Sous les "Elon, Elon" du public, le quinquagénaire multimilliardaire a esquissé, jeudi 13 juin, quelques pas de danse maladroits en arborant un sourire des plus réjouis avant de déclarer son amour à tous… les actionnaires de Tesla. Ces derniers venaient de (re)valider le plan de rémunération historique qu’ils avaient déjà accordé en 2018 à Elon Musk.
En tout, Elon Musk pourrait toucher environ 48 milliards de dollars - au cours actuel de l’action Tesla - sur plusieurs années aux termes de cet accord de rémunération, le plus élevé jamais accordé à un PDG d’entreprise.
Elon Musk dance is 🔥. Tesla shareholders have spoken. pic.twitter.com/GiLWOtt8ZI
— Tesla Owners Silicon Valley (@teslaownersSV) June 13, 2024Elon Musk contre le juge
“Attention, il ne peut pas toucher cet argent tout de suite. Il y a encore un obstacle judiciaire à lever”, souligne Alexandre Baradez, analyste financier spécialisé dans les nouvelles technologies pour le courtier en Bourse IG France. L’obstacle en question s’appelle Kathaleen McCormick, juge dans l’État du Delaware, où se trouve le siège de Tesla. En janvier 2024 après une longue bataille judiciaire initiée par des actionnaires minoritaires mécontents du montant alloué à Elon Musk, elle avait invalidé le plan de rémunération de 2018, assurant que le processus de décision était “profondément vicié”. Elle avait notamment pointé du doigt la trop grande proximité entre Elon Musk et plusieurs membres du conseil d’administration, qui n’auraient pas dévoilé tous les détails de la rémunération aux actionnaires.
À cet égard, le feu vert accordé pour la deuxième fois par les actionnaires à la rémunération XXL d’Elon Musk pourrait amener la juge à revenir sur sa décision. “Elle peut considérer que cette fois-ci les actionnaires ont voté en pleine connaissance de cause”, estime le Wall Street Journal.
Si rien n’est encore tranché, Elon Musk semblait, en tout cas, très optimiste. “Il ne s’agit pas d’écrire un nouveau chapitre [de l’histoire de Tesla, NLDR], mais d’entamer ensemble un nouveau livre”, s’est enthousiasmé le patron de la marque de voiture électrique.
Le fantasque multimilliardaire s’était, en effet, adonné à une intense campagne de lobbying. Pour lui c’était 48 milliards de dollars sinon rien. Il semblait prêt à tourner la page de Tesla en cas de vote défavorable et avait présenté ce super-plan de rémunération comme le prix de sa fidélité à Tesla.
L’entrepreneur aux 1001 casquettes - SpaceX, The Boring Company (sa holding), X, et xAI (sa société d’intelligence artificielle) - “menaçait de concentrer ses efforts sur ses autres activités faute d’avoir gain de cause”, explique Hamza Mudassir, cofondateur du cabinet britannique de conseil pour start-up Platypodes et professeur associé de stratégie entrepreneuriale à l'université de Cambridge.
Pour une poignée de milliards de dollars
Mais lui faut-il vraiment près de 50 milliards de dollars pour être convaincu que travailler à développer Tesla en vaut la peine ? “On peut, en effet, se dire que pour l’un des hommes les plus riches au monde, ce ne sont pas quelques milliards de dollars en plus qui vont faire la différence”, reconnaît Hamza Mudassir.
Pour cet expert, cette rémunération d’un montant sans précédent a, cependant, plusieurs raisons d’être. D’abord, c’est un signal envoyé aux marchés. En validant une deuxième fois le même “package”, les actionnaires “rassurent les marchés en indiquant qu’ils sont prêts à tout pour le garder. Et aux yeux des acteurs boursiers, c’est essentiel car à l’heure actuelle il n’y a personne pour prendre sa place”, analyse Hamza Mudassir.
Les actionnaires savent, en outre, qu’ils ont intérêt à faire en sorte qu'Elon Musk soit le plus content possible. Un Elon Musk motivé à la tête de Tesla représente “la meilleure chance de la société d’attirer d’éventuels nouveaux investisseurs”, assure Alexandre Baradez.
Et pour être heureux, Elon Musk veut être le patron incontesté. À cet égard, les 48 milliards de dollars - en grande partie distribués sous forme d’actions - doivent permettre au fondateur de Tesla d’accroître son contrôle sur la société puisqu’il détiendrait dorénavant 20 % des parts du constructeur contre 13 % actuellement. “Il a précisé que son but est d’atteindre 25 % afin d’avoir l’esprit tranquille pour lancer la prochaine phase d’expansion du groupe”, précise le Wall Street Journal.
C’est aussi une “rémunération pour satisfaire l’égo d’Elon Musk”, assure Hamza Mudassir. Ce spécialiste estime que le patron de Tesla juge qu’avec ses voitures électriques “il contribue à sauver le monde et qu’il est le mieux placé pour le faire”. À ce titre, 48 milliards de dollars ne semblent pas déraisonnables aux yeux du super-PDG puisqu’il s’agirait du prix à payer pour la sauvegarde de l’espèce humaine.
“Il est évident que ce plan de rémunération reflète à quel point tout tourne autour d’Elon Musk. On frôle le culte de la personnalité”, résume Alexandre Baradez. “Il y avait un petit porteur qui tremblait visiblement au moment de poser une question à son ‘idole’”, relate le Financial Times, dans un compte rendu de l’assemblée des actionnaires qui a validé le plan de rémunération.
Fans et actionnaires à la fois
Cette personnification à l’extrême du rapport entre les actionnaires et la direction du groupe peut, certes, “donner l’impression que le PDG peut prendre en otage le conseil d’administration pour obtenir ce qu’il veut”, reconnaît Hamza Mudassir. Mais ce n’est pas unique à Tesla. Le géant chinois Alibaba a longtemps été la chose de Jack Ma, jusqu’à sa disgrâce, prononcée en 2020 par le pouvoir chinois. Et Apple était très intimement associé à Steve Jobs, du temps où le fondateur de la marque à la pomme était encore en vie.
Plus récemment, la folle ascension boursière du constructeur de puce informatique et carte graphique Nvidia a également débouché sur un début de culte de la personnalité pour le PDG du groupe, Jensen Huang. Une récente photo montrant une femme demandant - et obtenant - que Jensen Huang signe un autographe sur son soutien-gorge a largement circulé sur les réseaux sociaux.
Autant d’exemples où le culte de la personnalité a profité à l’essor de l’entreprise et à sa trajectoire boursière. Et Tesla y est particulièrement sensible en raison de la composition de son actionnariat : plus de 40 % des détenteurs d'actions sont des petits porteurs, c’est-à-dire des particuliers et non pas des investisseurs institutionnels, comme des banques ou des fonds de pension. Les autres géants de la tech, comme Facebook ou Google ont un actionnariat composé de moins de 20 % de petits porteurs.
Dans le cas de Tesla, ce sont souvent les mêmes fans qui vont “liker” toutes les élucubrations d’Elon Musk sur X, qu’il s’agisse de la promotion d’improbables cryptomonnaies ou de déclarations dignes d’un conspirationniste pro-Trump.
Avoir une telle base de loyaux soutiens parmi les actionnaires “est une bénédiction dans les jeunes années d’une entreprise car ces ‘fans’ suivront les yeux fermés les décisions du dirigeant”, estime Hamza Mudassir. Mais avec le temps, “il faut que le conseil d’administration puisse avoir une plus grande indépendance afin d’exercer un contrôle plus rigoureux des décisions du PDG”, assure-t-il.
Car le risque, selon lui, est que le patron en question “commence à se sentir invulnérable” et prenne des décisions de plus en plus discutables pour le bon développement de l’entreprise. Tesla en est-il déjà là ? La trajectoire boursière du constructeur automobile pourrait le suggérer. “Après 2018, le cours de l’action était passé de 20 dollars à plus de 400 dollars en 2021. Et depuis lors, il a perdu 50 % de sa valeur”, conclut Alexandre Baradez.