![Scandale à Notre-Dame : des organistes vent debout contre la nomination des nouveaux titulaires Scandale à Notre-Dame : des organistes vent debout contre la nomination des nouveaux titulaires](/data/posts/2024/06/30/1719734823_Scandale-a-Notre-Dame-des-organistes-vent-debout-contre-la-nomination-des-nouveaux-titulaires.jpg)
C'est une profession qui fait rarement parler d'elle. Mais depuis plusieurs semaines, le monde de l'orgue est en émoi. Lancée par une quarantaine d'organistes, une pétition ayant récolté 3 800 signatures demande à l'Église de revoir sa copie après l'annonce de la nouvelle équipe qui prendra les rênes du grand orgue de la cathédrale Notre-Dame de Paris, dont la réouverture est prévue le 7 décembre.
Après le traumatisme de l'incendie vécu par les quatre anciens organistes, qui ont vu leur contrat de travail s'arrêter brutalement en 2019, beaucoup s'attendaient en effet à la reconduction de l'ancienne équipe. Si Olivier Latry et Vincent Dubois ont bien été rappelés, Johann Vexo, au clavier au moment du sinistre et Philippe Lefebvre, figure historique du grand orgue – en poste depuis 1988 –, ont été écartés.
Le cas de Philippe Lefebvre, 75 ans, sommité mondiale du monde de l'orgue et poussé ici sans ménagement à la retraite, a particulièrement choqué. "Pourquoi ne pas avoir proposé à Philippe Lefebvre de rester à la tribune au moins quelques mois pour participer, aux côtés de ses collègues, aux cérémonies de réouverture de la cathédrale ?" s’interroge la pétition intitulée "Notre-Dame de Paris à nouveau en feu".
Interrogé par le journal Le Parisien, un proche du musicien le dit lui-même "mortifié" et ulcéré". Comble de l'indélicatesse, une faute d'orthographe a été commise à son nom dans le communiqué dévoilant la nouvelle équipe.
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"Un employeur emploie qui il veut et le curé est maître chez lui grâce à la loi de séparation de l'Église et de l'État depuis 1905. Mais en tant qu'organistes, nous nous devions de réagir et faire part de notre étonnement et de notre incompréhension", souligne Michel Bourcier, organiste titulaire de la cathédrale de Nantes.
Une nomination surprise
Mais le cœur de cette polémique est ailleurs. Il réside dans le choix jugé "arbitraire" des nouveaux organistes de Notre-Dame de Paris. Si celui de Thierry Escaich, musicien réputé, ne suscite aucune controverse, celui de Thibaut Fajoles est vivement critiqué.
Cet organiste de 21 ans, encore étudiant au Conservatoire de Paris (CNSMDP), n'a aucun diplôme et accède au Saint des saints en devenant titulaire-adjoint du grand orgue, sans même avoir eu à passer de concours.
Les responsables de Notre-Dame de Paris défendent un "talent prometteur" qui "a largement fait ses preuves" [...] et a eu maintes occasions de démontrer sa parfaite connaissance de la liturgie". Ils rappellent également qu'Olivier Latry avait été nommé en son temps à seulement 23 ans.
Interrogé mardi sur la polémique lors d'une conférence de presse, le recteur de la cathédrale, Monseigneur Olivier Ribadeau Dumas, a assuré que cette nomination était un choix délibéré et "un signe important".
"Je comprends que beaucoup d'autres soient mécontents de ne pas avoir été choisis et que ce choix puisse susciter quelques déceptions", a affirmé le prélat estimant qu'il y a des "combats dignes" mais "des méthodes qui le sont moins".
"À partir du moment où une personnalité s'impose naturellement, il n'y a pas nécessité à faire un concours. Sauf que personne ne connaît Thibaut Fajoles. Il est sûrement excellent et il n'y a ici aucune attaque personnelle contre lui mais on ne nomme pas chef d'état-major des armées un aspirant qui n'est même pas encore lieutenant", résume Michel Bourcier.
"L'âme de la cathédrale"
Avec ses 7 952 tuyaux, l'orgue de Notre-Dame de Paris n'est pas seulement l'un des instruments les plus imposants de France – c'est le deuxième plus grand orgue de France après celui de l’église Saint-Eustache –, il est aussi l'un des plus importants de son histoire.
"Le grand orgue est l'âme de la cathédrale", expliquait en 2019 l’organiste Olivier Latry. Depuis 1198, date à laquelle l’utilisation d’un orgue est attestée dans la cathédrale, la musique d'orgue a toujours accompagné les prières des fidèles à Notre-Dame.
Le grand orgue actuel est le fruit des travaux successifs de plusieurs grands facteurs, en particulier Aristide Cavaillé-Coll qui œuvra sous Viollet-le-Duc et à qui l'on doit la sonorité actuelle de l'instrument.
"Tous les organistes de France sont extrêmement attachés à Notre-Dame de Paris, c'est le cœur même de la liturgie, le cœur même de l'Église et de la musique d'orgue", fait valoir Michel Bourcier. "Il est normal d'avoir de grands musiciens pour porter la culture française et l'art de l'orgue français à travers le monde".
Depuis l'origine, une cinquante d'organistes titulaires s'est succédé à la tribune. Parmi les plus célèbres, Louis-Claude Daquin (1694-1772), Louis Vierne (1900-1937) et Pierre Cochereau (1955-1984).
L'incendie du 15 avril 2019, dont le grand orgue a miraculeusement échappé, n'a fait que renforcer son caractère sacré pour les musiciens de l'Hexagone. Si les flammes n'ont pas consumé l'instrument, ce dernier a souffert des fortes variations thermiques et des dépôts de cendres et de poussières de plomb.
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Démonté en 2020 pour un long nettoyage, le grand orgue a retrouvé son foyer en fin d'année dernière. Depuis, un travail minutieux d'harmonisation et d'accordage a débuté sous la supervision du facteur et maître d'art, Bertrand Cattiaux, avant la reprise des répétitions en novembre.
Le point d'orgue est prévu le 7 décembre lors de la cérémonie de réouverture avec le réveil de l'instrument par l'archevêque de Paris. Un moment d'harmonie qui pourrait toutefois faire siffler les oreilles des organistes de France.