La séquence a entraîné de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Vendredi 13 septembre, lors d'un meeting à Las Vegas, Donald Trump appelle sur scène un invité surprise. "Vous connaissez Nicky ? Elle est canon. Où est Nicky ?", crie-t-il à son auditoire. Sauf que "la" Nicky en question est en réalité "un" Nicky - Nicky Jam, un célèbre chanteur latino.
Coiffée d'une casquette "Make America Great Again", cette figure du raggaeton, le genre musical latino le plus écouté au monde, est venue afficher son soutien au candidat républicain. "Les gens qui viennent d'où je viens ne rencontrent pas le président. J’ai donc de la chance", s'exclame-t-il sur scène. "Nous avons besoin de vous, n’est-ce pas ? Nous avons besoin que vous soyez président."
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Accepter Gérer mes choixAlors que du côté démocrate, Kamala Harris peut se réjouir d'avoir obtenu l'appui tant attendu de la star de la pop Taylor Swift, Nicky Jam représente lui aussi un atout pour Donald Trump. À 43 ans, le chanteur originaire du Massachusetts, qui a commencé sa carrière en duo avec Daddy Yankee (La Gasolina, Despacito) avant de se lancer en solo, cumule 43,6 millions d'abonnés sur Instagram. Son tube mondial "el Perdón", en duo avec Enrique Iglesias, a été vu 1,4 milliard de fois sur YouTube. Une popularité qui peut permettre à Donald Trump d'aller grappiller des voix supplémentaires dans sa course à la Maison Blanche auprès d'un électorat traditionnellement plutôt acquis aux démocrates : la communauté hispanophone.
En 2012, Barack Obama avait recueilli 71 % du vote latino face au républicain Mitt Romney. En 2016, c'était 66 % pour Hillary Clinton. Et en 2020, les Latino avaient voté à 59 % pour Joe Biden face à Donald Trump.
"Kamala, qué mala eres"
Alors que le scrutin du 5 novembre s'annonce serré, l'ancien président semble en effet s'être lancé depuis plusieurs mois dans une opération séduction des communautés hispanophones. Avant Nicky Jam, Donald Trump avait déjà invité deux autres poids lourds du reggaeton lors d'un meeting en Pennsylvannie : Annuel AA et Justin Quiles. "Je ne sais pas si ces gens [le public] savent qui ils sont, mais c’est bon pour le vote portoricain. Tous les Portoricains vont voter pour Trump maintenant", avait-il ouvertement espéré.
Dimanche 15 septembre, le président sortant est même allé plus loin en dévoilant sur les réseaux sociaux une vidéo le montrant en train de danser au rythme d'une célèbre chanson de salsa des années 1990, "Juliana". Donald Trump apparaît d'abord dans une voiturette de golf et annonce qu'il a une "super playlist". Se lance alors la chanson "Juliana" du groupe de salsa portoricain Dark Latin Groove. À une différence près : le refrain "Juliana qué mala eres", devient dans cette version "Kamala, qué mala eres" (Kamala tu es si méchante, NDLR). En parallèle, on peut voir Trump bougeant ses bras et ses pieds lors de divers événements de campagne donnant l'impression qu'il danse sur le rythme de la musique.
Le vote crucial d'un électorat dispersé
Ce n'est pas la première fois que Donald Trump s'adonne à ce genre de fantaisie. Même s'il s'est jusqu'ici surtout illustré pour ses sorties racistes et xénophobes, il avait déjà, en 2020, tenté d'amadouer les Latinos. Il avait repris la chanson du groupe cubain "Los 3 de la Habana" lors de sa campagne pour l'élection présidentielle, détournant les paroles pour leur faire dire "Oh, for God’s sake, I’m going to vote for Donald Trump" ("Oh, pour l'amour de dieu, je vais voter pour Donald Trump").
Mais, cette fois-ci, "nous voyons vraiment un effort délibéré de Donald Trump et des républicains de courtiser le vote latino", affirme Ludivine Gilli, directrice de l’Observatoire Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès. "Et pour cause, ils ont pleinement conscience de l'importance de cet électorat dans ce scrutin présidentiel."
La communauté latina représente en effet une part de plus en plus importante de l'électorat américain. Au total, 36 millions d'électeurs latinos pourront voter le 5 novembre. C'est 4 millions de plus qu'en 2020 et 15 % de l'électorat du pays. "C'est la deuxième communauté en termes d'importance et le groupe a la croissance la plus rapide dans l’électorat américain", note la spécialiste.
Or, même si le vote global va plutôt généralement en faveur des démocrates, c'est en réalité un groupe divisé et disparate, note Ludivine Gilli. Jouent ainsi, par exemple, les pays d'origine des électeurs. Traditionnellement, ceux originaires de Cuba ou du Venezuela penchent vers Trump par anticommunisme, tandis que les autres Latinos, notamment les Mexicains, sont majoritairement démocrates.
L'économie, enjeu majeur du scrutin
"Mais au-delà des origines, on observe actuellement que la structure de la population latina est en train de changer et, avec elle, possiblement, les comportements de vote", poursuit-elle. "Aujourd'hui, beaucoup de Latinos sont nés aux États-Unis (67 % contre 45 % en 2007, selon les données du Pew Research Center, NDLR) et leurs perceptions sont très différentes de celles des Latinos récemment naturalisés. Pour ces derniers, l'immigration, par exemple, est encore un enjeu central tandis que ce n'est plus le cas pour les autres, qui vont avoir des problématiques plus proches de ceux de l'Américain moyen - le pouvoir d'achat, la sécurité, l'emploi…"
Selon un sondage réalisé par BSP Research, la question économique est par ailleurs le premier sujet qui compte pour la communauté latina. Quelque 59 % des personnes interrogées estiment ainsi que le principal problème qu'il faut régler est l'inflation, 39 %, l'emploi et l'économie et 31 % l'accès au logement. L'immigration et la question sécuritaire ne concernent prioritairement que 24 % des répondants.
"Les Latinos émergent comme un type d’électeur différent, ni républicain ni démocrate. Ils se rangent parmi les modérés, dans les deux partis", abonde dans une longue interview au journal Le Monde Mike Madrid, spécialiste de l’électorat latino, auteur de "Le siècle latino, comment la plus grande minorité des États-Unis transforme la démocratie." Une réalité qui n'a échappé ni à Donald Trump ni à Kamala Harris.
"Par exemple, certains Latinos n'acceptent pas qu'on soit laxiste vis-à-vis des migrants illégaux. Pourquoi ? Parce que eux-mêmes auront mis des années et des années à être régularisés et ils ne veulent pas que d'autres puissent couper la file. Ceux-là pourront être sensibles aux messages de Donald Trump sur le fond. Ils pourront en revanche être heurtés par les propos vulgaires du candidat", détaille Ludivine Gilli.
Faire basculer les États clés
Pour le moment, à l'échelle nationale, le camp démocrate semble toujours gagnant du vote latino. Selon un sondage Yougov, mené mi-août, Kamala Harris obtiendrait 55 % des voix de cette communauté contre 38 % pour Donald Trump. L'Institut BSP Research, quant à lui, crédite Kamala Harris de 59 % des voix contre 31 % pour Donald Trump.
Mais au-delà de leur influence globale grandissante dans la vie politique américaine, les électeurs latinos pourraient surtout jouer un rôle crucial dans certains États clés, les "Swing States".
La communauté latina est en effet une part importante de la population en Arizona ou encore dans le Nevada, représentant respectivement 30,7 % et 28,7 % des habitants. Cet électorat majoritairement d'origine mexicaine tend pour le moment en faveur de Kamala Harris.
En Pennsylvanie, aussi, le vote hispanophone pourrait s'avérer décisif. L'État compte plus de 615 000 électeurs latinos, selon le Pew Research Center. En 2020, Joe Biden avait fait basculer l'État en terminant en tête avec 82 000 voix d’avance. Quatre ans plus tôt, Trump l'avait remporté avec environ 44 000 voix d'écart.