"Et je coupe le son ! Et je remets le son !" Philippe Katerine, l'exubérant chanteur français que la planète entière a découvert en Dionysos durant la cérémonie d'ouverture des JO ferait un animateur parfait pour l'ambiance du goalball. Non pas que la discipline se pratique nu. Mais le silence y est capital pour son bon déroulé. Ce qui n'empêche pas le public de se déchaîner entre les points. Comme les danseurs sur le tube "Louxor ! J'adore !" du chanteur vendéen.
Le goalball est une des deux disciplines des Jeux paralympiques n'ayant pas d'équivalent chez les valides, tout comme la boccia. Il se joue sur un terrain à la taille similaire de celui utilisé en volley (9x18 m) mais avec un but de chaque côté. Dans les faits, on a donc plutôt un mélange entre du handball avec une touche de bowling. Et, contrairement au cécifoot, il se joue à la main.
Comme de nombreuses disciplines paralympiques, elle a été créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour les soldats ayant perdu la vue. Le goalball est réservé aux déficients visuels, du malvoyant à l'aveugle complet. Un masque opaque porté par les trois joueurs de chaque équipe qui s'affrontent garantit l'équité.
Le but du jeu est simple : marquer dans la cage de l'adversaire à l'aide du ballon rempli de grelots. Les joueurs évoluent sur le terrain au toucher grâce à des repères. Ils font leurs arrêts et leurs frappes de balle en se fiant aux grelots du ballon et aux crissements des chaussures de leurs adversaires.
Avec l'entrée des joueurs de l'équipe de France et des États-Unis, l'ambiance monte instantanément d'un cran dans l'Arena Porte de Versailles. "Allez les Bleus ! Allez les Bleus !" Le stade est en feu, comme pour le handball trois semaines auparavant. Les gestes des entraîneurs pour haranguer la foule et faire ressentir les émotions à l'équipe se conjuguent à la sono qui crache du Téléphone, du The Clash mais aussi… du Philippe Katerine justement !
Puis, finalement… un silence de cathédrale. "Quiet please !" Une absence de bruit digne d'une finale de Roland-Garros pour que les joueurs puissent se focaliser sur le jeu. Des volontaires portent des petites pancartes "Silence, s'il vous plaît" pour rappeler à l'ordre. À ce niveau de concentration, le moindre mouvement d'une chaise en bord de terrain, ou la prise d'antenne un peu trop enthousiaste d'un confrère en tribunes de presse, peut casser la concentration des joueurs.
Le "fractionné de l'encouragement"
Le public n'a le droit de donner de la voix que lors des temps morts et des sorties. Et il ne s'en prive pas. On tape joyeusement du pied, on hurle tout son saoul et on applaudit tout ce qu'on peut.
"Quand on a l'habitude des stades de foot. C'est un peu perturbant au début mais on s'y fait", explique Alexis. "C'est même sympa. J'aime ce côté où on garde ses forces pour l'explosion quand on a le droit. C'est un peu du fractionné de l'encouragement !"
"Et puis il y a un petit jeu qui s'installe avec les "quiet please !" de l'arbitre, les "shhhhhh" de la foule. Ça fait comme le tennis", complète son ami Timothée.
Les deux Normands sont venus de Caen pour assister à la journée d'épreuves à l'Arena Paris Sud avec le "pass découverte" mis en place par Paris 2024. L'occasion pour eux de voir en vrai le goalball et la boccia qu'ils ont découverts lors des Jeux paralympiques de Tokyo… Ils rappellent au passage que les billets sont beaucoup moins onéreux que lors des JO.
Un public important pour "faire le vide"
Sur le terrain, l'affrontement est physique et tactique. Il faut être capable d'encaisser durant tout le match un ballon de 1,25 kg et de le tirer avec la même force pendant les 2x12 minutes que dure la partie. Et l'aspect tactique est un régal pour les yeux : les joueurs tentent de se déplacer le plus silencieusement possible pour trouver un angle sans en informer l'adversaire. D'autres tapent des mains ou font crisser les chaussures pour perturber la défense de l'équipe en face. Et à la moindre faute du public, les arbitres rappellent immédiatement à l'ordre et font rejouer.
Pourtant, les Français cherchent à enflammer le public. Sur le banc de touche, le numéro 4, Thomas Ramos-Martins, est intenable et harangue la foule à chaque arrêt de jeu alors que l'équipe de France court après le score contre les États-Unis pendant toute la partie. Dans ce sport où l'audition est au centre du jeu, les Français font de ce bruit un élément essentiel pour rester concentrés :
"On a besoin de ces moments. Ces moments d'ambiance nous font du bien, ils permettent une réelle coupure. Puis, quand ils disparaissent, il n'y a plus que le ballon et nos adversaires", décrit Nabil Baich, numéro 3 de l'équipe de France, après le match.
"Avec vos yeux, vous arrivez à voir de près ou de loin, en haut ou en bas, s'il fait nuit ou jour. Nous, avec nos oreilles, on est attentif à tout ce qui passe en permanence : ce qui se passe en face, sur les côtés, les consignes du coach. S'ouvrir au bruit du public pendant les pauses nous permet de faire le vide. Puis, on 'ferme les oreilles' pour se refocaliser sur le jeu", complète-t-il avec pédagogie.
Proche de l'exploit
Et dans une ambiance électrique, l’équipe de France passe très proche d'accrocher les États-Unis (4-5). Il s'en est fallu d'un rien, peut-être un pénalty raté à quatre minutes de la fin. Classés 28e mondiaux avant les JO, les Bleus savaient qu’ils partaient de très loin mais restent positifs.
"On a senti le public monter en puissance depuis le début de la compétition", dit en souriant Nabil Baich. "Ils sont formidables. C'est vraiment un plus. On a tous envie de croire à un exploit en quart de finale."
Avec ces trois défaites dans la poule A, la France hérite du leader de l'autre poule, un très gros morceau pour une équipe qui dispute ses premiers JO. Avec les silences et les encouragements de ce public, rien n'est impossible.