Pour manifester son attachement à la France, Keir Starmer a mis les formes. Avant sa rencontre avec Emmanuel Macron, jeudi 18 juillet lors du quatrième sommet de la Communauté politique européenne (CPE), le nouveau Premier ministre britannique s'est fendu d’une tribune dans les colonnes du quotidien Le Monde, chantant les louanges de la relation franco-britannique.
"Cent vingt ans après l’Entente cordiale, inaugurons ensemble une nouvelle ‘ère amicale’", y appelle-t-il, invitant à mettre l’accent sur les points communs et non les différences entre Paris et Londres pour "rendre le monde plus sûr, plus juste et plus prospère".
Nommé chef de gouvernement le 5 juillet après la victoire des travaillistes aux législatives, Keir Starmer a promis de sortir son pays du "chaos" hérité des quatorze années de gouvernance des conservateurs. Un projet qui passe par le réchauffement des relations avec les partenaires européens et en particulier la France, durablement échaudée par des années de disputes post-Brexit.
Recoller les morceaux
Lors de leur dîner de travail, les deux dirigeants ont passé en revue les dossiers prioritaires, s’engageant à "redynamiser" le partenariat de défense et à "renforcer leur coopération" sur la délicate question de l’immigration illégale à travers la Manche. Un domaine dans lequel le nouveau Premier ministre britannique compte se démarquer de ses prédécesseurs en mettant l’accent sur la lutte contre les "gangs" criminels de passeurs.
Avec Paris, Keir Starmer souhaite écrire un "nouveau chapitre". Il faut dire que la relation franco-britannique revient de loin. Malmenée par le Brexit, "l’entente cordiale" avait littéralement volé en éclats sous l’ère Boris Johnson.
"Les disputes à répétition, en particulier sur la gestion migratoire et les licences de pêche, avaient conduit à une rupture", rappelle Patrick Chevallereau, chercheur associé à l’Iris et spécialiste de la relation franco-britannique. "Même le sommet franco-britannique, organisé jusque-là tous les un à deux ans, avait disparu des agendas".
La relation ne s’était pas sensiblement améliorée avec Liz Truss, éphémère successeuse de Boris Johnson, qui avait, pendant sa campagne pour le 10 Downing Street, botté en touche sur la question de savoir si le président français était un "ami ou ennemi".
Il avait fallu attendre l'arrivée au pouvoir de Rishi Sunak en octobre 2022 pour que les liens entre la France et le Royaume-Uni soient renoués. Des retrouvailles officialisées lors d’un sommet franco-britannique, le premier depuis cinq ans, à Paris en mars 2023.
"La relation s’est améliorée mais le lien entre la France et le Royaume-Uni demeure très abîmé par le Brexit", analyse Patrick Chevallereau. "À ce niveau, Keir Starmer a une carte à jouer. C’est un avocat progressiste plus proche idéologiquement d’Emmanuel Macron que ne l'étaient ses prédécesseurs, y compris le conservateur pro-Brexit Rishi Sunak."
Partenaire de choix
Bien qu’ayant voté contre le Brexit, Keir Starmer n’envisage pas de retour au sein de l’Union européenne, ni du marché unique ou de l'union douanière. "Le nouveau Premier ministre sait que les Européens ne veulent pas rouvrir le dossier du Brexit – en particulier la France, qui a passé énormément de temps à négocier cet accord", souligne Sébastien Maillard, conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors et chercheur associé au think tank Chatham House. "En même temps, il est bien obligé de constater que la promesse des conservateurs de nouer de grands accords bilatéraux avec le reste du monde n’a pas fonctionné."
Quatre ans après le Brexit, l’UE demeure de loin le principal partenaire commercial du Royaume Uni, totalisant près de la moitié de ses échanges. Dans ce tableau, Paris occupe une place de choix en tant que deuxième fournisseur européen, après l’Allemagne, et cinquième partenaire économique de Londres.
Mais c’est la défense qui constitue le cœur de la coopération entre les deux pays, liés par les traités de Lancaster House qui incluent un volet nucléaire et un volet conventionnel.
Dotées des deux premières armées d’Europe, la France et le Royaume-Uni sont les deux seules puissances nucléaires du bloc. Les deux pays sont également les seuls à bénéficier d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU.
"Avec la guerre en Ukraine, la défense et l’armement constituent une priorité immédiate pour le Royaume-Uni", analyse Sébastien Maillard. "Keir Starmer aimerait revenir dans la boucle des décisions et pouvoir participer à des opérations européennes. Il compte sur le soutien de la France, son principal allié au sein de l’UE dans ce domaine, qu’il voit comme un entremetteur."
Un rapprochement "séduisant" pour Bruxelles
Pour convaincre, le Premier ministre britannique va devoir apporter des gages, y compris financiers, souligne l’expert, citant en exemple une participation financière à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
"Keir Starmer va avoir fort à faire pour rétablir la confiance avec l’UE. Mais il est vrai que le renforcement de la puissance européenne est une idée séduisante pour Bruxelles, notamment dans la perspective d’une arrivée de Donald Trump au pouvoir", poursuit le chercheur.
Le Premier ministre britannique espère par ailleurs obtenir un allègement des procédures administratives dans le domaine du commerce. Car la sortie des normes européennes, qui était censée faciliter la vie des entreprises, a au contraire viré au cauchemar bureaucratique pour nombre d'entre elles.
Jeudi, Emmanuel Macron a saisi la main tendue du dirigeant travailliste, faisant preuve d’un optimisme prudent.
Cette "remise à plat" des relations du Royaume-Uni avec la France et avec l’UE intervient à "un moment très important", a ainsi salué le président, tout en appelant les Britanniques à "respecter ce qui a été décidé et signé".
"Il ne faut pas vouloir faire le tri dans l'espoir d'améliorer tel ou tel sujet. C'est une approche globale", a-t-il insisté.