
Un changement de règles concernant la vie privée des utilisateurs de l'application Telegram ? Depuis l'interpellation le 24 août dernier de Pavel Dourov, créateur et patron de la plateforme de messagerie cryptée, à la sortie de son jet privé à l’aéroport du Bourget près de Paris, de nombreux internautes se sont inquiétés de potentielles atteintes à la vie privée de la part de la justice française et européenne contre les utilisateurs de la plateforme, mondialement reconnue pour garantir la confidentialité des échanges privés entre ses 950 millions d’utilisateurs.
Dernier cas en date : le 5 septembre, plusieurs internautes ont affirmé sur X que Telegram avait modifié "discrètement" ses règles de confidentialité relatives aux échanges privés. La plateforme aurait en effet supprimé ce même jour une phrase de sa FAQ indiquant que "tous les échanges et groupes sur Telegram restent privés entre leurs participants". La plateforme précisait par ailleurs ne pas traiter "les requêtes qui y sont liés".
Le compte X tier10k, pro-Trump et spécialisé dans les cryptomonnaies, a notamment partagé une capture d'écran montrant ces changements supposés de réglementation dans un post publié le 6 septembre et qui cumule plus de dix millions de vues (voir ci-dessous). Le post est repartagé le jour même par Elon Musk, dont le message cumule également plus de neuf millions de vues.

Une phrase toujours présente dans la FAQ, mais à un autre endroit
En réalité, la phrase en question est toujours présente dans la FAQ. Elle était jusque-là écrite à deux endroits, en réponse à deux questions (comme le montre la capture d’une archive en français ici) : la première était : "Il y a du contenu illégal sur Telegram. Comment puis-je le faire retirer ?", la seconde : "Un bot ou un canal porte atteinte à mes droits d'auteur. Que faire ?"
Elle n’est désormais écrite qu’en réponse à la question concernant les questions de droits d'auteur (voir sur l’image ci-dessous surlignée en orange).

À la première question, la réponse initiale a été remplacée par des paragraphes indiquant la marche à suivre pour signaler des contenus qui paraîtraient illégaux auprès des modérateurs de Telegram.
En comparant les deux versions, il est possible de penser à première vue qu'aucun signalement n'était possible auprès de modérateurs, ce qui a pu susciter l'inquiétude de nombreux internautes. Néanmoins, la précédente version de la FAQ donnait déjà des éléments, toutefois moins précis, pour signaler ces contenus jugés illégaux par les internautes.
"Les discussions privées restent privées"
Ce point rappelle qu'il existe une différence claire entre les conversations privées et publiques sur Telegram. Avant l'évolution de la FAQ, il était en effet déjà possible de signaler des contenus issus de conversations publiques.

À l'inverse, il n'est toujours pas possible de signaler un message ou contenu envoyé par message privé sur la plateforme, comme l'a testé de nouveau la rédaction des Observateurs le 6 septembre.
"Tout cela n'a aucun sens", explique aux Observateurs Antoine Champagne, rédacteur en chef de Reflets.info et spécialiste des questions numériques. "Il y a une incompréhension [de la part des internautes] sur la manière dont fonctionne Telegram. Les canaux Telegram qui sont publiques n'ont jamais été chiffrés. Tout est public. Il n'y a pas de 'privacy' dans Telegram, à part en conversation one to one".
Quelques heures après la publication du post du compte tier10k, le compte X officiel de Telegram a aussi rappelé que les utilisateurs ont "toujours eu la possibilité de signaler aux modérateurs les messages provenant de n'importe quel groupe, comme dans le cas d'un transfert".
"Les discussions privées restent également privées [...]. N'importe qui peut vérifier notre code et constater qu'il n'y a pas eu de changement. La modification de la FAQ a permis de clarifier la procédure de signalement", a indiqué la plateforme.
Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choixRemi Vaughn, porte-parole de Telegram, a aussi affirmé auprès du média spécialisé The Verge que le code source de l'application n'a pas changé. "Les discussions privées restent également privées, bien que vous puissiez toujours signaler une nouvelle discussion entrante aux modérateurs en utilisant Bloc > Rapport."
"N'importe qui peut vérifier le code source ouvert de Telegram et constater qu'il n'y a pas eu de changement", a souligné Remi Vaughn, pour indiquer qu'aucun nouveau mécanisme de modération proposé aux utilisateurs n'avait été mis en place.
"Une évolution de la présentation de sa FAQ, et non de son logiciel"
"On peut comprendre la réaction initiale des internautes, mais Telegram indique bien qu'il ne s'agit que d'une évolution de la présentation de sa FAQ, et non d'une évolution de son logiciel", explique de son côté Bastien Le Querrec, juriste au sein de l'association spécialisée sur les questions de défense des droits sur Internet, la Quadrature du Net, auprès de la rédaction des Observateurs.
Ce dernier rappelle que "pour une messagerie privée où les communications sont privées, Telegram n'a pas le droit de surveiller activement les contenus".
Malgré tout, comme l'a soulevé la Quadrature du Net dans un article publié le 3 septembre, Bastien Le Querrec estime qu'il existe une "crainte que le parquet en France reproche à Telegram de ne pas avoir fait de modération de ses contenus privés". "Mais même si la crainte que Telegram a commencé à faire de la surveillance peut être légitime, ce ne semble pas être le cas dans ce cas précis."
Bastien Le Querrec suggère que ces évolutions de la FAQ sont surtout liées à de potentielles nouvelles réglementations qui s'appliqueraient à Telegram dans le cadre du texte européen du Digital Services Act.
"Peut-être que Telegram est en train d'anticiper des obligations à venir, avec des obligations de modération et des mécanismes de notification, ce qui semble être le cas ici. Mais Telegram ne semble pas dire qu'ils font de la surveillance généralisée des contenus, ni qu'ils auraient compromis la sécurité de la plateforme."
Un point aussi confirmé par Antoine Champagne : "C'est potentiellement un petit signe vis-à-vis de la justice française pour mettre en place de la modération et se mettre au moins de façade en conformité avec les textes européens."
"Nous sommes prêts à quitter ce pays"
Sur son compte personnel, Pavel Dourov a lui publié une longue déclaration le 6 septembre 2024 dans laquelle il revient sur les engagements de son application. Il rappelle : "Parfois, nous ne parvenons pas à nous mettre d'accord avec l'autorité de régulation d'un pays sur le juste équilibre entre la protection de la vie privée et la sécurité. Dans ce cas, nous sommes prêts à quitter ce pays", laissant penser que si le cas se présentait, Durov préfèrerait que Telegram soit interdit en France ou dans un autre pays plutôt que de compromettre la confidentialité des conversations privées.
Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
Accepter Gérer mes choix