
Espoir fou ou brillant calcul électoral ? Pour l'élection présidentielle de 2024, Donald Trump semble vouloir séduire les électeurs musulmans et arabes américains. C'est pourtant le même Donald Trump qui avait été en 2017 l’instigateur du très controversé "muslim travel ban", le décret présidentiel interdisant l’entrée sur le territoire américain aux ressortissants de plusieurs pays musulmans.
Dans la famille Trump, Donald est même allé chercher le beau-père de sa fille Tiffany – l’homme d’affaires libano-américain Massad Boulos – pour le prier d’aller à la pêche aux votes de cet électorat, a rapporté l’agence Associated Press dimanche 16 juin. Au niveau national, cette tranche de l'électorat ne représente que 3,5 millions de personnes, soit 1 % de la population totale des États-Unis.
C'est peu sur la carte électorale du pays, mais dans certains États-clés, ils représentent un public crucial.
Objectif Michigan
Comme dans le Michigan, l'un de ses "swing states" ("États-clés") où s'est rendu samedi 15 juin Donald Trump pour un déplacement de campagne. C'est là que son opération séduction est la plus forte. Un peu à l’écart des projecteurs médiatiques, les hommes du candidat républicain multiplient les initiatives pour attirer dans le giron trumpiste les Arabo-américains et les musulmans.
Pas étonnant : lors de l’élection présidentielle de 2020, Joe Biden avait remporté cet État d’un cheveu, avec quelque 154 000 votes d'avance. Et la minorité arabo-américaine y est puissante, puisqu'elle compte plus de 310 000 votants. Massad Boulos s'y est déjà rendu à plusieurs reprises pour tenter de soigner ses relations sur place.
Le groupe de soutien Arab American for Trump y a aussi élu domicile. Et c’est dans cet État crucial qu’avec le soutien de Massad Boulos s’est tenue la première réunion, le 21 mai, du PAC Arab Americans for a better America, un comité de soutien politique chargé notamment de lever des fonds.
Le rejet du soutien à Israël
Pour les stratèges républicains, ce serait en réalité un retour au bercail de ces électeurs. "Jusqu’en 2000, ils votaient plutôt conservateurs", souligne Dominique Cadinot, spécialiste des communautés musulmanes et arabo-américaines au Laboratoire d’études et de recherches sur le monde anglophone (LARMA) de l’Université Aix-Marseille.
Ils étaient sensibles au discours de la droite américaine sur les valeurs traditionnelles de la famille et à "l’accent mis sur la libre-entreprise, pour une population qui compte beaucoup d’auto-entrepreneurs", décrypte Dominique Cadinot. Mais le 11 septembre et la guerre lancée par l’administration Bush en Irak, puis en Afghanistan, a entraîné un changement radical d’attitude électorale.
Depuis lors, cette population semble acquise à la cause démocrate. Mais le soutien de Joe Biden à la guerre menée par Israël contre le Hamas à Gaza a brouillé les cartes. Et l’entourage de Donald Trump regarde avec gourmandise l’électorat arabo-américain et musulman prendre ses distances avec son rival. Plus de 70 % de cet électorat affirme que la situation à Gaza représente leur priorité électoral principale, d’après un sondage réalisé par le New York Times mi-mai.
D'ailleurs, le soutien de Joe Biden à la guerre menée par Israël contre le Hamas à Gaza aurait pu "attirer davantage d’électeurs vers les républicains, s’ils avaient présenté un candidat plus mesuré que Donald Trump", estime Dominique Cadinot.
Massad Boulos, le beau-père milliardaire
Massad Boulos, chargé de l’opération séduction envers les Arabo-américains, va-t-il parvenir à faire oublier que Donald Trump affiche lui aussi un soutien sans faille à l'État d'Israël ? L'homme d'affaires d'origine libanaise s'y attèle activement depuis 2022, date à laquelle son fils Michael a épousé Tiffany Trump, la sœur d'Ivanka.
Le principal avantage de Massad Boulos ? L’argent. Il est, en effet, PDG de SCOA Nigeria, un conglomérat basé à Lagos dont l’activité principale est la vente de véhicules. L’homme d’affaires est régulièrement qualifié de milliardaire, mais il n’existe aucune estimation officielle de sa fortune.
L’argent risque cependant de ne pas suffire. "On ne peut pas simplement acheter des voix. Il faut aussi proposer quelque chose de substantiel à la communauté. Et Donald Trump ne l’a pas fait", a affirmé à la chaîne CBS News Osama Siblani, éditeur de l’hebdomadaire Arab American News.
Massad Boulos a aussi des relations qui peuvent poser problème aux États-Unis. L’homme d’affaires, qui a tenté sans succès de se faire élire au Liban lors des législatives de 2009, assure qu’il est un "ami" de Sleiman Frangié, un homme politique chrétien… qui se trouve être le favori pour le poste de président du Liban du mouvement terroriste Hezbollah, très influent dans le jeu politique libanais.
"Parachuté"
"Il apparaît plutôt comme parachuté aux États-Unis [par Donald Trump, NDLR], sans avoir jamais été très actif auparavant dans la communauté musulmane ou des Arabo-américains", résume Dominique Cadinot.
Ce qui ne veut pas dire que Massad Boulos s’est lancé dans une opération perdue d’avance. D’abord parce que le vote musulman aux États-Unis n’est pas monolithique. "Il y a toujours une frange minoritaire des électeurs de cette communauté qui reste sensible aux arguments des républicains. Ce sont essentiellement les musulmans d’origine indo-pakistanaise", explique Dominique Cadinot.
Ensuite, il peut suffire de convaincre cet électorat de ne pas voter Joe Biden… Si Massad Boulos peut "montrer à cette communauté que leur choix est entre la peste et le choléra, cela pourrait faire monter l’abstention", estime Dominique Cadinot. Et dans des États comme le Michigan, où le résultat risque d’être très serré, l’abstention d’électeurs qui votent généralement pour Joe Biden serait une bonne affaire pour Donald Trump.