Les récits glaçants se succèdent. Qu'ils nient ou reconnaissent les faits, les 50 hommes accusés d'avoir violé Gisèle Pelicot, à l'invitation de son mari, qui la droguait aux anxiolytiques, ont chacun leur propre explication, leur propre justification.
Comme Patrick A., qui a affirmé jeudi 11 octobre avoir agi "à contre-coeur". Cet homme de 60 ans, qui se décrit lui-même "dodu", habillé d'un large tee-shirt orange, reconnaît avoir une vie affective "médiocre". Après un mariage raté, il s'est mis à fréquenter "plusieurs fois par semaine" les saunas, aires d'autoroute et arrière-salles des sex-shops de la région d'Avignon, pour des rencontres homosexuelles furtives.
Il surfe également depuis dix ans sur le site de rencontre Coco.fr (un "repaire de prédateurs", selon une association qui avait obtenu sa fermeture en juin par la justice) lorsqu'il croise, début 2018, Dominique Pelicot, avec qui il poursuivra la discussion sur la messagerie Skype.
Les enquêteurs ont retrouvé certains de ces échanges, dans lesquels Dominique Pelicot affiche clairement la couleur : "Je cherche un complice pervers pour abuser de ma femme, elle prend des somnifères et j'en profite." "Ok", répond laconiquement Patrick A.
"À contre-cœur"
À la barre, jeudi, le sexagénaire explique ne pas avoir réellement fait attention au contenu de ces messages, pas plus inquiétant que ceux des nombreux "mythos" qui fréquentent Coco.fr. Et il répète qu'il était uniquement intéressé par une rencontre avec un homme.
Il dit d'ailleurs avoir prodigué deux fellations à Dominique Pelicot, dès son arrivée au domicile du couple, à Mazan (Vaucluse), avant que celui-ci l'invite à passer dans la chambre conjugale où Gisèle Pelicot gît, assommée par les somnifères que son mari lui administrait à son insu : ça "l'excitait si on faisait ça à côté de sa femme".
Patrick A. fait partie des 14 accusés ayant reconnu les faits. Mais il répète qu'il n'a fait que suivre "à contre-cœur" les indications de Dominique Pelicot lorsqu'il a commis des attouchements sur l'épouse de celui-ci et qu'il l'a aidé à la violer pendant plus de dix minutes, sans qu'elle ne réagisse.
"Vous êtes homosexuel mais vous avez commis un viol hétérosexuel, que vous reconnaissez ! Dans ce procès, nous avons déjà eu les viols par accident, votre particularité, c'est de plaider le viol à contre-cœur", lui assène Me Antoine Camus, un des avocats de Gisèle Pelicot.
"J'aurais dû, mais je n'y ai pas pensé"
Interrogé dans la foulée, Didier S., 68 ans, affirme lui aussi s'être rendu chez Dominique Pelicot pour une relation homosexuelle. Et il ne reconnaît pas l'accusation de viol sur Gisèle Pelicot, car son époux lui avait fait croire qu'elle "faisait semblant de dormir". "C'est pas à moi qu'il faut en vouloir, c'est à votre mari", lance le sexagénaire, à l'adresse de la victime.
Karim S., 40 ans, titulaire de deux licences universitaires et alors expert en informatique, conteste lui aussi l'accusation de viol : "Je ne me suis pas rendu (chez eux) dans le but de commettre un crime et je n'avais absolument pas conscience que madame (Pelicot) n'était pas consentante", explique-t-il d'une voix douce.
Certes, il avait été avisé par Dominique Pelicot que son épouse serait "endormie par la consommation d'alcool et un somnifère", mais il était "convaincu qu'ils étaient complices dans une sorte de jeu. C'était clair pour moi qu'elle ne pouvait pas ne pas être au courant". "Effectivement, j'aurais dû creuser plus et au moins parler avec madame (Pelicot)", convient-t-il.
S'il affirme être parti "précipitamment", deux vidéos projetées à l'audience montrent qu'il avait procédé à plusieurs pénétrations sur Gisèle Pelicot, malgré ses ronflements et son absence totale de réaction, avant de partir au bout d'un quart d'heure environ.
"Elle allait se réveiller, parce que c'était un jeu", avance pour sa part le plus âgé des accusés, Jean-Marc L., 74 ans, qui lui aussi conteste les accusations, expliquant qu'il n'avait pas pu la violer car il n'avait "pas d'érection" et n'a fait "qu'obéir à ses ordres".
"C'est en quittant la maison que je me dis qu'elle n'était pas consentante", ajoute Jean-Marc L. Mais il n'alertera pas les autorités : "J'aurais dû, mais je n'y ai pas pensé."
Avec AFP