jours : plusieurs vidéos affirmant que l'armée israélienne ouvre le feu sur les civils tentant de sortir du camp sont localisées à cet endroit. 

Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Les autres journalistes blessés et tués le 9 octobre, Tamer Lubbadd et Muhammad al-Tanani, se trouvaient également à proximité du rond-point d'Abou Sharkh au moment où ils ont été visés, selon des médias locaux. Cette série meurtrière a conduit plusieurs journalistes à surnommer Abou Sharkh le "rond-point de la mort", comme le correspondant d'Al Jazeera Anas al-Sharif. 

Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Le carrefour d'Abou Sharkh est un point de communication important, permettant aux habitants du camp de Jabaliya de rejoindre le Sud, et notamment la ville de Gaza. Selon des chaînes Telegram locales, ce carrefour constituait la dernière sortie possible du camp, avant d'être fermé par les forces armées israéliennes mercredi 9 octobre. Ces chaînes partagent pour preuve une photo, montrant des fortifications de terre à proximité du rond-point. 

"Notre vie est une horreur" : au nord de Gaza, l'angoisse d'habitants pris au piège de l'offensive israélienne

La rédaction des Observateurs a contacté l'armée israélienne pour savoir si elle contrôlait le rond-point d'Abou Sharkh le 9 octobre, lorsque trois journalistes ont été blessés ou tués à proximité. Un porte-parole des forces de défense israélienne a confirmé détenir ce renseignement, mais a refusé de le révéler pour publication. Confronté à la photo de fortifications de terre autour du rond-point d'Abou Sharkh, décrites pas les chaînes Telegram locales comme une position de l'armée israélienne le 9 octobre, il n'a pas donné suite à nos demandes de précisions. La rédaction des Observateurs n'a pas pu confirmer par d'autres éléments que le rond-point d'Abou Sharkh était bien sous contrôle israélien ce jour, et actualisera cet article si de nouveaux éléments lui parviennent. 

Concernant son action dans le camp de Jabaliya, l'armée israélienne précise qu'elle "prend toute les mesures opérationnelles possibles pour limiter les dommages aux personnes civiles, y compris aux journalistes. [Elle] n'a jamais, et ne prendra jamais pour cible délibérée des journalistes". Avant d'ajouter : "Étant donné les fusillades en cours, rester dans une zone de combat active comporte des risques inhérents".