
En 2021, seuls 2 % des postulants à la présidentielle iranienne avaient vu leur candidature validée. Selon le décompte établi par les médias officiels lundi 3 juin, dernier jour du dépôt des candidatures, 80 Iraniens ont présenté leur dossier pour concourir à l’élection qui se tiendra le 28 juin – organisée à la suite de la mort du président Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère le 20 mai. Mais nombreux risquent la disqualification avant le lancement de la campagne.
"Ils ne sont que des candidats à la candidature", souligne Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia, à Bruxelles. "Il leur faut maintenant passer la barre du Conseil des gardiens".
Dominé par des conservateurs, cet organe est composé de douze membres – dont six religieux nommés par le Guide suprême – et de six juristes désignés par le pouvoir judiciaire, lui-même nommé par le Guide. Le Conseil des Gardiens est chargé d’examiner les candidatures selon des critères définis par l'article 35 de la loi électorale présidentielle.
"Certains de ces critères sont très concrets, mais d’autres restent beaucoup moins objectifs. Et c'est justement sur ces critères subjectifs que le Conseil des gardiens en général accepte ou rejette les candidatures", explique Jonathan Piron.
Pour être éligible à la présidence, il faut donc être âgé de 40 à 75 ans, titulaire d'au moins un master universitaire, être iranien de père et de mère, mais aussi "loyal à la République islamique", "de bonne réputation" et être "un leader mature", "digne de confiance et pieux". Le Conseil des Gardiens a jusqu’au 11 juin pour présenter la liste des candidatures approuvées.
Lors de l'élection de 2021, cette instance n'avait retenu que sept candidats sur les 592 postulants, invalidant la quasi totalité des personnalités réformistes et modérées. Ce qui avait ouvert la voie à Ebrahim Raïssi, le candidat des camps conservateur et ultraconservateur, facilement élu au premier tour.
Mahmoud Ahmadinejad, une candidature médiatique
À chaque échéance électorale, le dépôt des candidatures est d’abord l’occasion d’attirer l'attention des médias et de s’exprimer publiquement, et certaines candidatures relèvent du loufoque. Parmi les postulants figure cette année le populiste Mahmoud Ahmadinejad qui, à 67 ans, souhaite retrouver le poste de président qu'il a occupé de 2005 à 2013. Déjà recalé plusieurs fois par le Conseil des gardiens, aux élections de 2017 et de 2021, "il sait pertinemment qu'il ne passera pas la rampe, mais il tente quand même, notamment pour avoir une médiatisation", commente Jonathan Piron.
L’ex-président iranien n’est apprécié ni par le Guide suprême, ni par les Gardiens de la révolution, depuis qu’il a qualifié les membre de cette force paramilitaire de "frères contrebandiers" dans une allocution télévisée en juillet 2011, alors qu’il était encore président. "C’est un personnage isolé au sein du régime, interdit de présence dans les médias officiels. Il est perçu de manière très négative puisque, durant son deuxième mandat présidentiel, il a adopté une posture critique à l'égard du régime, avec une vision nationaliste religieuse qui n'était pas du tout celle de la ligne défendue par Ali Khamenei."
Dans la liste des 80 postulants, on retrouve davantage de personnalités conservatrices, voire ultraconservatrices, que de modérées, quelques religieux de second rang, et quatre femmes. Cette année, l'ancienne députée Zohreh Elahian espère obtenir le feu vert après avoir déposé, en tchador, sa candidature.
Cette physicienne de 56 ans défend le port obligatoire du voile pour les femmes et a soutenu la fermeté du gouvernement face aux manifestants durant le vaste mouvement de protestation ayant secoué le pays fin 2022 après la mort de Mahsa Amini. Trois autres ex-députées sont en lice, dont la réformatrice Hamideh Zarabadi, qui s'est présentée lundi en portant un voile coloré.

Depuis l’avènement de la République islamique, aucune femme n'a été autorisée à se présenter, mais le Conseil des gardiens a statué en 2021 qu'aucun obstacle juridique ne s'y opposait. Pour Jonathan Piron, "il serait vraiment très étonnant" de voir une femme entrer dans la course officielle. "Par le passé, il y avait déjà eu des femmes qui se sont présentées pour être candidates aux élections et qui collaient aussi à ce genre de profil. Mais aucune femme n'a jamais été autorisée à concourir et il n'y a aucune raison pour que le système change à l'heure actuelle. Le régime ne va prendre aucun risque après la mort de Raïssi."
Ghalibaf, le favori
Avec la mort d’Ebrahim Raïssi, un temps pressenti comme le favori à la succession du Guide suprême vieillissant, s’ouvre une période sensible pour le pouvoir iranien, qui va devoir rechercher un autre dauphin.
Contrairement à la plupart des pays du monde, en Iran, le président n'est pas le chef de l'État. Le Guide suprême concentre la plupart des pouvoirs. Ce poste est occupé depuis 35 ans par l'ayatollah Ali Khamenei, âgé de 85 ans et nommé à vie par l’Assemblée des experts.
"Le président a non seulement une marge de manœuvre limitée par Ali Khamenei, mais il est aussi contraint par le Parlement, lequel doit valider la nomination de ses ministres et a le pouvoir de les révoquer à tout moment", détaille Jonathan Piron.
Même si le président iranien dispose d’un rôle que l’on pourrait davantage comparer à celui d’un Premier ministre, le régime a tout intérêt à éviter les candidatures de personnalités susceptibles de bousculer la manière dont le système fonctionne. "Tout est fait pour que les ultranationalistes, garants de l'orthodoxie idéologique du régime et du maintien au pouvoir de l'ensemble des piliers du système, notamment le corps des gardiens de la Révolution, disposent d’un boulevard devant eux", analyse Jonathan Piron.
Dans ce contexte, le chercheur estime que le président conservateur du Parlement, Mohammad-Baqer Ghalibaf, aurait des chances, non seulement de voir sa candidature validée, mais aussi d’être élu. Il a été l’un des derniers à se présenter lundi, assurant être en mesure de résoudre "les problèmes" auxquels fait face l'Iran, en citant "la pauvreté", "les inégalités", l'accès à "internet" et les "sanctions" imposées par les États-Unis.
À 62 ans, ce conservateur, ancien maire de Téhéran, a échoué deux fois, à la présidentielle de 2005 puis de 2013. Il a retiré sa candidature à la dernière minute en 2017 pour soutenir Ebrahim Raïssi, vaincu par le modéré Hassan Rohani.
Ancien commandant des Forces aériennes des Gardiens de la révolution, il fait partie du sérail et reste proche de cette entité clé au sein de l’armée idéologique de la République islamique. "Ghalibaf a aussi l’avantage d’être assez peu charismatique, un peu à l’image d’Ebrahim Raïssi, ce qui convenait très bien au système politique en place, parce qu'il ne venait pas bousculer les rapports de force et la manière dont les décisions ont été prises."
Un temps très proche du Guide suprême, Saïd Jalili, l'ancien négociateur ultraconservateur du dossier nucléaire, connu pour son intransigeance, pourrait voir sa candidature validée.
En revanche, un autre vétéran de la République islamique, Ali Larijani, ancien président du Parlement considéré comme modéré, devrait être écarté comme cela a été le cas en 2021.
Se sont également déclarés le maire de Téhéran Alireza Zakani, l'ancien gouverneur de la Banque centrale Abdolnaser Hemmati et Eshaq Jahangiri, ancien premier vice-président de Hassan Rouhani.
À ce jour, cinq des huit présidents iraniens depuis 1979 ont été des religieux, mais aucun dignitaire de haut rang ne figure dans la liste des 80 postulants à la candidature.
Avec AFP