, envoyé spécial à Angoulême – Alors que le marché de la bande dessinée stagne en France, auteurs et éditeurs cherchent à lui donner un second souffle sur les écrans de téléphones portables et d’ordinateurs. Enquête au Festival d'Angoulême, où la BD numérique fait une percée.
Lire un manga ou un bon vieux Tintin sur le petit écran d’un téléphone portable... L’idée pourrait donner des boutons aux inconditionnels du bon vieil album papier, comme le fit en son temps le mp3 aux mélomanes.
Sur certains stands du 37e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, le numérique est pourtant considéré comme l’avenir du 9e art, rien de moins. "Aujourd'hui, toute une génération apprend à lire sur des écrans. Pour elle, il sera naturel de lire des BD numériques", affirme ainsi Benoît Preteseille, de Warum, éditeur indépendant depuis 2004. Ce "vieux ringard attaché à l’exemplaire papier" a pourtant choisi de tester le support numérique pour les premières planches d'un nouvel album intitulé "Au Rallye". Bientôt, une dizaine de titres du catalogue de Warum seront disponibles sur le site digibidi.com, dont le modèle économique s’apparente à celui de la vidéo à la demande (VOD) : une fois la BD achetée (à un prix environ 4 fois inférieur à celui de l’album papier), vous pouvez la lire sur votre ordinateur pendant quelques jours.
Des bandes dessinées à la demande ou à télécharger, sur ordinateur ou sur smartphone : la tendance numérique s’est affirmée cette année à Angoulême. Et pour cause : même si le marché de la BD résiste mieux à la crise que l'édition en général, la production se tasse (3 500 nouveaux albums ont paru en 2009, soit une hausse de 2,4 % par rapport à 2008, alors que la progression avait été de 10 % l'année précédente). La vitalité apparente du secteur pourrait n'être qu’un "trompe l’œil", confirme l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD) dans son rapport annuel. Devant un tel constat, éditeurs, auteurs et distributeurs voient donc le numérique comme un nouveau débouché pour le 9e art.
Numérique et cinématique
"La BD numérique connaîtra un boom en 2010", croit savoir aussi Michel Lecinas d’Aquafadas, l’un des principaux diffuseurs de bande dessinée numérique. À la différence de ses concurrents - qui diffusent des albums existant déjà sous la forme d'ouvrage papier - Aquafadas a frappé un grand coup l’été dernier en créant la toute première BD exclusivement numérique. Réalisée par le célèbre dessinateur Lewis Trondheim (co-fondateur de la maison d’édition L’Association et auteur, notamment, de la série "Lapinot"), mise en images par Ave Comics, la branche BD numérique d’Aquafadas, "Bludzee" raconte les aventures d'un petit chat aux yeux bleus qu'on peut lire en installant l’application éponyme sur son iPhone.
Sur un marché encore balbutiant, Michel Lecinas sait que "Bludzee" est "un cas unique, mais pas pour très longtemps". Ave Comics teste donc de nouveaux supports (consoles X-Box ou PSP, notamment) et travaille sur la cinématique de cette nouvelle bande dessinée.
Définie comme la mise en scène du mouvement, la cinématique est l’un des aspects les plus novateurs de la BD numérique. Alors qu’un album classique se lit case par case, cette nouvelle technologie permet une lecture dynamique, un mode de narration propre : zoom ou dézoom, fondus, travelling sur les cases, ajout d’illustrations sonores, etc. Sur l’application pour iPhone du Festival d'Angoulême par exemple, l’utilisateur peut lire des planches d’albums retenus dans la sélection officielle animées par différents effets.
La mort de l’album papier ?
Reste que si la BD numérique commence à faire son trou, ses adversaires fourbissent déjà leurs arguments. Tous affirment notamment que ce nouveau support pousse l’ancien dans la tombe. Mais au Japon, où le marché existe depuis près de dix ans, le numérique n'a pas enterré le livre, répondent éditeurs et distributeurs numériques, qui relativisent.
Mieux : pour Manolosanctis, une jeune maison d’édition qui a vu le jour à l’automne 2009, le numérique pourrait bien être l’allié de l’album papier. Selon Arnaud Bauer, le président de cet éditeur collaboratif qui propose tout son catalogue (4 titres à ce jour) dans les deux formats, le premier est le meilleur vecteur de promotion du second. La stratégie de Manolosanctis consiste en effet à se servir du Web (Facebook, Twitter, blogs) pour "donner envie d’acheter le papier", car "le livre sera toujours là", poursuit Arnaud Bauer.
Lewis Trondheim ne disait pas autre chose lorsqu’il déclarait avec humour au journal 20 minutes en 2007 : "Il va y avoir une gigantesque éruption solaire qui va péter tous les satellites. Il n'y aura plus Internet et on sera content d'en avoir une trace sur papier."