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Bruno Retailleau rouvre le dossier explosif de la réforme de l’aide médicale d’État
Considérée depuis longtemps par la droite et l’extrême droite comme un dispositif attirant les étrangers vers la France, l’aide médicale d’État (AME), qui garantit aux étrangers en situation irrégulière la prise en charge de soins médicaux, est dans le viseur de Bruno Retailleau. Les études sur le sujet contredisent pourtant l’argumentation du nouveau ministre de l’Intérieur.

La réforme de l’aide médicale d’État (AME) revient à l’ordre du jour. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a annoncé, lundi 23 septembre sur TF1, son intention de revoir le dispositif, suscitant instantanément de vives réactions à gauche et au sein de l’ancienne majorité présidentielle.

"Nous sommes un des pays européens qui donnons le plus d’avantages et je ne veux pas que la France se singularise, que la France soit le pays le plus attractif d'Europe pour un certain nombre de prestations sociales, d'accès aux soins", a affirmé le ministre pour justifier une telle réforme.

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Créée en 2000 sous le gouvernement de Lionel Jospin, l’aide médicale d’État donne droit aux étrangers en situation irrégulière et présents en France depuis au moins trois mois à une prise en charge à 100 % de leurs soins médicaux et hospitaliers. Sont couverts les maladies, les maternités, mais aussi les prothèses et soins dentaires ou encore les équipements d’optique, sur la base des tarifs de la Sécurité sociale.

La question de la suppression de l’AME est régulièrement relancée par la droite et l’extrême droite, qui voient en elle un dispositif créant un "appel d’air" vis-à-vis de l’immigration illégale. Lors de l’examen de la dernière loi Immigration, la droite sénatoriale emmenée par Bruno Retailleau avait tenté de la supprimer pour la remplacer par une aide médicale d’urgence aux contours drastiquement réduits.

Une idée "complètement stupide pour la santé publique"

La transformation du dispositif n’avait finalement pas été retenue dans le texte final de la loi, mais la Première ministre d’alors, Élisabeth Borne, s’était engagée à réformer l’AME avant l’été 2024. La promesse avait ensuite été reprise par son successeur, Gabriel Attal, lors de son discours de politique générale, sans toutefois être tenue.

Les propos de Bruno Retailleau n’ont pas manqué de faire réagir la gauche et l’ancienne majorité présidentielle, y compris trois des quatre derniers ministres de la Santé.

"Remettre en cause l'aide médicale d'État serait complètement stupide pour la santé publique, mais également pour les finances de l'assurance maladie", a ainsi réagi François Braun, ministre de 2022 à 2023, lundi soir sur BFMTV, rappelant que les épidémies comme le Covid-19 "ne vous demandent pas votre carte d’identité" et que refuser de soigner des pathologies chroniques mènerait à "des maladies qui se compliquent", ce qui coûterait in fine "beaucoup plus cher".

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"Soyons cliniques : l’AME n’est pas un facteur d’immigration. C’est une conclusion documentée solidement. Pourtant, le gouvernement préfère illico évoquer sa suppression pour satisfaire l’extrême droite. Un gage, un scalp, un totem… sans avoir la force ou le courage de dire la réalité", a également tancé Aurélien Rousseau, ministre de juillet à décembre 2023 et désormais député du Nouveau Front populaire, sur le réseau social X.

"Je pense que vous n’avez pas bien lu le rapport de M. Stefanini… qui dit clairement que l’AME n’est pas un sujet d’attractivité pour l’immigration… mais bien un enjeu de santé publique", a de son côté écrit sur X Agnès Firmin Le Bodo, éphémère ministre de la Santé de décembre 2023 à janvier 2024.

Près d’un étranger sur deux ayant droit à l’AME ne la réclame pas

Cette dernière fait référence au rapport sur l’aide médicale d’État commandé à l’automne 2023 par Matignon à Claude Évin, ancien ministre socialiste des Affaires sociales, et Patrick Stefanini, conseiller d'État honoraire et ancien directeur de campagne de Valérie Pécresse et de François Fillon à la présidentielle. Le texte contredit l’argument du ministre de l’Intérieur : "L’AME n’apparaît pas comme un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration", écrivent ainsi les auteurs.

Les motifs de santé ne sont en effet évoqués que par 9,5 % des sans-papiers, selon une étude du CNRS publiée en février 2022. "Et le nombre de bénéficiaires réels est largement inférieur à celui de personnes qui pourraient en bénéficier, puisque le taux de non-recours [aux droits ouverts par l’AME] est estimé à 49 %", soulignait Florence Rigal, alors présidente de Médecins du Monde, dans un entretien au Parisien publié le 24 mars 2023.

Avec son projet, Bruno Retailleau prend donc le risque de diviser le gouvernement et de fragiliser l’alliance entre Les Républicains et la macronie. Interrogé au 20 h de France 2 sur le sujet, dimanche 22 septembre, le Premier ministre Michel Barnier a pour sa part déclaré que la suppression de l’AME n’était pas un "tabou".

Avec un coût de 1,141 milliard d’euros pour environ 466 000 bénéficiaires – leur nombre étant en progression constante depuis 2017 –, l’aide médicale d’État représentait, en 2023, moins de 0,5 % des dépenses de santé en France.