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Du jour au lendemain, la vie de Santosh bascule en Inde lorsque son mari, un policier, meurt en opération. Sans ressources, la jeune femme se voit alors proposer de reprendre le travail du défunt, intégrant ainsi la police pour devenir enquêtrice au sein d’une brigade de femmes.
Ce pitch est le point de départ du nouveau film de la réalisatrice indienne Sandhya Suri, qui sort mercredi 17 juillet dans les salles françaises. Ce polar, dont l’histoire peut paraître ubuesque, lève pourtant le voile sur une pratique bien réelle en Inde : le "recrutement compassionnel".
"Ce système existe dans le fonctionnariat, il permet d'hériter de l'emploi du père ou du mari à la mort de celui-ci, le but étant d'éviter de voir les familles sombrer dans la pauvreté", expliquait en juin dernier la réalisatrice du film, Sandhya Suri, lors de la présentation de son film au festival de Cannes.
Utilisé depuis de nombreuses décennies dans l’administration indienne, le "recrutement compassionnel" est basé sur l’article 39 de la Constitution qui stipule que le rôle de l’État est de garantir aux citoyens l’accès aux moyens de subsistance.
Selon ce principe, lorsqu’un fonctionnaire décède, un membre de sa famille peut prétendre à son emploi, ou bien à un emploi similaire, à condition d’être dépendant financièrement du défunt et d’avoir les qualifications requises. Un système simple en apparence qui se transforme souvent en véritable chemin de croix pour les postulants.
Désorganisation à tous les étages
En théorie, les "recrutements compassionnels" doivent se régler entre l’employeur et la famille du défunt. Mais régulièrement, ces candidatures un peu spéciales occasionnent des disputes et parfois même d'éprouvantes sagas judiciaires.
Certains de ces contentieux sont dus à la nature du lien de parenté entre le postulant et le membre de sa famille. En mars dernier, une jeune fille, dont la candidature pour le poste de sa défunte belle-mère avait été refusée, est finalement parvenue à obtenir gain de cause lors d’une procédure en appel.
D’autres affaires sont liées à la reconnaissance ou non de la "dépendance financière", parfois difficile à évaluer, par exemple, dans les cas de femmes mariées qui demandent un poste, suite à la mort d’un parent.
Bien que conçu pour aider les familles à surmonter les difficultés pécuniaires après un deuil, le "recrutement compassionnel" peut également générer une forme de compétition et de vives tensions au sein même de l’entourage du défunt.
Fin 2023, la haute cour d'Uttarakhand, dans le nord de l’Inde a tranché un contentieux entre la femme et le frère d’un gardien d’hôpital, décédé en 2019, qui souhaitaient tous deux obtenir son poste. Bien que le couple était séparé depuis plusieurs années, les juges ont statué en faveur de la femme, qui était encore mariée lorsqu’elle a déposé sa candidature.
Avocate inscrite auprès de la Cour suprême, Mrinmoi Chatterjee a été amenée à plaider dans plusieurs affaires de ce type. Selon elle, ces procédures de justice à rallonge s’expliquent par le fait que la législation concernant le "recrutement compassionnel" n’est pas uniforme.
"Les règles varient en fonction des États et également des administrations concernées. À cela s'ajoutent parfois des délais de traitement bien trop longs qui vont à l’encontre du rôle même de ce système dont le but est d’apporter une aide immédiate aux familles en difficulté. J’ai eu le cas d’un client dont la femme était morte et qui s’est battu pendant dix ans pour obtenir un emploi compassionnel", explique l’avocate.
Des emplois publics extrêmement convoités
Les difficultés rencontrées pour bénéficier de ce type d’emplois s’expliquent également par un contexte économique défavorable. Bien que l'Inde affiche une croissance forte de plus de 7 %, le taux de chômage demeure élevé, en particulier chez les jeunes diplômés qui se tournent de plus en plus vers des postes publics, souvent peu rémunérateurs, mais qui offrent la garantie d’un emploi à vie.
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Accepter Gérer mes choix"Aujourd’hui, avec l’accroissement démographique en Inde et le problème du chômage, les postes dans le secteur public se font rares alors que les demandes sont très nombreuses. La compétition est féroce et l’attribution de ces emplois est devenue un sujet extrêmement sensible pour le gouvernement" souligne Mrinmoi Chatterjee.
Dans certains cas extrêmes, cette quête effrénée pour l’obtention d’un emploi à vie peut tourner au drame. En janvier 2023, une jeune femme interrogée suite à la mort de son mari a avoué aux enquêteurs l’avoir assassiné, espérant ainsi pouvoir récupérer son emploi dans l’administration.
Quelques années plus tôt, un père de famille s’était suicidé à une semaine de sa retraite, afin que son fils au chômage puisse prétendre à son poste.