Sur son compte Facebook (désormais suspendu, mais sauvegardé par plusieurs internautes), Ryan Routh s’affiche fièrement avec un gilet pare-balles, devant un drapeau ukrainien.
L’homme de 58 ans, accusé par la police fédérale américaine d’avoir fomenté une embuscade armée contre Donald Trump sur son terrain de golf de West Palm Beach le 15 septembre 2024, prenait en effet régulièrement la parole sur les réseaux sociaux contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Sur une sauvegarde de son compte X (également supprimé), on peut voir qu’il interpellait régulièrement des décideurs et des figures publiques pour les appeler à soutenir les forces armées ukrainiennes.
Comme révélé par plusieurs médias anglo-saxons comme la BBC ou CNN, des images publiées sur ses réseaux sociaux indiquent qu’il s’est également rendu en Ukraine au début de l’invasion menée par la Russie, en 2022. Il évoque également ce séjour dans plusieurs de ses publications.
La rédaction des Observateurs est parvenue à entrer en contact avec des personnes qui ont fréquenté Ryan Routh lors de ce séjour. Plusieurs éléments cohérents indiquent que cet homme, couvreur de profession et sans expérience militaire, a tenté de recruter des volontaires pour combattre aux côtés de l’armée ukrainienne. Certaines de ses tentatives auraient été couronnées de succès, selon le témoignage d’un de ces volontaires.
La Légion internationale ukrainienne, dans laquelle servent la plupart des volontaires étrangers au sein des forces armées ukrainiennes, dit n’avoir aucun lien avec Ryan Routh. Un responsable du département de coordination avec les étrangers du commandement de l’armée de terre ukrainienne a également affirmé à France 24 qu’il n’y avait eu “aucune coordination” entre Ryan Routh et les forces armées du pays.
“Il m’a littéralement dit : je recrute des gens pour l’effort de guerre”
Selon ses publications Twitter, Ryan Routh semble s’être rendu en Ukraine à partir d’avril 2022 dans le but de “se battre”. De leur côté, les témoignages recueillis par la rédaction des Observateurs attestent de sa présence à partir de mai 2022. Chelsea Weeks est une infirmière américaine qui s’est portée volontaire en Ukraine, dont elle est rentrée il y a deux mois. Elle affirme avoir rencontré Routh le 25 mai 2022.
J’ai rencontré Ryan à Kiev, au moment où il y avait la loi martiale. J’étais avec deux autres personnes. On allait amener de la nourriture à Kharkiv, mais en attendant nous étions assis à la terrasse d’un restaurant. Là, nous avons vu un grand blond avec un t-shirt aux couleurs des États-Unis. Je suis allé le voir, et je lui ai dit ‘salut, on est américains nous aussi’, c’est comme ça qu’on a commencé à se voir.
Les activités ukrainiennes de Routh décrites par Chelsea Weeks, qui évoque du “recrutement” et “le placement de combattants dans différentes unités”, sont peu claires. Selon des documents transmis par l’infirmière, ces activités semblaient principalement se concentrer sur du plaidoyer et des campagnes de communication visant à attirer du soutien matériel et des volontaires en Ukraine. Dans ces actions, il associe son nom à deux organisations bien réelles : le “Centre des Volontaires internationaux”, une association de volontariat basée à Lviv, et la “Légion internationale” ukrainienne, une unité militaire des forces armées ukrainiennes dédiée aux combattants étrangers.
Un universitaire polonais, Kacper Rekawek, a également pu échanger par téléphone avec Ryan Routh durant son séjour en Ukraine. Après un premier contact via un groupe sur la messagerie Signal dédié au volontariat en Ukraine, Rekawek a planifié un entretien avec Routh le 12 août 2022, afin de mieux comprendre ses motivations.
Il m’a littéralement dit : je recrute des gens pour l’effort de guerre. C’était quand même six mois après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, donc je lui ai posé la question : "Il y a des structures officielles, vous ne pensez pas que ce que vous faites est un peu problématique ?". Il m’a répondu : "Moi, je peux juste amener les bonnes personnes aux bonnes unités".
L’universitaire dit ensuite avoir perdu son intérêt pour Ryan Routh face à ses réponses peu nuancées, et après avoir entendu des rumeurs selon lesquelles ses activités à Kiev n’avait pas de réalité concrète.
De fait, les deux organisations avec lesquelles il prétendait travailler nient aujourd’hui tout lien avec lui. “Nous tenons à préciser que le Centre des volontaires internationaux n'a aucun lien avec M. Routh, n'a pas été fondée par lui et n'a eu aucune relation avec lui”, assure ainsi l’organisation caritative dans un communiqué transmis suite aux questions de France 24.
“Ses plans et ses idées peuvent être décrits au mieux par le mot ‘délirants’”
“Il nous écrivait régulièrement des choses irrationnelles”, commente quant à lui auprès de France 24 Oleksandr Shaguri, responsable au sein du Département de coordination avec les étrangers du commandement de l’armée de terre ukrainienne. “Aucune coopération n’a eu lieu entre nous, car il n’y avait rien sur quoi collaborer. Ses plans et ses idées peuvent être décrits au mieux par le mot ‘délirants’." La Légion internationale ukrainienne a également publié un communiqué démentant toute relation avec Ryan Routh sur ses réseaux sociaux.
Malgré ces démentis, usurper l’identité de ces deux organisations était manifestement une habitude chez Routh : la branche roumaine du magazine américain Newsweek a ainsi publié le 14 juin 2022 une interview de l’Américain, dans laquelle il détaille son parcours supposé. Il y est présenté comme un “recruteur américain pour la Légion internationale”. Remus Cernea, le journaliste derrière cette interview, explique aux Observateurs avoir été dupé.
Je ne lui ai demandé aucun document. Je l'ai rencontré le premier jour de mon arrivée à Kiev, en juin 2022. Je pensais que quelqu'un qui vient en Ukraine pour risquer sa vie dans une zone de guerre est forcément honnête. Plus tard, je suis devenu un peu sceptique à son égard. C'est pourquoi nous n'étions plus très proches. Mon dernier échange avec lui remonte à plus d'un an.
Des volontaires décrivent un recruteur douteux
La plupart des témoignages de soldats volontaires en Ukraine ayant rencontré Ryan Routh recueillis par France 24 et la rédaction des Observateurs cadrent avec cette image du cinquantenaire, décrit par Chelsea League comme un “expert de l’escroquerie”, “très bon pour entretenir un réseau”.
Alex [à la demande de l'intéressé, le prénom a été modifié, NDLR], un homme originaire d’un pays d’Europe de l’Ouest et doté d’expériences militaires qui souhaitait mettre ses compétences à profit pour secourir des civils en Ukraine, s’est vu remettre le contact de Ryan Routh.
Je lui ai passé un coup de fil. On a échangé quelques messages. Il ne m’a jamais demandé le détail de mes expériences militaires. Ça, pour moi, c’était bizarre, un vrai signal d’alarme. On m’avait dit qu’il était en Ukraine, mais je ne savais pas exactement ce qu’il faisait là bas. J’ai eu un ressenti bizarre, et j’ai rapidement réalisé qu’il y avait quelque chose de pas normal avec ce gars.
Ces échanges ne déboucheront jamais : Alex décidera finalement de ne pas se rendre en Ukraine.
"Ryan Routh n'a jamais servi et n'a jamais eu de lien avec l'armée ukrainienne. Tout ce qu'il a fait, c'est courir partout en présentant des projets ridicules afin de réaliser ses délires maladifs pendant la guerre”, commente un autre soldat volontaire étranger actuellement en Ukraine, qui préfère rester anonyme.
“Ce n’était pas un recruteur pour la Légion internationale”, commente une troisième personne entrée en contact avec Ryan Routh. “Pour être honnête, il avait l’air d’un cinglé pour moi. Je ne lui ai plus parlé depuis janvier 2023”.
“Ryan m’a dit qu’il pouvait me placer dans l’armée ukrainienne grâce à ses contacts”
Un témoignage tranche cependant avec ce portrait : celui de Marc Guilmard, alias “Marcus”, un français basé en région parisienne qui s’est rendu en Ukraine comme combattant et infirmier volontaire de mai 2022 à février 2023. Sans expérience militaire, il est initialement refusé par la Légion internationale ukrainienne, malgré un entraînement préalable en Pologne. Se rabattant sur des activités humanitaires au sein d’associations venant en aide aux réfugiés ukrainiens sur place, il affirme avoir eu le contact de Ryan Routh par d’autres volontaires basés comme lui à Lviv. Il le décrit comme un contact précieux, qui lui a permis d’intégrer sa première unité militaire, la Première brigade spéciale de la défense territoriale ukrainienne.
La personne qui connaissait Ryan m’a expliqué qu’il pouvait placer des gens dans l’armée ukrainienne avec ses contacts. J'ai fait un FaceTime avec lui. Il m’a demandé mon parcours, ce qui me motivait. Puis il m’a dit : ‘Un groupe se forme pour des volontaires étrangers, si tu veux en faire partie, il faut être à Kiev demain’. J’ai pris le premier train pour Kiev, et j’ai rencontré Ryan le 16 juin dans un bar pas loin de la place Maïdan, avec 6 ou 7 autres volontaires étrangers. Il nous a expliqué qu’un colonel de sa connaissance formait un bataillon de volontaires étrangers sous commandement ukrainien, et qu’il y aurait une réunion le lendemain dans un hôtel. On y est allés, il y avait une trentaine de volontaires. Le colonel nous a présenté l’unité, en nous confirmant qu’on allait signer un contrat, avoir des papiers militaires. Avant la signature, il fallait faire trois semaines d'entraînement. Je me souviens que le colonel a remercié Ryan de lui avoir encore trouvé d’autres volontaires, ce qui laissait entendre qu’ils avaient des contacts réguliers.
Le lendemain, soit le 18 juin, Marcus se réunit avec d’autres volontaires devant l’hôtel, et part pour l’entraînement à Jytomyr, à l’ouest de Kiev. Il sera déployé à Siversk dans la région du Donbass autour du 10 juillet 2022. Il affirme également que son unité était principalement composée de volontaires étrangers, à l’exception de l’encadrement. “Je n'ai pas été le seul aidé par Ryan : il y a eu un autre groupe de volontaires arrivé au bataillon après le mien. Ils l’avaient aussi rencontré”, affirme le jeune homme.
La rédaction des Observateurs n’a pas pu entrer en contact avec d’autres volontaires affirmant que Ryan Routh les auraient aidés à rentrer dans les forces armées ukrainiennes.
Après, j’ai eu très peu de contacts avec lui car il estimait que son travail était terminé en ce qui me concernait. Mon dernier contact avec lui remonte à février 2023. Il m’a appelé pour prendre des nouvelles avec un numéro ukrainien, donc je pense qu’il devait encore être là bas.
Deux sites dédiés au recrutement ont été gérés par Ryan Routh
Les efforts de Ryan Routh pour tenter de recruter des étrangers souhaitant combattre aux côtés des Forces armées ukrainiennes ne se sont pas limités à ses voyages sur place. À l’aide d’une recherche Google sur son numéro de téléphone portable, que la rédaction des Observateurs a pu obtenir, il est possible de retrouver un site sur lequel Ryan Routh appelle à “se battre pour l’Ukraine”.
Présenté comme l’administrateur du site, il y donne des conseils potentiellement dangereux, et en violation des lois ukrainiennes : “N’appelez pas l’ambassade de votre pays d’origine pour demander l’autorisation de rejoindre le combat. Montez simplement dans un avion et venez en Ukraine et rejoignez-nous, car il existe d’innombrables groupes militaires et humanitaires qui ont besoin d’aide”, assure-t-il. Il va jusqu’à donner des consignes détaillées pour se rendre en Ukraine, illégalement si nécessaire. “Si tout le reste ne fonctionne pas, traversez la frontière [de la Pologne] jusqu’en Ukraine [...], et entrez en contact avec moi”, ajoute-t-il, en donnant son numéro de téléphone et le lien vers ses réseaux sociaux.
Bien que le site comporte une section “informations par des combattants” comportant plusieurs retours d’expérience, il est impossible de confirmer que qui que ce soit ait été recruté via ce site. “À ce qu’il me semble, il se concentrait sur les personnes qui étaient déjà sur place”, commente l’ancien volontaire français “Marcus”.
Toujours à l’aide du numéro de Routh, il est possible de trouver un deuxième site de recrutement créé par lui : cette fois, le site est attribué à une supposée “Légion étrangère de Taïwan”. “Nous recrutons des civils et des militaires du monde entier qui souhaitent rejoindre Taïwan [...] pour défendre les libertés fondamentales”, indique le site. Routh en serait le “coordinateur du centre des volontaires internationaux”.
Le site va jusqu’à prévoir un questionnaire en ligne pour les personnes intéressées. Ses rubriques sont pour le moins éclectiques : “Pouvez-vous organiser un festival ?”, demande-t-il ainsi, entre deux questions sur les expériences militaires du candidat. Là-aussi, aucun élément ne permet affirmer que des recrutements ont été effectués via ce site.
Un paragraphe retient cependant l’attention. Dans celui-ci, Ryan Routh évoque un “projet ‘soldats afghans pour Taïwan’”, visant manifestement à importer des soldats afghans entraînés par les États-Unis lors de l’intervention américaine dans le pays, de 2001 à 2021, et aujourd’hui réfugiés en raison du retour au pouvoir des Taliban. “J'ai des milliers de soldats afghans qui sont formés par l'Otan et qui se battront pour 100 à 200 dollars par mois”, prétend-il ainsi dans un post de blog sur son site. Ryan Routh reprenait régulièrement ce type d’affirmations sur son compte Twitter, où il semble avoir été en contact avec au moins une personne intéressée.
La rédaction des Observateurs est parvenue à entrer en contact avec cette personne, un jeune homme qui affirme résider à Kaboul. Il prétend que ses contacts avec Ryan Routh ne se sont pas limités à des échanges sur ses réseaux sociaux publics.
"Après la chute du gouvernement afghan [en août 2021, suite a l'entrée des Taliban dans la capitale afghane, NDLR.], j'ai perdu mon travail, je n'étais vraiment pas bien. La guerre en Ukraine a commencé [en février 2022], et j'ai entendu dire que l'armée de ce pays recherchait du monde. J'ai regardé en ligne, et j'ai trouvé que cet homme recrutait des soldats afghans pour l'Ukraine. Alors je l'ai contacté sur Twitter. Il m'a envoyé un document avec beaucoup de questions sur mon parcours."
Le jeune homme affirme avoir été ajouté dans un groupe Facebook avec d'autres Afghans intéressés. Mais ses démarches n'auraient jamais abouti, notamment en raison de l'absence d'une ambassade ukrainienne à Kaboul.
À ce jour, la rédaction des Observateurs n'a pu identifier un cas dans lequel Ryan Routh serait parvenu à faire venir une ou plusieurs personnes de nationalité afghane en Ukraine ou à Taïwan.
Catherine Norris-Trent, envoyée spéciale de France 24 a Kiev, a participé à l'écriture de cet article.