Voitures incendiées, barricades enflammées... Depuis quelques jours, Fort-de-France, chef-lieu de la Martinique, est le théâtre de barrages et de violences nocturnes dans un contexte de mobilisation contre la vie chère.
À l’origine, la contestation vise un enjeu stratégique : la distribution alimentaire dans cette région française d'outre-mer. Le Grand Port de la Martinique, point d'entrée et de sortie de 98 % des marchandises du territoire, est paralysé par des actions de protestation depuis le 1er septembre.
Vêtus de rouge en signe de ralliement, les membres de l'association Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) ont intensifié la pression sur la grande distribution en bloquant les hypermarchés. Cette action a rapidement trouvé un écho auprès de nombreux Martiniquais. Comme en témoigne Arlette, salariée rencontrée par Martinique La 1ère sur le parking d'un Carrefour à Fort-de-France transformé en lieu de rassemblement : "Je suis obligée de me priver pour que mes enfants puissent manger."
De son côté, Alain-Pierre, retraité, confie vivre "dans le minimum", redoutant chaque imprévu qui pourrait mettre en péril son budget serré. Gaël, père de cinq enfants, est lui aussi confronté à des difficultés financières. Malgré son emploi en intérim de conducteur d’engin, il se retrouve régulièrement à découvert. "Je ne peux pas offrir à mes enfants les activités qu'ils aimeraient", déplore-t-il.
“Sentiment d'injustice et de colère"
Née sur les réseaux sociaux, cette mobilisation, qui n'est pas à l'initiative des syndicats, porte les mêmes germes que la grève générale de 2009 qui avait paralysé la Martinique et la Guadeloupe. Quinze ans plus tard, les Martiniquais sont toujours confrontés à ce qu'ils appellent la "pwofitasyon" (les profits excessifs). Malgré les avancées obtenues, le fossé qui existe entre les prix pratiqués à la Martinique et ceux de l'Hexagone persiste, atteignant 40 % pour les produits alimentaires, selon une étude de l'Insee publiée en juillet 2023.
Et la facture peut être très sensiblement supérieure. Par exemple, quatre pots de compote sont presque trois fois plus chers et un paquet de riz basmati 84 % plus cher en Martinique qu’en métropole, selon les données récoltées sur le comparateur de prix Kiprix.
"L'éloignement géographique de la Martinique, un système de distribution complexe et une fiscalité obsolète contribuent à maintenir les prix élevés", explique Olivier Sudrie, économiste spécialiste des Outre-mer. "Ce sont les ménages les plus modestes qui sont les plus touchés par l'inflation, ce qui entraîne un sentiment d'injustice et de colère."
Selon les statistiques de l'Insee, en 2020, 27 % de la population vivaient en dessous du seuil de pauvreté national (fixé à 1 120 euros par mois et par unité de consommation) contre 14,4 % dans l'Hexagone. "Pour cette partie de la population, la coupe est pleine", poursuit l’expert. "Cette situation économique difficile contribue à un malaise social profond".
Alignement des prix
Le 1er juillet dernier, le RPPRAC avait adressé "une injonction" aux acteurs de la grande distribution martiniquaise, les sommant d'aligner leurs prix sur ceux fixés dans les commerces de métropole. Un "fantasme", répond Philippe Jock, le président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la Martinique, auprès du Monde.
Pour faire pression, le RPPRAC a appelé à des actions "pacifiques" mais sans bloquer l'économie globale, jusqu'à ce que la transparence soit faite sur les négociations en cours. Les représentants du mouvement exigent que celles-ci soient filmées et retransmises en direct sur les réseaux sociaux. Ils ont déjà quitté plusieurs réunions en signe de protestation, notamment celle du 12 septembre en préfecture, n'ayant pas accepté que les échanges restent privés.
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Accepter Gérer mes choixPour faire face à cette crise, l'État, les distributeurs et les collectivités se sont engagés à faire baisser "de 20 % en moyenne" les prix de 2 500 produits de première nécessité. De son côté, la Collectivité territoriale envisage de renoncer à une partie de ses recettes en supprimant les taux d'octroi de mer (taxe spécifique aux départements d’Outre-mer sur les produits importés, y compris de l'Hexagone) sur un grand nombre de produits.
Tensions nocturnes
Mais depuis une semaine, les rassemblements pacifiques sont éclipsés par des violences urbaines nocturnes. Dans la nuit du mardi 17 au mercredi 18 septembre, un supermarché a été envahi et un restaurant McDonald’s incendié à Fort-de-France. La veille, six policiers avaient été blessés par des tirs de plomb.
"Le préfet déplore que des milliers de Martiniquais subissent un tel déferlement de violence, et notamment les habitants de ces quartiers [Dillon et Sainte-Thérèse, NDLR], déjà fortement touchés par la situation économique et sociale", selon le communiqué de la préfecture.
“Certains jeunes se sentent exclus et mal insérés dans la société, ce qui peut accentuer les tensions sociales et expliquer en partie cette délinquance”, analyse l’économiste.
La jeunesse martiniquaise est lourdement touchée par le chômage : sur l'île, le taux est deux fois supérieur à celui enregistré dans l'Hexagone. En 2023, il s’élevait à 24 % chez les 15-29 ans contre 13 % en France métropolitaine.