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Les rebelles houthis du Yémen ont-ils vraiment lancé un missile hypersonique sur Israël ?
Dimanche les rebelles houthis ont assuré avoir attaqué le centre d’Israël "avec un nouveau missile balistique hypersonique", qui a parcouru 2 040 km en seulement 11 minutes et demie avant de toucher sa cible. Une affirmation tempérée par l’armée israélienne qui a évoqué un simple missile sol-sol, neutralisé en l’air. Décryptage.

Membres actifs de l'"axe de la résistance" façonné et chapeauté par la République islamique d'Iran, ennemi juré d'Israël et des États-Unis, les Houthis ont franchi, dimanche 15 septembre, une nouvelle étape dans leurs attaques contre l’État hébreu en revendiquant le tir d’un "nouveau missile balistique hypersonique", fabriqué au Yémen.

Selon les rebelles chiites, entrés en action, comme le Hezbollah libanais, un autre acteur de l’axe pro-iranien, pour soutenir le Hamas que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a promis d’annihiler après les attaques du 7 octobre, l'opération visait une cible militaire "dans la région de Yafa (le nom arabe de Jaffa) en Palestine occupée".

C’est la première fois que les Houthis, selon lesquels le missile a parcouru 2 040 km en seulement 11 minutes et demie, parviennent à envoyer depuis le Yémen, situé à environ 1 800 km d'Israël, un projectile vers la zone centrale du pays. En juillet, l'armée israélienne avait annoncé l'interception d'un missile provenant du Yémen, en direction de la station balnéaire d'Eilat, dans le sud de l’État hébreu.

Missile sol-sol ou missile balistique ?

Dimanche, l’armée israélienne a tempéré la version des Houthis, en indiquant qu’il s'agissait d’un missile sol-sol, et non pas d’un missile hypersonique. Entre guerre de communication et guerre psychologique, les experts tentent de faire la part des choses.

Alexandre Vautravers, spécialiste des questions d'armement et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse, rappelle que les Houthis "disposent d'un arsenal assez impressionnant, qui se compose majoritairement de missiles balistiques.

"Jusqu'à il y a une dizaine d'années, la plupart des missiles balistiques en service dans différents pays au Moyen-Orient, mais également en Iran et en Irak, étaient des dérivés du Scud, d’une portée d’à peu près 600 à 700 kilomètres, précise-t-il. On reste aujourd'hui dans des missiles qui sont similaires à ce Scud, mais la technologie s'est considérablement améliorée ces dix dernières années".

Et d’ajouter : "les Houthis, qui ont reçu des parties [du missile, NDLR] ou alors des fusées qui ont des portées pouvant aller au-delà de 2 000 kilomètres, disposent de ce type de technologie".

"Le problème, c'est que le terme hypersonique peut être compris d'une manière large et générale, ou bien alors il peut désigner un type d'arme extrêmement précis", souligne Alexandre Vautravers.

"Dans la définition générale, on peut dire que les Houthis ont raison, puisque, factuellement, un missile balistique qui va s'envoler et qui va dépasser les 23 à 25 kilomètres d'altitude, donc s'extraire de l'attraction terrestre pour aller dans l'espace avant de revenir sur terre, va redescendre avec une vitesse qui est hypersonique. C'est à dire une vitesse supérieure à cinq fois la vitesse du son [Mach 5]".

Et de nuancer : "Donc, oui, le missile ou l'ogive ou la tête du missile, qui a pu être assemblé au Yémen avec des composants venus d’ailleurs, est hypersonique, c'est un fait. Maintenant, les Israéliens ont aussi raison d'affirmer que ce n'est pas un missile hypersonique, mais un missile balistique sol-sol. Parce qu'aujourd'hui, la définition sophistiquée, précise et militaire d'une arme hypersonique, c'est une arme qui effectivement vole à plus de cinq fois la vitesse du son, mais qui peut être dirigée durant son vol".

Or, en l'occurrence, le spécialiste des questions d'armement indique qu’à sa connaissance, les trajectoires des projectiles de différentes technologies et de différentes provenances à disposition des Houthis ne peuvent pas être corrigées ou dirigées durant leur retour dans l'atmosphère.

"Même le missile russe Kinjal, qui est réputé hypersonique, ne l'est pas tout à fait, selon cette définition-là", précise-t-il.

Un défi sécuritaire pour Israël

Toute la communication des Houthis repose sur la portée du missile utilisé dimanche. "Petit à petit, la recherche et développement en Iran, en Corée du Nord et dans un certain nombre d'autres États, ont permis d'augmenter la portée de ce type d'armes, qui n'a rien de vraiment révolutionnaire et que l'on connaît depuis plusieurs décennies, poursuit Alexandre Vautravers. Aujourd’hui elle peut atteindre sans trop de difficultés des distances de 1 600 à 2  000 kilomètres, voire peut être de 2 200 à 2 400 kilomètres".

Ce qui pose un défi sécuritaire pour l'État d'Israël, sans pour autant être, selon le spécialiste, "un défi technologique majeur pour lui". En effet, en raison de leur trajectoire parabolique et très prévisible, insiste-t-il, ces projectiles peuvent en principe être détectés de manière très précoce et peuvent en pratique être interceptés, comme ce fut le cas pour le missile des Houthis qui a été intercepté avant de toucher sa cible, alors que seuls des débris sont retombés sur le sol israélien.

Dimanche, un responsable militaire israélien a indiqué que le missile avait été touché par un intercepteur et s'est fragmenté dans l'air sans être complètement détruit. De leur côté, les Houthis, par la voix de Nasruddin Amer, chef-adjoint du bureau des médias des rebelles chiites, ont affirmé dans un message publié sur X que le missile avait atteint Israël sans que "20 missiles ne réussissent à l’intercepter". Encore des versions qui divergent.

"Israël dispose d'un missile nommé Arrow qui a été spécifiquement développé pour l'interception de ce type d'armes à très haute altitude, à très longue portée, décrypte Alexandre Vautravers. Il s’agit donc d’une question de combien ça coûte de protéger l'espace aérien, les infrastructures et la population israélienne, plus que d’un défi technologique".

"Plusieurs messages" contenus dans un seul missile hypersonique

En tirant un seul missile vers le centre d’Israël, les Houthis ont-ils "seulement" voulu envoyer un avertissement aux Israéliens ? 

"Ils devraient savoir (...) que nous faisons payer un lourd tribut à toute tentative de nous nuire, a répliqué dimanche Benjamin Netanyahu au début d'une réunion de son cabinet. Ceux qui ont besoin qu'on leur rafraîchisse la mémoire à ce sujet sont invités à visiter le port d'Hodeïda", en référence au port yéménite après une attaque des Houthis au drone à Tel-Aviv qui avait tué un civil.

"Les Houthis n’ont de cesse de dire qu’ils n'arrêteront leurs opérations que lorsque les armes se tairont dans la bande de Gaza, souligne Oraib Al Rantawi, directeur du Centre Al-Quds d'études politiques, basé  à Amman, en Jordanie. Or, ce tir de missile intervient dans un contexte de blocage des négociations de cessez-le-feu et de menaces israéliennes d’extension du conflit vers le Liban".

"Ce missile est donc un message, plus qu’une attaque destinée à frapper directement Tel-Aviv ou l'aéroport Ben Gourion, poursuit-il. Pour être précis, je vois même plusieurs messages contenus dans ce seul missile hypersonique, dans le sens où les Houthis démontrent qu’ils peuvent frapper Tel-Aviv, Jérusalem, ou encore l’aéroport Ben Gourion. Plus important encore, le message des Houthis est aussi de dire que les missiles iraniens sont également capables d'atteindre Israël, car la distance entre la zone d'où leur projectile balistique a été lancé et Tel-Aviv est bien plus grande que la distance entre l’Iran et Israël".

La précision de ce type d’arme "étant relativement faible, et sa charge utile n'étant pas très importante, elle n'est militairement efficace que si elle est tirée en salve", indique Alexandre Vautravers.

"C’est cela qui permet de rendre plus difficile la détection et l'interception, d’autant plus qu'un seul missile intercepteur antiaérien ne suffit pas pour être certain de détruire ce type de missile balistique".

Et de conclure : "si vous tirez un seul missile, il y a de grandes chances qu'il soit détecté et intercepté et donc rendu inopérant, par contre si vous tirez une salve de seize missiles, il devient tout d'un coup beaucoup plus complexe pour le défenseur de s'assurer qu’aucun d’entre eux ne touchera sa cible".