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De Gaza à Pékin : quelle politique étrangère pour Kamala Harris ?
Kamala Harris a toutes les chances de remplacer Joe Biden dans la course à la présidentielle de novembre. Ce changement de candidat démocrate marquera-t-il un revirement en matière de politique étrangère ? Si la vice-présidente n’a pas l’expérience de son mentor, considéré comme un expert en diplomatie, elle s’en distingue, notamment sur le dossier palestinien. Kamala Harris brillera d’ailleurs par son absence pour le discours au Congrès du Premier ministre israélien en visite à Washington.

Alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu doit s’adresser, mercredi 24 juillet, à une session conjointe du Congrès américain lors de sa première visite à l’étranger depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, la vice-présidente américaine Kamala Harris, également présidente du Sénat, ne sera pas à sa place habituelle à la tribune, derrière le dirigeant israélien.

Selon le protocole, c'est à elle de présider la séance. Mais c’est Benjamin Cardin, un sénateur du Maryland résolument pro-israélien, qui occupera son siège, aux côtés du président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, pour le quatrième discours de Netanyahu devant le Congrès.

Malgré l’importance de l’événement, la vice -présidente sera en déplacement à Indianapolis, pour assister à la convention nationale de la sororité Zeta Phi Beta, l'une des plus anciennes organisations universitaires du pays pour les étudiantes afro-américaines. Et alors que Kamala Harris est sur le point d’être investie candidate démocrate pour l'élection présidentielle, son absence soulève de nombreuses questions.

Tentant de minimiser la portée de cette absence, son équipe a indiqué que ce déplacement de campagne était prévu bien avant le retrait de Joe Biden de la course à la présidentielle et a assuré que la vice-présidente rencontrerait séparément le Premier ministre israélien. "Son voyage à Indianapolis le 24 juillet ne devrait pas être interprété comme un changement de sa position à l'égard d'Israël", a déclaré l'un de ses conseillers à la presse, soulignant l'"engagement inébranlable" de Kamala Harris envers la sécurité d'Israël.

Maintenant que Joe Biden, un grand allié d'Israël, est sorti de la course à la Maison Blanche, le positionnement de Kamala Harris sur la guerre à Gaza - question qui divise fortement les électeurs américains - est au centre des attentions.

Novice en diplomatie

La politique étrangère n’est pas l’atout maître de celle qui ambitionne de devenir la 47e présidente des États-Unis. Et c’est une question particulièrement délicate pour les pays alliés, qui scrutent les engagements américains en matière de sécurité, notamment après que Donald Trump a choisi le sénateur J.D. Vance, ouvertement isolationniste, comme candidat à la vice-présidence.

Diplômée d'une faculté de droit, ancienne procureure générale et sénatrice de Californie, Kamala Harris a consacré sa carrière à traiter de questions de politique intérieure. Son accession à la vice-présidence en 2021 ne s'inscrit d’ailleurs pas dans la tradition politique américaine, qui veut que le vice-président compense l’inexpérience du président nouvellement élu en matière de politique étrangère.

Lors de l'élection de Joe Biden à la présidence en 2020, Kamala Harris est devenue vice-présidente d’un homme politique qui avait accumulé 36 ans au Sénat américain et huit à la Maison Blanche.

Après près de quatre ans de mandat, Kamala Harris est maintenant "au fait" des questions de politique étrangère, analyse Steven Ekovich, expert en politique américaine et professeur à l'Université américaine de Paris, car "les vice-présidents assistent aux réunions et aux briefings du Conseil de sécurité nationale des États-Unis".

Selon lui, Kamala Harris restera probablement sur la même ligne que son prédécesseur en matière de politique étrangère. "Elle gardera probablement la même direction et la même équipe, au moins dans l'immédiat. Je ne pense pas qu’elle va changer les choses tout de suite.", analyse Steven Ekovich. "Je pense qu'elle mènera plutôt une campagne de continuité".

Mais les paris restent ouverts, précise l’expert : "Nous sommes ici en 'terra incognita', puisque nous ne savons pas grand-chose de son orientation en matière de politique étrangère".

"Bien plus d'empathie" pour les Palestiniens

Si Joe Biden a fortement soutenu la guerre d'Israël dans la bande de Gaza depuis les attaques du 7 octobre et a maintenu l'aide militaire américaine malgré les tensions avec Benjamin Netanyahu, sa vice-présidente a été plus nuancée.

Kamala Harris soutient une solution à deux États et le droit d'Israël à se défendre depuis son élection au Sénat américain en 2017, et a pris soin de ne jamais contredire la position présidentielle sur le sujet depuis son accession à la vice -présidence. Elle s'est pourtant distinguée à plusieurs reprises en condamnant avec fermeté le nombre de victimes palestiniennes et les agissements de l'État hébreu.

Début mars, elle avait émis les commentaires les plus forts de la part d'un responsable de l'administration américaine à ce stade de la guerre à Gaza, en appelant à un cessez-le-feu pour mettre fin à "l'immense souffrance" et avait critiqué Israël pour l'insuffisance des livraisons d'aide. "Les gens à Gaza meurent de faim. Les conditions sont inhumaines et notre humanité commune nous oblige à agir", avait alors déclaré Kamala Harris. "Le gouvernement israélien doit faire plus pour augmenter considérablement l'aide humanitaire. Aucune excuse", avait-elle encore exhorté.

Un mois plus tard, la vice-présidente des États-Unis avait de nouveau appelé Israël à "faire plus pour protéger les travailleurs humanitaires" après la mort de sept membres du personnel de l’ONG américaine World Central Kitchen, dont un ressortissant américain, tués dans une frappe de l’armée israélienne sur leur convoi humanitaire.

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Dans une interview au Wall Street Journal, Jim Zogby, fondateur de l'Arab American Institute, une organisation américaine de recherche politique sur la communauté arabo-américaine, confiait qu'il avait eu une conversation téléphonique avec Kamala Harris en octobre et qu'elle avait démontré "bien plus d'empathie" pour les Palestiniens que Joe Biden et d'autres conseillers de la Maison Blanche.

La future candidate démocrate pourrait donc adopter une position un peu plus nuancée que celle menée jusqu'à présent par Joe Biden, en continuant à soutenir Israël mais en donnant plus de place aux préoccupations palestiniennes.

Enjeu majeur dans les États-clés

Malgré les rebondissements qui ont marqué la campagne - la tentative d'assassinat contre Donald Trump et le retrait de Joe Biden - la guerre à Gaza reste un enjeu majeur dans l'élection présidentielle.

Les sondages d'opinion de ces derniers mois montrent que les jeunes Américains sont de plus en plus propalestiniens et les démocrates sont profondément divisés sur ce sujet. Des dizaines de parlementaires de l’aile gauche du parti prévoient de boycotter le discours de Benjamin Netanyahu au Congrès. C’est notamment le cas du " Squad", ce groupe informel de jeunes parlementaires progressistes - composé d'Alexandria Ocasio-Cortez de New York, d'Ilhan Omar du Minnesota, d'Ayanna Pressley du Massachusetts et de Rashida Tlaib du Michigan – un soutien de poids à la candidature de Harris à la présidence.

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La politique de l’administration Biden envers Israël a suscité la colère d'une partie des électeurs démocrates et met en péril les chances de la gauche, notamment dans certains États-clés.

Selon le spécialiste de la politique américaine Steven Ekovich, l'absence de Kamala Harris au discours de Netanyahu envoie un message "électoral" à "quelques États-clés comme le Michigan, où se trouve Detroit", avec sa large population d'origine arabe et noire ou "en Pennsylvanie, il y a Philadelphie, qui a une grande population noire. Il y a une sorte d'allergie à la position très pro-israélienne de Joe Biden dans ces endroits."

Mais pour le politologue, même si l’absence de Kamala Harris au discours de Benjamin Netanyahu au Congrès peut être interprétée comme un symbole, l'establishment démocrate est clairement derrière la future candidate du parti et il est peu probable qu’elle modifie radicalement la politique américaine sur la question israélo-palestinienne.

"Impressionnante" sur l’Ukraine et l’Otan

Kamala Harris devrait également poursuivre une politique de continuité dans d’autres dossiers majeurs, analyse Steven Ekovich, comme la guerre en Ukraine et les engagements américains envers l'Otan.

La vice-présidente américaine a plusieurs fois rencontré le président ukrainien Volodymyr Zelensky au cours de sommets internationaux et notamment à la Conférence de sécurité de Munich cette année, où elle a représenté Joe Biden pour la troisième année consécutive.

Lors de leur dernière rencontre en juin, au Sommet pour la paix en Ukraine en Suisse, Kamala Harris a promis une aide significative de 1,5 milliard de dollars pour le secteur énergétique ukrainien, en plus de 379 millions de dollars d’aide humanitaire.

"Elle a été mise à l’épreuve, pour parler franchement", a déclaré l'élu démocrate Adam Smith au site d'information Politico, pour qui ces occasions ont permis à la vice-présidente de développer une précieuse expérience en politique étrangère.

"Elle a été la porte-parole principale de l’administration américaine lors de la Conférence de sécurité de Munich, où elle a défendu notre rôle en Ukraine, dans l'Otan et sur la scène mondiale et elle a été vraiment impressionnante."

Position ferme face à la chine

Kamala Harris a également régulièrement remplacé Joe Biden lors de réunions internationales importantes dans la région Asie-Pacifique, comme l'Asean et la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC). Face aux revendications de Pékin en mer de Chine méridionale et le conflit avec Taïwan, la vice-présidente semble totalement alignée sur les positions de Joe Biden.

"Pékin continue à exercer des pressions, à intimider et à avoir des revendications sur l'essentiel de la mer de Chine méridionale", avait déclaré la vice-présidente en visite à Singapour en 2021. "Les actes de Pékin continuent à saper l'ordre international fondé sur le droit et à menacer la souveraineté des nations.", avait-elle alors condamné, assurant que "les États-Unis sont unis" avec leurs alliés et leurs partenaires "devant ces menaces".

Kamala Harris a également été ferme dans sa dénonciation des violations des droits humains par Pékin, tant à Hong Kong que dans la province du Xinjiang avec l’internement massif de la minorité musulmane ouïghoure.

Amérique latine : l’épineux dossier de l’immigration

Autre dossier-clé de la campagne sur lequel Kamala Harris va devoir convaincre : celui de l'immigration irrégulière en provenance d’Amérique latine, un sujet que Donald Trump ressasse et dont elle avait la charge.

Et sur la question, la future candidate démocrate part avec un handicap. En confiant à Kamala Harris la responsabilité du dossier de l’immigration irrégulière, Joe Biden a choisi de lui déléguer un sujet particulièrement épineux. Kamala Harris a été, dès le début de son mandat, jetée sous le feu des critiques, face à une vague migratoire sans précédent.

Respectant scrupuleusement les directives de la Maison Blanche, la vice-présidente avait multiplié les faux pas lors de visites à la frontière avec le Mexique et dans des pays d’Amérique latine. "Ne venez pas", avait-elle répété pendant sa visite au Guatemala en 2021, comme message aux migrants de pays d'Amérique centrale et du Sud essayant de franchir illégalement la frontière. Kamala Harris avait alors été accusée de laxisme par les élus du Parti républicain et d’insensibilité par plusieurs élus démocrates qui avaient vivement critiqué ses propos.

Les experts s'accordent à dire que la tâche était presque impossible : "Elle a hérité du dossier de l'immigration, et bien sûr, elle ne l'a pas résolu, car personne ne le pouvait", analyse le politologue Steven Ekovich. Malgré sa mise en difficulté sur le sujet, Kamala Harris a soutenu en février un accord bipartisan au Sénat et la Maison-Blanche pour renforcer la lutte contre l'immigration à la frontière mexicaine. Une initiative bloquée à la Chambre des représentants par les républicains.

Son bilan en la matière sera donc un point d'attaque pour Donald Trump qui a fait des "immigrants illégaux" un axe central de sa campagne, mais pour Steven Ekovich, cette tactique du candidat républicain pourrait bien se retourner contre lui. "Si les républicains, Donald Trump et J. D. Vance, l'attaquent sur ce point, Kamala Harris pourra répondre qu'un projet de loi a été proposé, et que ce sont les républicains qui l'ont bloqué".