logo

X et la justice brésilienne : un bras de fer sans fin ?
Bloqué le 30 août dernier par la Cour suprême brésilienne pour avoir refusé de censurer certains contenus, le réseau social X, propriété d’Elon Musk, a réussi à contourner cette interdiction mercredi, avant d'être à nouveau suspendu. Pourquoi le Brésil est-il le théâtre de ce violent bras de fer ? Décryptage.

Coup d'éclat avorté pour X. Après avoir brièvement repris du service au Brésil malgré une obligation de blocage, la plateforme du milliardaire Elon Musk a dû une nouvelle fois, jeudi 19 septembre, se soumettre aux décisions de la Cour suprême en cessant d’être accessible dans le pays.

"X a cessé d'utiliser le service" de la société de cybersécurité Cloudflare qui lui avait permis de contourner l'ordre de blocage prononcé le 30 août par la Cour suprême, a annoncé l'Association brésilienne des fournisseurs d'accès Internet (Abrint). Désormais, la plateforme "est bloquée" de nouveau, a-t-elle confirmé.

De son côté, le groupe a attribué son retour sur le Web brésilien à une "mise à jour technique involontaire" et a affirmé qu'il continuerait à se conformer à l'interdiction nationale. Ce feuilleton judiciaire ne cesse de captiver l’attention. France 24 vous détaille les raisons de ce blocage, les diverses réactions qu’il suscite et s'intéresse aux suites possibles.

  • Pourquoi X est-il bloqué au Brésil ?

Les tensions entre Elon Musk et la justice brésilienne remontent au mois d'avril, lorsque le juge Alexandre de Moraes ouvre une enquête contre le milliardaire, l’accusant d’avoir réactivé des profils de partisans influents de l’ancien président Jair Bolsonaro. X admet alors que certains utilisateurs ont réussi à contourner les restrictions.

Ces dernières années, Alexandre de Moraes a lui-même ordonné le blocage de plusieurs comptes, soupçonnés de diffuser de la désinformation et d’avoir encouragé une tentative de coup d’État après la défaite de Jair Bolsonaro face à Luiz Inacio Lula da Silva en octobre 2022. "LES RÉSEAUX SOCIAUX NE SONT PAS DES ZONES DE NON-DROIT !", a-t-il affirmé, majuscules comprises, dans son arrêt judiciaire.

Face au refus de X de suspendre les comptes concernés, le juge inflige, mi-août, une amende de plus de 200 000 réais (30 000 euros) par jour à la plateforme. Elon Musk, refusant de payer, riposte en fermant les bureaux de l'entreprise au Brésil, défiant ainsi la loi qui oblige toute entreprise à avoir un représentant légal dans le pays.

Résultat : dès le 30 août, les autorités ordonnent le blocage total de la plateforme, affectant quelque 22 millions d'utilisateurs, selon l’estimation du site spécialisé DataReportal. Les personnes utilisant un VPN pour contourner cette mesure s'exposent à une amende quotidienne de 50 000 réais (environ 8 000 euros).

"Le blocage de X au Brésil soulève la question de la souveraineté des États face aux géants du numérique", analyse Valérie-Laure Benabou, professeure de droit privé à l’Université de Versailles-Saint-Quentin (UVSQ) sur France 24. "Elon Musk a décidé de considérer que X n’enfreignait pas la loi, et le Brésil a répondu en défendant ses intérêts nationaux."

  • Quelles sont les réactions des principaux concernés ?

Après cette décision, Elon Musk fustige le blocage, qualifiant le juge de "dictateur". La droite brésilienne, emmenée par Jair Bolsonaro, lui emboîte le pas, accusant le magistrat de censure et d’abus de pouvoir.

De leur côté, les utilisateurs brésiliens de X sont partagés : une majorité (56,5 %) perçoit une "motivation politique" dans la décision du juge et estime qu'elle a "affaibli la démocratie" (54,4 %), d'après un sondage de l'institut AtlasIntel. En revanche, près de la moitié (49,7 %) soutient Alexandre de Moraes face à Elon Musk.

Lorsque la plateforme est de nouveau accessible mercredi, l'ancien président Jair Bolsonaro, qui affiche sa proximité avec l'entrepreneur, s'empresse de poster à nouveau sur X : "Je félicite tous ceux qui ont fait pression pour défendre la démocratie au Brésil", écrit-il, affirmant qu'"en bannissant le plus grand réseau social du pays, ce n'est pas une entreprise qui a été punie, mais des millions de Brésiliens".

Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

À gauche, le blocage de X est salué, notamment par le président Lula, qui déclare que la démocratie ne signifie pas "le droit de mentir ou de répandre la haine" et affirme que "la souveraineté n’est pas à vendre".

  • Quand et sous quelles conditions le blocage prendra-t-il fin ?

S'il veut voir son réseau social de nouveau accessible dans le pays, Elon Musk devra se plier aux décisions de la justice brésilienne, notamment à l’obligation de nommer un nouveau représentant légal dans le pays et au paiement d’amendes s’élevant à l’équivalent de 3 millions d’euros.

"La souveraineté de la justice brésilienne lui permet de décider du blocage de X. Pour l'instant, la suspension est en vigueur, mais il est difficile de prédire si elle sera définitive", pointe Fabrice Epelboin, entrepreneur et spécialiste des réseaux sociaux. "Une chose est sûre : Elon Musk va continuer à amuser la galerie en narguant les autorités. C’est un vrai bras de fer."

La réapparition surprise de la plateforme mercredi laisse en tout cas planer le doute sur les intentions d’Elon Musk. Tandis que X évoque une manœuvre involontaire, le quotidien brésilien O Estado de São Paulo avance l'hypothèse d'une "provocation" orchestrée par le milliardaire. De son côté, l'agence brésilienne des télécommunications (Anatel) estime que "le comportement du réseau X a montré une intention délibérée de contourner l'ordre de la Cour suprême". L'agence assure qu'elle prendra "les mesures nécessaires en cas de nouvelles tentatives de contourner la suspension".

Un nouveau rebondissement qui montre qu’Elon Musk est loin de reculer au Brésil, au nom de la "liberté d’expression". "Il utilise ce concept pour justifier ses choix économiques et maximiser ses profits", dénonce Valérie-Laure Benabou, qui estime que "l'argument libertaire cache en réalité l'appât du gain".

  • Le Brésil est-il le premier pays à interdire X sur son territoire ?

Les autorités de nombreux pays ont recours au blocage de X pour diverses raisons. Certains blocages ont pu être temporaires, comme au Nigeria, où l'ancienne plateforme Twitter avait été interdite pendant sept mois en 2021, accusée par le président de soutenir les manifestations contre les violences policières qui secouaient le pays. En Turquie, le président Erdogan a bloqué le réseau en 2014, puis à nouveau en 2023 après le séisme dans la région d'Antioche.

En Chine, la plateforme est interdite depuis son apparition en 2009, deux jours avant le vingtième anniversaire de la répression des manifestations prodémocratie sur la place Tiananmen. Les internautes se tournent plutôt vers des réseaux sociaux locaux comme Weibo et WeChat.

Plus récemment, le président vénézuélien, dont la réélection de juillet est contestée, a suspendu la plateforme pendant dix jours en août pour museler l'opposition alors qu'il faisait face à des manifestations contre les résultats officiels de la présidentielle.

"Suspendre les réseaux sociaux en cas de crise est courant dans les dictatures", explique Fabrice Epelboin. "Ce qui est nouveau, c’est que cela commence à arriver dans des pays qui s’apparentent à des démocraties." Et d'ajouter, avec en tête la suppression de contenus propalestiniens ou de comptes d'extrême droite par le groupe Meta (Facebook, Instagram) : "Je crains qu'une censure excessive ne mette en péril notre démocratie."