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Jeux olympiques : misogyne, raciste, colonialiste... qui était vraiment Pierre de Coubertin ?
Sexiste, colonialiste et réactionnaire. Les critiques ne manquent pas à l'encontre du baron Pierre de Coubertin, ce Français qui relança les Jeux olympiques à la fin du XIXe siècle. Alors que les JO vont bientôt débuter à Paris, sa personnalité divise et l'homme n'est pas particulièrement en odeur de sainteté dans son propre pays.
Jeux olympiques : misogyne, raciste, colonialiste... qui était vraiment Pierre de Coubertin ?

"Les Jeux olympiques et le modèle sportif qu'il a créés ont passé l'épreuve du temps. C'est pourquoi la France peut être fière de Coubertin et de son héritage." C’est par ces mots que le président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach, a rendu hommage au père des Jeux olympiques modernes le 23 juin, lors d’une conférence à l’université de la Sorbonne à l'occasion du 130e anniversaire de la création du CIO.

Mais cette déclaration élogieuse s’est faite en catimini devant une assemblée où ne figuraient ni la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, ni la maire de Paris Anne Hidalgo. Tout au long de la préparation des Jeux olympiques de Paris qui s'ouvrent le 26 juillet, le baron a été relégué au second plan. Le cas de celui qui symbolise la renaissance des JO ne fait pas l’unanimité. Alors que certains déplorent ses propos sexistes, misogynes, colonialistes, en un mot réactionnaires, d'autres louent son dévouement à l'utilisation du sport pour promouvoir la paix et voient en lui un visionnaire et un humaniste.

Jeux olympiques : misogyne, raciste, colonialiste... qui était vraiment Pierre de Coubertin ?

"On n’est pas là pour glorifier l’homme, mais pour comprendre le personnage"

Au sein de sa famille, Alexandra de Navacelle fait figure de garante de sa mémoire. À la tête de l’Association familiale Pierre de Coubertin, elle souhaite profiter des Jeux de Paris pour donner une autre image du baron : "On essaye de faire comprendre d’où il venait, pourquoi il a eu cette idée incroyable et ce qu’il a fait pour y arriver." Son arrière-arrière-petite-nièce a bien conscience que sa figure suscite un certain malaise : "On n’est pas là pour glorifier l’homme, mais pour comprendre le personnage. Il faut le remettre dans son contexte pour s’assurer qu’on voit tous les faits et qu’on le juge sur ses actions."

Jeux olympiques : misogyne, raciste, colonialiste... qui était vraiment Pierre de Coubertin ?

Né en 1863 à Paris, Pierre de Coubertin voyage durant sa jeunesse, notamment en Angleterre et en Amérique, où il est frappé par l’importance accordée au sport au sein du système éducatif. Il pratique lui-même de nombreuses disciplines : la boxe, l’escrime, l’équitation ou encore l’aviron. De retour en France, il entend importer les exemples britannique et américain et améliorer la pratique physique. Il crée notamment le Comité pour la propagande des exercices physiques dans l'éducation.

Pour rendre le sport plus populaire, il considère également qu’il faut l’internationaliser. Comme d’autres avant lui, il souhaite relancer les Jeux olympiques antiques, nés à Olympie, en Grèce, en 776 avant J.-C. et organisés tous les quatre ans pendant douze siècles, avant d’être supprimés. Le baron fonde ainsi, le 23 juin 1894, le Comité international olympique. Deux ans plus tard, les premiers Jeux olympiques rénovés ont symboliquement lieu à Athènes.

"Même quand on contextualise sa posture, elle est condamnable"

Mais pour ce baptême de l'ère moderne des JO, les femmes ne sont pas conviées, le baron Pierre de Coubertin s’étant opposé à leur participation. En 1935, dans un entretien radiodiffusé, il avait ainsi résumé sa pensée : "Le véritable héros olympique est, à mes yeux, l’adulte mâle individuel. Je n’approuve pas personnellement la participation des femmes à des concours publics, ce qui ne signifie pas qu’elles doivent s'abstenir de pratiquer un grand nombre de sports, mais sans se donner en spectacle. Aux Jeux olympiques, leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs."

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Selon Alexandra de Navacelle, Pierre de Coubertin "n’était pas contre les femmes" mais il "cherchait à les préserver du regard de l’homme" à une "époque qui n’était pas prête à les voir dans des tenues de sport et les mollets nus". Pour l’historien Louis Violette, spécialiste de la dimension mémorielle du sport, il faut surtout replacer le fondateur des Jeux modernes dans son contexte. "Si on regarde Pierre de Coubertin avec un regard d’aujourd’hui, il apparaît comme un misogyne", pointe ce docteur en histoire de l'université de La Réunion. "Mais à l’époque, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, vous trouvez très peu de féministes et encore moins dans les cercles de pouvoir. C’est un monde d’hommes qui ne laisse que très peu de place à la gent féminine et qui se positionne dans l’ère de son temps contre le sport féminin."

Sa consœur Julie Gaucher est pour sa part plus critique. "Même quand on contextualise sa posture, elle est condamnable", estime cette historienne du sport à l'université Lyon 1. "Le mouvement sportif féminin existait déjà et il a refusé de le prendre en considération avec des propos d’une très grande misogynie, dans lesquels la femme devait finalement rester à sa place."

À l’époque, Pierre de Coubertin s’oppose en effet à une dirigeante du sport féminin, Alice Milliat. Présidente de la Fédération sportive féminine internationale (FSFI), elle demande au CIO d'inclure des épreuves d'athlétisme pour les femmes lors des Jeux olympiques – sans succès. Elle organise en 1922 les premiers Jeux olympiques féminins, qu'elle sera contrainte de renommer "Jeux mondiaux féminins".

À Amsterdam en 1928, les femmes peuvent enfin concourir en athlétisme et gymnastique. Mais les réticences persistent. Épuisée par des années de militantisme, Alice Milliat quitte la scène sportive en 1935. C'est dans l'anonymat le plus total qu'elle meurt à Paris en 1957. Après des années d’oubli, le nom de cette pionnière refait actuellement surface. À la différence de Pierre de Coubertin, Alice Milliat est célébrée avec fierté à l’occasion des Jeux 2024. Des biographies sont publiées, des expositions organisées, des stades et des gymnases baptisés à son nom.

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"Il faut avoir un regard nuancé"

Il est plus facile de mettre en avant cette combattante du sport féminin plutôt que son opposant, qui est aussi accusé de racisme. Dans ses "Mémoires" conservés aux archives du CIO, Pierre de Coubertin assume : "Dès les premiers jours, j'étais un colonialiste fanatique… Les races sont de valeur différente, et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance." Son arrière-arrière-petite-nièce estime encore une fois que ses propos reflètent une époque : "Il y a eu des abus et des choses inadmissibles, mais ils étaient alors tous colonialistes. Il n’y avait pas d’autres options."

L’historien Louis Violette estime aussi qu’il s’agit d’une "pensée de son temps" : "Il était un colonialiste assumé. Il estimait que c’était un bienfait humain, notamment pour les populations locales. À l’époque, il y avait très peu de membres des élites pour réfuter et critiquer la colonisation."

Pierre de Coubertin est aussi pointé du doigt pour avoir soutenu les Jeux olympiques de Berlin de 1936 organisés par l’Allemagne nazie. Même s’il s’était déjà retiré du CIO et qu’il n’y a pas assisté en personne malgré une invitation d’Adolf Hitler, il n'a pas manqué d'en faire les louanges. "La grandiose réussite des Jeux de Berlin a magnifiquement servi à l’idéal olympique. Les Français, qui sont seuls ou presque à jouer les Cassandre, ont le plus grand tort de ne pas comprendre, ou de ne pas vouloir comprendre", avait-il écrit dans la presse en août de la même année. "À Berlin, tout était réalisé à des fins de propagande, mais ce qu’il voyait, c’était le spectacle et la réussite de ces Jeux au-delà de l’aspect politique", analyse l’historienne Julie Gaucher. "Il n’a pas voulu voir ce qu’il se passait, alors qu’il aurait pu se taire et ne pas prendre parti pour défendre ces Jeux", constate cette spécialiste de l'olympisme.

Jeux olympiques : misogyne, raciste, colonialiste... qui était vraiment Pierre de Coubertin ?

Le baron s’éteint quelques mois plus tard, en septembre 1937, terrassé par une crise cardiaque. Cent-trente ans après la création du CIO, il reste le père des Jeux olympiques modernes, mais son image est sérieusement écornée. "Je ne suis pas partisane de taper de tout feu sur Coubertin parce qu'il y a aussi des choses qui ont été intéressantes et qu'il faut vraiment replacer dans une certaine période", insiste cependant Julie Gaucher. "Il faut vraiment avoir un regard nuancé. C'est seulement quand on aura accepté la partie obscure du personnage qu'on pourra reconnaître ce qu'il a apporté", ajoute-t-elle.

Au-delà de ses idées, son œuvre a également considérablement évolué. Bien loin de sa défense de l’amateurisme, les JO se sont transformés en une immense entreprise commerciale générant des milliards d’euros. Une dimension qu’Alexandra de Navacelle regrette : "L’esprit originel des Jeux ne peut plus s’exprimer. Ce n’est plus possible aujourd’hui, il y a un tel niveau de compétition et de performance."

Même si son aïeul n’est aujourd’hui plus en odeur de sainteté, elle continue de défendre sa mémoire. Malgré les polémiques, elle préfère retenir cette citation qui lui est attribuée : "Le premier pas, c’est l’essentiel." Pour elle, même si les JO n’ont plus grand-chose à voir avec le concept d’origine, ils restent un événement facteur d’évolution : "Les Jeux de Paris vont être les premiers JO paritaires entre les athlètes hommes et femmes. Il y a également un logo identique pour les Jeux olympiques et paralympiques, avec des mêmes lieux de compétition", souligne-t-elle. "C’est cette dynamique de progrès que Pierre de Coubertin a voulu mettre en mouvement. Elle est toujours en cours tant que l’humanité existera."