Depuis juin, de nombreux incendies se sont déclenchés dans la région de Kherson, connue pour être particulièrement sèche et agricole. Dans cette zone, Russes et Ukrainiens, chacun retranchés sur une rive du fleuve Dniepr, s'accusent mutuellement de les déclencher volontairement, afin de détruire les terres agricoles, la forêt, ou encore les habitations situées sur l'autre rive.

Le 8 juillet, Andrey Alekseenko, le président de la région de Kherson occupée par les Russes, a ainsi déclaré : "Les forces armées ukrainiennes mettent délibérément le feu à la forêt, notamment à l'aide de drones (...). [Ils] attaquent des équipements anti-incendie qui éteignent une forêt en feu près du Dniepr".

De leur côté, dès le 5 juin, les pompiers ukrainiens ont accusé sur Telegram les Russes de "détruire les écosystèmes de la région et de brûler les récoltes de cette année".

Sur Telegram, des Russes accusent aussi leurs ennemis d'utiliser ces feux comme arme pour déloger leurs troupes : "Toutes ces tentatives pour enfumer les nôtres hors de nos positions n'aboutissent à rien, puisqu'après l'incendie, les nôtres reviennent à leur place". Ils dénoncent également l'impact des incendies sur la biodiversité et la santé des habitants.

De leur côté, des comptes pro-ukrainiens vantent l'efficacité de ces incendies, qui auraient permis de déloger les troupes russes de leurs positions et d'enflammer plusieurs de leurs véhicules : "Heureusement, le personnel militaire russe ne parvient souvent pas à échapper aux incendies". Ils semblent aussi devoir justifier ces incendies par la présence de troupes russes dans les forêts de la rive gauche de Kherson : "La plupart des forêts ont désormais été transformées en positions russes qu'ils tentent de camoufler/cacher aux regards indiscrets et aux renseignements ukrainiens".

Le 26 juin : des incendies dans la zone de Malokakhovka

Parmi les différents incendies recensés, on compte notamment celui du 26 juin. Ce jour-là, des comptes Telegram russes accusent les troupes ukrainiennes d'avoir frappé la localité de Malokakhovka avec des drones, pour déclencher un incendie. Selon eux, il aurait été déclenché volontairement afin de "nuire à la population civile et de la priver de récoltes".

Sur les images satellites ci-dessous, on constate ainsi l'impact des flammes autour de Malokakhovka, le 26 juin, alors que tout était normal deux jours avant.

Sur le site FIRMS de la Nasa qui détecte les incendies, on voit que la zone qui apparaît brûlée dans les images satellites ci-dessus a bien été touchée par des flammes le 26 juin. 

Selon le site de cartographie du conflit ukrainien Ukraine Control Map, des troupes ukrainiennes se trouveraient à proximité de Malokakhovka, dont deux unités spécialisées dans les drones.

Des incendies dans la zone d'Olechky, début juillet

Toujours dans la région de Kherson, dans la zone d'Olechky – qui est contrôlée par les Russes –, plusieurs feux de forêt se sont également déclenchés le 3 et 7 juillet.

Selon Eoghan Darbyshire, chercheur au sein du Conflict Earth Observatory, la zone d'OIechky est particulièrement sensible :

Il y a beaucoup de sapins, qui sont susceptibles de prendre feu facilement. Ils ont été plantés pour repousser le sable qui envahissait la zone. Désormais, cette région est un parc naturel national. D'après les images satellites, il semble que la fumée se soit généralement dispersée vers le sud-ouest, donc loin des populations plus importantes d'Olechky et de Kherson. Mais les capteurs de qualité de l'air ne fonctionnent plus à cause de la guerre.

Selon Clément Molin, analyste et spécialiste du conflit ukrainien, bien que ces feux soient impressionnants, ils n'ont pas d'impact décisif sur le déroulé des combats :

"La forêt a brûlé, mais elle reste grande. De plus, les Russes savent parfaitement se cacher derrière les haies qui séparent les champs. Ces feux ont surtout un impact sur les positions militaires, les camps, les véhicules pris au piège ou même parfois les hommes. Mais cette zone du front est peu active et les unités présentes s'y ‘reposent'.

Le 8 juillet : d'autres incendies dans le village de Stanislav

Autre exemple d'incendies déclenchés dans la région de Kherson : ceux dans le village de Stanislav, le 8 juillet. Selon les Ukrainiens, ce sont les Russes qui les auraient déclenchés, avec des munitions incendiaires.

Sur les images satellites ci-dessous, des départs de feu sont effectivement visibles autour du village. Cependant, il est impossible d'affirmer qu'ils ont été déclenchés par des munitions incendiaires. 

"En été, chaque frappe d'artillerie l'été provoque un incendie"

Alors que Russes et Ukrainiens s'accusent mutuellement de déclencher volontairement ces feux, Clément Molin estime qu'il est difficile de savoir si ces départs de feux ont vraiment été voulus, et par qui.

Sur la rive du Dniepr [contrôlée par les Russes], je pense que la responsabilité peut être partagée. Les impacts des obus sont forcément ukrainiens, et je pense qu'ils constituent la cause principale des incendies. Mais on ne peut pas en être parfaitement sûr. En fait, en été, chaque frappe d'artillerie provoque un incendie. De plus, les tirs d'artillerie provoquent également des flammes. Il y a aussi les mouvements, les cigarettes, les feux de camp… Mais parfois, le but est clairement de faire brûler une parcelle ou une forêt pour en faire un terrain découvert. Par exemple, la forêt de Serebianka, située dans l'oblast de Sverdlovsk, a servi d'arme.

Sur X (anciennement Twitter), Clément Molin estime cependant que des munitions incendiaires ont bien été utilisées, ce qui démontre, selon lui, que "le feu est devenu un véritable outil de guerre".

"Ces dernières semaines, il y a un risque d'incendie 'élevé', 'très élevé' ou 'extrême' dans le sud de l'Ukraine"

Concernant les conditions météorologiques propres à l'été, Eoghan Darbyshire indique que les conditions actuelles sont optimales pour générer les départs de feux :

Beaucoup de paramètres rentrent en compte pour déterminer s'il existe un vrai risque d'incendie : l'humidité, le vent, les précipitations. Ces paramètres forment un modèle de prévisions que l'on nomme l'indice météo incendie. Ces dernières semaines, il y a un risque d'incendie 'élevé', 'très élevé' ou 'extrême' dans le sud de l'Ukraine, avec un pic le 3 juillet. Autrement dit, il suffit d'une étincelle pour que le feu se propage rapidement.

Ce n'est pas la première fois que la zone est touchée par des incendies. Cependant, l'ampleur des incendies d'avant-guerre n'était pas aussi importante que celle de ceux survenus depuis l'invasion de l'Ukraine. En effet, compte tenu des conditions sécuritaires précaires, ces incendies ont brûlé plus longtemps et sur des zones plus étendues qu'avant.

Les civils peuvent être impactés par ces incendies, notamment par les fumées, dangereuses pour la santé. D'autant plus que les habitants de ces zones rurales sont souvent âgés.

 Ces feux qui se déclenchent dans des forêts ukrainiennes déjà fragiles mettent également en danger un écosystème. Eoghan Darbyshire poursuit :

L'Ukraine possède 35 % de la biodiversité européenne. La guerre a eu des impacts directs sur l'environnement, du fait des cratères d'obus, des travaux de terrassement ou de la contamination des sols… Sans compter les incendies qui - depuis la guerre - ne se limitent plus aux surfaces agricoles, mais brûlent tous types d'environnements.