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Après avoir consulté les différentes forces politiques du pays, Emmanuel Macron a annoncé, lundi soir, “ne pas retenir” l’option d’un gouvernement issu du Nouveau Front populaire. La coalition de gauche, qui défendait depuis plusieurs semaines la candidature de Lucie Castets pour Matignon, a notamment dénoncé “une parodie de démocratie”. Pour autant, elle ne semble pas vouloir subir les événements et pourrait bien “continuer d’accentuer la pression” ces prochaines semaines. Décryptage.

Lundi 26 août en fin de journée. L’Élysée publie un communiqué venant conclure deux jours de consultations entre Emmanuel Macron et les différentes forces politiques représentées au Parlement. Le chef de l’État déclare écarter l’option d’un gouvernement issu du Nouveau Front populaire (NFP) au nom de la “stabilité institutionnelle” : “Un tel gouvernement disposerait immédiatement d’une majorité de plus de 350 députés contre lui.”

Passée la stupéfaction, toutes les composantes du NFP condamnent fermement cette décision du chef de l’État. Manuel Bompard (La France insoumise) dénonce un “coup de force antidémocratique”, Marine Tondelier (Écologistes) “une honte”, Olivier Faure (Parti socialiste) “une parodie de démocratie” ou encore Fabien Roussel (communistes) “un méprisant de la République”.

“L’ensemble des forces du NFP fait bloc contre Emmanuel Macron”, relève le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof, pour qui la coalition de gauche “va maintenant tenter de continuer d’accentuer la pression aux yeux de l'opinion publique pour renforcer l'image d'un président qui ne respecte pas la démocratie.”

C’est ce à quoi s’est employé le NFP dès ce mardi 27 août : alors qu’Emmanuel Macron a ouvert un deuxième cycle de consultations – qui exclut LFI, le Rassemblement national et Éric Ciotti –, les autres forces de gauche ont décidé de ne pas y participer. “Les socialistes ne seront pas les supplétifs d’une macronie finissante et censureront toute tentative de prolongation du macronisme”, a notamment averti le premier secrétaire du PS, Olivier Faure.

“Culture à la ‘Borgen’ plutôt qu’à la ‘Baron noir’”

L’Élysée n’a, pourtant, pas fermé la porte à toute la gauche française au moment de balayer l’option d’un gouvernement NFP. Le communiqué invite d’ailleurs nommément le Parti socialiste, les écologistes et les communistes à “proposer des chemins pour coopérer” avec les autres forces politiques françaises.

“On vit un moment politique intéressant en France”, explique Virginie Martin, professeure de sciences politiques et sociologie à la Kedge Business School. “On a l’occasion de passer dans une autre forme de gouvernance, c’est-à-dire rentrer dans une culture à la ‘Borgen’ (une série danoise qui met en avant la culture du compromis, NDLR) plutôt qu’à la ‘Baron noir’ (une série française qui repose plutôt sur la trahison et la manipulation politique, NDLR)”.

Encore faudrait-il que la coalition de gauche se fracture, ce sur quoi semble miser le chef de l’État. “La question centrale, c'est : ‘Peuvent-ils s'arracher du NFP ?’", traduit un ministre démissionnaire auprès de l’AFP en s’exprimant à propos des trois partis de gauche hors LFI. Mais le même admet que le calcul reste incertain, puisque "l'erreur de base" de la dissolution était déjà de prédire qu'elle allait "faire péter la gauche".

Plusieurs facteurs peuvent, cependant, mettre à l’épreuve l’unité du NFP. À commencer par la menace de destitution d’Emmanuel Macron brandie par LFI. Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard et Mathilde Panot ont adressé cet “avertissement solennel” au chef de l’État dans un texte publié dans La Tribune dimanche, le 18 août. Les socialistes, écologistes et communistes avaient alors pris leurs distances vis-à-vis de cette initiative… que LFI a remis au goût du jour lundi, affirmant sur X vouloir "présenter" – sans préciser l’échéance – une motion de destitution au bureau de l’Assemblée nationale.

“Jusqu’à maintenant, le NFP laisse LFI développer sa thèse de la destitution du chef de l’État”, explique Bruno Cautrès, “mais si les insoumis accentuent cette dimension, les autres forces politiques de gauche vont probablement demander à ce que les modalités de prises de décision soient repensées au sein de la coalition – d’autant qu’elles critiquaient déjà beaucoup, auparavant, le mode de fonctionnement interne de feu la Nupes.”

“Qui va oser franchir le pas ?”

La division à gauche pourrait aussi être le fruit d'individualités désireuses d’une politique du compromis pour sortir de l’impasse politique actuelle. “Parmi le PS, les écologistes ou les communistes, qui va oser franchir le pas ? La question est compliquée, parce que certains ont trop peur de perdre leur siège de député”, analyse Virginie Martin.

La professeure de sciences politiques voit tout de même plusieurs noms “sortir du bois” : Karim Bouamrane, Bernard Cazeneuve, Laurence Rossignol, Carole Delga… “Il y a des oppositions à la ligne fermée (vis-à-vis des opposants au sein du PS, NDLR) d’Olivier Faure”, affirme-t-elle en prenant pour exemple le dernier Congrès du PS émaillé de dissensions à Marseille, en janvier dernier.

Cette division interne au PS est réapparue de manière plus nette après que se soit tenu, mardi à la mi-journée, un bureau national du parti réuni à la demande de ses deux courants minoritaires – conduits par Hélène Geoffroy et Nicolas-Mayer Rossignol, qui représentent à eux deux 51 % du vote des militants socialistes. Selon Libération, Hélène Geoffroy – anti-LFI et critique vis-à-vis du NFP – a notamment appelé à “reprendre des discussions avec le président de la République” et demandé à la direction du PS “le refus d’un vote d’une motion de censure par principe”.

Mais ce scénario de la division n’inquiète pas tous les socialistes. "Je ne vois pas comment le PS se dissocierait du reste de la gauche", explique à l’AFP le député Laurent Baumel, pour qui toute personnalité de gauche qui accepterait d'être nommée à Matignon sur initiative d’Emmanuel Macron se placerait "dans le rôle du traître".

Dans l’immédiat, il n’est pas officiellement question de tractations entre Emmanuel Macron et des composantes de la gauche. L’heure est même plutôt à la mobilisation dans la rue : LFI a appelé mardi à “une grande mobilisation contre le coup de force” du chef de l’État le 7 septembre prochain. Le député François Ruffin a, quant à lui, invité sur X les militants de gauche à venir manifester dans la Somme le 31 août. Le PS a, pour sa part, pris ses distances vis-à-vis de ces appels par la voix de son secrétaire général : Pierre Jouvet a affirmé sur franceinfo que "le Parti socialiste, à ce stade, n’appelle pas à des mobilisations."

Ces appels à manifester “sont des opérations qui se parent des atours de la pureté politique et qui ne sont que du marketing”, estime Virginie Martin.

“Il y a peu de chances que ce soit de grandes mobilisations, elles seront surtout locales et principalement constituées par les troupes de LFI”, tempère pour sa part Bruno Cautrès. Et le politologue conclut : “Il faudra voir au courant de l’automne si cette contestation parvient à coaguler avec une éventuelle mobilisation syndicale.” Et si d’ici là un nouveau Premier ministre aura été nommé.