Kamala Harris a finalement choisi comme colistier, mardi 6 août, l’homme qui trouve Donald Trump et J.D. Vance “bizarres”. Parmi les 1 001 raisons évoquées par les commentateurs pour expliquer le choix du gouverneur démocrate du Minnesota Tim Walz, il y a son art de la formule simple qui fait mouche. C’est ainsi lui, le géniteur de cette attaque devenue omniprésente à gauche : leurs adversaires sont “bizarres” (weird NDLR).
Tim Walz avait donné le top départ de cette séquence de communication électorale lors d’un entretien accordé à l’émission matinale Morning Joe de la chaîne MSNBC le 23 juillet. “Il faut le dire, ils sont bizarres avec des idées bizarres qui divisent le pays”, avait-il lancé au sujet de Donald Trump et J.D. Vance.
La vidéo du passage s’est ensuite répandue comme une traînée de poudre sur X où elle a été vue plus de cinq millions de fois, souligne le magazine Forbes.
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Accepter Gérer mes choix“C’est une expression parfaitement dans le style de Tim Walz, qui est connu pour parler simplement, en utilisant le plus possible un langage de tous les jours à la portée de tous”, souligne Jérôme Viala-Gaudefroy, chargé de cours à Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye et spécialiste des États-Unis.
Kamala Harris a elle-même utilisé ce terme. “Certaines choses que Donald Trump et son colistier [J.D. Vance, NDLR] disent sont quand même bizarres”, a lancé la candidate démocrate à l’élection présidentielle de novembre lors d’une soirée de collecte de fonds, le week-end du 3 août.
Tous bizarres
L’équipe de campagne de l’actuelle vice-présidente dégaine du “weird” plus vite que son ombre. Elle y a recours à 14 reprises en deux semaines dans des messages pour attaquer Donald Trump sur X, a comptabilisé la chaîne de télévision MSNBC.
Les soutiens de Kamala Harris ont même concocté une vidéo intitulée “weird guys” (des gars bizarres) dans laquelle des supposés partisans de Donald Trump affirment vouloir contrôler l’intimité des Américains (et surtout des Américaines). Ils y apparaissent transpirant, libidineux, moralisateur et… “bizarres”.
Même Andrew Bates, l’attaché de presse de la Maison Blanche a sauté sur l’occasion pour remettre en place un journaliste d’un média ultraconservateur en l’implorant d’arrêter “d’être bizarre”.
Et c’est sans compter l’avalanche de messages sur les réseaux sociaux depuis deux semaines qui reprennent ce cri de ralliement démocrate à travers des détournements et vidéos.
Populisme de gauche
Pour les experts interrogés par France 24, c’est une sorte de bouffée d’air populiste de gauche dont le camp démocrate avait bien besoin. “Kamala Harris est une ancienne procureure qui vient de Californie, un État dont la population peut être perçue par une partie du pays - notamment le Midwest [le grenier à grain des États-Unis, région beaucoup plus rurale que la côte ouest ou est des États-Unis, NDLR] - comme élitiste et condescendante”, note Jérôme Viala-Gaudefroy.
Cette stratégie de l’attaque verbale rompt avec la manière de faire de Joe Biden. “Pendant longtemps, le président et le camp démocrate avaient opté pour une stratégie qui consistait à ignorer Donald Trump, espérant ainsi le priver de l’oxygène médiatique dont il a besoin pour exister politiquement”, souligne Richard Hargy, spécialiste de la politique américaine à la Queen's University de Belfast.
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Quand ils s’en prenaient à lui, c’était pour l’accuser d’être un dictateur en devenir et de vouloir saper les fondements de la démocratie américaine. Ces reproches “n’ont pas affecté Donald Trump car il peut accepter d’être traité d’autocrate. Dans son imaginaire et celui de ses partisans, un autocrate est quelqu’un de fort, ce qui est une vertu”, affirme Richard Hargy.
Tim Walz et Kamala Harris ont changé la donne. D’abord, “ils ont fait quelque chose auxquels les démocrates sont peu habitués en passant rapidement à l’offensive et aux attaques personnelles”, explique Jérôme Viala-Gaudefroy.
Hannibal Lecter et les femmes à chats
Ensuite, bizarre “est un terme concret plus facile à saisir que des concepts abstraits comme ‘menace pour la démocratie’”, assure ce politologue. C’est comme un mot-tiroir qui “permet aux démocrates de donner des exemples précis de ce qui est bizarre chez Donald Trump ou J.D. Vance”, précise Richard Hargy.
Evoquer en des termes plutôt élogieux le “légendaire” Hannibal Lecter, célèbre cannibale du film le “Silence des agneaux”, comme l’a fait Donald Trump à plusieurs reprises ? “Bizarre”. S’en prendre aux “femmes à chat” qui, d’après J.D. Vance, ne sont pas “investies dans l’avenir du pays” car “elles n’ont pas d’enfants” ? "Bizarre" aussi.
Face au flot incessant d’accusations d’être “bizarre”, le camp pro-Trump semble avoir été pris de court. D’un côté, des républicains ont tenté d’accuser les démocrates d’être puériles. “C’est une élection présidentielle, pas une compétition pour devenir reine du bal de promo”, s’est insurgé sur X l’ex-rival de Donald Trump pour l’investiture républicaine Vivek Ramaswamy.
"C'est celui qui dit qu'y est"
De l'autre côté, Donald Trump et J.D. Vance ont joué la carte du “c’est celui qui dit qui y est”. Ainsi, le candidat républicain a posté sur les réseaux sociaux une photo de Kamala Harris avec des militants LGBPTQIA+ affirmant que c'est ce comportement qui est vraiment bizarre.
“Les républicains semblent incapables de ne pas répondre, ce qui est une erreur”, assure Richard Hargy. Pour le politologue, “plus ils reprennent le terme ‘bizarre’, plus ils vont faire durer cette séquence politique qui n’est pas à leur avantage”.
La réaction du camp républicain prouverait que “les démocrates ont trouvé leur angle d’attaque le plus efficace à ce jour”, estime le Washington Post. “Personne, et encore moins un responsable politique n’a envie d’être qualifié de ‘bizarre’. Il est impossible de gagner des voix en étant le ‘type bizarre’ de l’élection”, résume Richard Hargy.
“Il faut bien comprendre qu’en Anglais ‘weird’ suggère aussi que la personne n’est pas comme les autres, et se trouve en marge de la société”, précise Jérôme Viala-Gaudefroy. C’est très loin de l’image de leader fort et modèle à suivre que Donald Trump veut projeter.
L’impact électoral de ces piques contre Donald Trump et J.D. Vance ne sera probablement pas décisif d’après les experts interrogés par France 24. Mais “cela permet de motiver et mobiliser la base électorale démocrate, et donne une impression de dynamisme à la campagne”, estime Richard Hargy.
En revanche, il ne faudrait pas abuser des bizarreries, conseille Jennifer Rubin, éditorialiste au Washington Post. “Cela risque de minimiser le danger que représente Donald Trump”, écrit-elle. “C’est vrai que ‘bizarre’ est une insulte très légère, mais Kamala Harris ne veut pas aller trop loin dans l’invective car face à Donald Trump, c’est l’assurance d’une course à l’insulte qui peut vite dégénérer”, note Richard Hargy. Ce qui ne veut pas dire que la candidate et son colistier n’ont pas d’autres insultes dans leur sac, si besoin.