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Allemagne : en Thuringe, Björn Höcke, extrêmement à droite et très près du pouvoir
Dans le Land de Thuringe, l’Alternative für Deutschland, parti d’extrême droite, pourrait bien arriver largement en tête à l’issue des élections régionales de dimanche. Une victoire qui serait d’autant plus importante que la région est le fief de Björn Höcke, l’un des politiciens les plus extrémistes actuellement en Allemagne.

Jamais l’extrême droite allemande n’a été aussi proche des portes du pouvoir. Et l’homme qui toque de plus en plus fort à la porte des responsabilités s’appelle Björn Höcke, figure emblématique du mouvement populiste de droite radicale Alternative für Deutschland (AfD). Ce quinquagénaire rêve de devenir, dimanche 1er septembre, le premier responsable de l’AfD à diriger une région allemande.

Son parti est, en effet, largement en tête des sondages pour les élections régionales en Thuringe, un Land d’Allemagne de l’Est avec environ 30 % des intentions de vote. “Ce serait la première fois [depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, NDLR] que l’extrême droite arrive en tête à l’occasion d’une élection régionale”, souligne Ed Turner, spécialiste de politique allemande à l’université Aston de Birmingham.

Zéro chance de prendre les rênes de la région ?

De quoi susciter un véritable tollé dans le pays, surtout qu’en Saxe, Land voisin qui vote aussi le 1er septembre, les sondages sont tout aussi favorables à l'AfD. “Il y a toutes les chances pour qu’une telle victoire ébranle le socle des valeurs démocratiques sur lesquelles l’Allemagne de l’après-guerre s’est construite, toutes les chances pour que l’onde de choc provoque une vive inquiétude et des tensions au sein du monde politique allemand”, précise cet expert.

Mais, “il n’y a quasiment aucun risque que Björn Höcke devienne le futur ministre-président [nom attribué au chef d’un Land, NDLR] de Thuringe”, ajoute-t-il aussitôt. Il ne suffira pas, en effet, de sortir premier des urnes. Avec les 30 % de voix prévus, l’AfD n’aura très probablement pas la majorité pour gouverner seul et “même s’il serait logique en théorie d’appeler le parti qui arrive en tête pour former une coalition, toutes les autres formations ont fait savoir clairement qu’elles refuseraient de gouverner avec Björn Höcke”, précise Axel Salheiser, spécialiste des partis d’extrême droite à l’Institut pour la Démocratie et la Société civile (IDZ) à Iéna en Thuringe.

Il n’empêche, même si la présidence du Land devrait échapper à l’AfD, une victoire électorale dimanche du parti n’en serait pas moins inquiétante car en Thuringe, l’AfD est incarnée par Björn Höcke. Contrairement à de nombreux dirigeants de partis d’extrême droite en Europe, telle que Marine Le Pen en France, Björn Höcke ne s’est pas drapé des habits de la respectabilité pour séduire les électeurs. “Il n’a absolument pas mis d’eau dans son vin, il continue à défendre un nationalisme autoritaire et il reste un néo-national socialiste”, décrypte Dennis Eversberg, sociologue à l’unversité de Francfort qui a travaillé sur le positionnement idéologique de Björn Höcke.

Derrière ses petites lunettes et son air austère qui font d’avantage penser à un professeur d’histoire - sa profession d’origine -  qu’à un tribun charismatique d’extrême droite, Björn Höcke a toujours représenté “ce qu’il y a de plus extrême à l’AfD”, souligne Anna-Sophie Heinze, spécialiste de l’extrême droite à l’université de Trèves (ouest de l'Allemagne).

Ce politicien de 52 ans a grandi en Allemagne de l’Ouest, dans une famille qui penchait déjà dangereusement vers un conservatisme pas franchement bon teint. Son père était abonné à Die Bauernschaft ("La paysannerie") une publication de l’ancien Waffen-SS Thies Christophersen, a révélé une longue enquête du quotidien Die Zeit sur les racines idéologiques de Björn Höcke.

Avant de plonger ouvertement dans le grand bain politique à partir de 2014, Björn Höcke s’est aussi adonné à quelques écrits sous le pseudonyme Landolf Ladig dans des journaux néo-nazi au début des années 2010, a révélé en 2016 le sociologue Andreas Kemper. Höcke a toujours nié être l’auteur de ces textes, mais les renseignements allemands (Verfassungsschutz, ou "office de protection de la Constitution") ont conclu en 2019 qu’il n’y avait guère de doute sur le fait que Landolf Ladig, l’auteur néo-nazi, et Björn Höcke, la star montante de l’AfD étaient une seule et même personne.

L'influence de la "Nouvelle droite"

Il a aussi beaucoup appris politiquement auprès de Götz Kubitschek, l’un des principaux penseurs de la “Nouvelle droite” allemande. Fondateur de l’Instituts für Staatspolitik (IFS - Institut pour la politique publique), un centre de formation pour la nouvelle génération de dirigeants de droite radicale, Götz Kubitschek “a parmi ses idoles deux intellectuels qui ont posé les jalons du national socialisme allemand, Ernst Jünger et Carl Schmitt”, écrit la Süddeutsche Zeitung. “Impossible de comprendre Björn Höcke sans prendre en compte le temps passé à se former à l’IFS au début des années 2000”, poursuit le quotidien de centre gauche.

À 36 ans, il s’installe en Thuringe et va commencer à mettre en pratique ses cours de bon petit soldat politique d’extrême droite peu après la formation de l’AfD en 2013. Sentant une opportunité, il se fait élire président de cette nouvelle formation dans ce Land de l'ex-RDA.

À l’époque, l’AfD n’avait rien d’un parti d’extrême droite, mais se présentait plutôt comme un mouvement eurosceptique et économiquement libéral. Depuis son nouveau fief politique, Björn Höcke va créer une version beaucoup plus radicale de l’AfD.

Il va la transposer au niveau national et en créer “l’aile”, un courant très à droite de l’AfD. Et officiellement, encore aujourd’hui, Björn Höcke n’est rien d’autre qu’un responsable régional du parti parmi d’autres, membre de ce courant particulier.

Sauf que… “Si on m’avait demandé il y a quelques années où se situait idéologiquement Björn Höcke au sein de l’AfD, j’aurais dit à sa droite. Mais en fait, le parti s’est tellement droitisé, essentiellement sous son impulsion, que Björn Höcke représente aujourd’hui la ligne dominante au sein de l’AfD”, note Dennis Eversberg.

“Ses partisans lui vouent un véritable culte. Et certains disent ironiquement que ‘le parti, c’est lui’, ce qui n’est pas sans rappeler un certain précédent historique du début des années 1920 [la mainmise d’Adolf Hitler sur le parti national socialiste NSDAP, NDLR]”, ajoute Axel Salheiser.

"Tout pour l'Allemagne"

La marque de fabrique de Björn Höcke pour ancrer le parti le plus à droite possible est de mélanger un discours fondé sur le renouveau patriotique et le rejet de l’immigration avec des dérapages verbaux contrôlés.

Björn Höcke devient ainsi l’homme du “tout pour l’Allemagne” - une expression en apparence anodine mais qui reprend en fait un slogan nazi. Il a été condamné deux fois à une amende pour avoir utilisé cette phrase (en Allemagne, reprendre la terminologie nazie est interdit). La dernière sanction remonte seulement à mai 2024 

Même si l'intéressé soutient n’avoir pas connaissance de l’histoire de cette expression, “je n’ai aucun doute que Björn Höcke a fait ça sciemment pour se faire condamner. Après, il peut dire à tout ceux qui n’y voient réellement qu’une phrase anodine que le ‘système’ condamne les patriotes”, analyse Dennis Eversberg.

Et il fait de même avec d’autres termes comme "Tat-Elite" (élite d’action, un qualificatif employé par les SS) ou encore “Volksverderber” (corrupteur du peuple), qu’Adolf Hitler a employé dans son livre “Mein Kampf”.

Cette stratégie de pousser le bouchon toujours un peu plus loin vise aussi à “normaliser un certain discours et certaines expressions en les répétant suffisamment souvent pour qu’elles finissent par être acceptées par l’opinion allemande”, analyse Anna-Sophie Heinze.

Si l’AfD gagne dimanche en Thuringe, c’est donc la version très décomplexée de Björn Höcke qui va triompher. Et même s’il ne parvient pas à prendre la tête de la région, “l’AfD n’a pas forcément besoin de participer à un gouvernement pour exercer du pouvoir”, assure Anna-Sophie Heinze. S'il atteint les 33 % de voix, le parti obtiendra une minorité de blocage. Björn Höcke pourrait ainsi s’opposer à nombre de décisions importantes - comme la nomination de juges par exemple - et paralyser en partie la vie politique d’une région entière.

Il pourrait aussi y avoir “un effet de contagion dans le reste de l’Allemagne”, estime Ed Turner. La victoire électorale va entraîner des débats potentiellement très explosifs sur des questions comme l’immigration, ou encore l’aide à l’Ukraine. C’est démocratiquement d’autant plus dangereux que la coalition gouvernementale d’Olaf Scholz n’est pas des plus solides actuellement.