Emmanuel Macron envisage de constituer une coalition de pays disposés à envoyer des troupes en Ukraine pour des missions d'entraînement. Cette question sensible devrait être au menu de la rencontre prévue vendredi à l'Élysée, entre le président français et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky. Si le projet se concrétise, il constituerait un atout non négligeable dans la manche de Kiev autant qu'un message de détermination envoyé à Moscou.
Engagées depuis plusieurs mois, les discussions entre Paris et Kiev sur l’envoi éventuel d’instructeurs militaires français en Ukraine se précisent. La question devrait être une nouvelle fois mise sur la table lors de l'entretien prévu vendredi 7 juin entre Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky au lendemain des célébrations des 80 ans du Débarquement.
Lors de cette séquence hautement symbolique, le chef de l'État français pourrait annoncer son intention de constituer une coalition de pays occidentaux disposés à envoyer des troupes en Ukraine, non pas pour combattre aux côtés des soldats de Kiev, mais pour mener des missions d'entraînement. Le président français Emmanuel Macron a évoqué à plusieurs reprises la possibilité d'envoyer des troupes occidentales pour aider Kiev, suscitant la controverse parmi ses alliés.
Les pays baltes ou encore la Pologne semblent prêts à franchir le pas. En revanche, l'Allemagne est plus réticente craignant des représailles russes. Quant aux États-Unis, ils ne prévoient pas d'envoyer d'instructeurs militaires, a déclaré mardi le porte-parole de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, John Kirby.
"Ils ont besoin de davantage de défenses aériennes et nous y travaillons. Ils ont besoin d'un flux continu d'armes que nous leur fournirons", a fait valoir John Kirby.
La semaine dernière, le commandant en chef de l'armée ukrainienne, Oleksandre Syrsky, a affirmé que la France allait envoyer "prochainement" des instructeurs. Le ministère ukrainien de la Défense avait cependant précisé peu après que l'envoi d'instructeurs était "toujours en discussion" avec la France et d'autres pays.
Le sujet est scruté à la loupe par Moscou qui menace déjà de prendre pour cible les militaires français. "Aucun instructeur s'occupant de la formation des militaires ukrainiens n'a d'immunité", a prévenu le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Un message d'avertissement réitéré mardi par le chef de la diplomatie russe. "Quel que soit leur statut : militaires de l'armée française ou mercenaires, ils représentent une cible tout à fait légitime pour nos forces armées", a martelé Sergueï Lavrov depuis la RD Congo.
Maintenance et formation
Si le projet voulu par Emmanuel Macron se concrétise, il pourrait considérablement simplifier la logistique liée à la formation des troupes ukrainiennes dans des pays tiers. "Former à l'étranger prend du temps. Cela peut donc permettre de réduire l'indisponibilité des cadres et des soldats ukrainiens, et donc entraîner une rotation des personnels bien plus rapide et bien plus efficace", décrypte l'historien militaire et enseignant à Sorbonne-Université, Guillaume Lasconjarias.
Depuis plusieurs mois, l'Ukraine manque d'armes, de munitions mais surtout de soldats pour contenir l'intensification des assauts russes dans le Donbass. Pour renouveler le vivier des combattants usés par une troisième année de guerre, Volodmyr Zelensky a décidé en avril d'élargir la mobilisation, abaissant l'âge de la conscription de 27 à 25 ans.
"L'autre avantage d'une formation sur place consiste à être plus en phase avec les exigences du combat tel qu'il se déroule", poursuit Guillaume Lasconjarias. "Une formation à l'étranger se fait la plupart du temps avec des standards et des éléments de doctrine qui sont moins en prise avec la réalité du combat tel qu'il se pratique. On va donc aussi gagner en efficacité et en précision".
Cadre d'emploi, localisation, objectifs... de nombreuses questions restent encore en suspens. La rencontre entre Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky prévue vendredi pourrait permettre de préciser les priorités de Kiev.
"Il y a d'abord une priorité de formation sur les matériels fournis par les Occidentaux. Ce sont des matériels que l'on connaît bien. On est donc capable de former tout de suite, comme sur les canons Caesar par exemple", explique le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU.
L'utilisation très complexe des missiles à longue portée, comme le Storm Shadow britannique et le Scalp français, pourrait aussi bénéficier de la présence d'instructeurs occidentaux.
"Au-delà de la question de la formation, ces militaires pourraient participer à la maintenance de ces matériels qui avec deux ans de guerre sont usagés. Et autant faire ce travail directement sur le territoire ukrainien", estime le général Trinquand.
"Opérations complexes"
L'envoi d'instructeurs en Ukraine constituerait le franchissement d'un nouveau palier dans l'aide occidentale après l'autorisation donnée à Kiev de frapper, à certaines conditions, le territoire russe avec des armes fournies par Berlin, Paris ou Washington. Mardi, des médias ukrainiens ont affirmé qu’une frappe d’Himars, un lance-roquettes multiple américain, avait touché un système de défense antiaérien russe dans la région de Belgorod. Une première depuis le début du conflit.
La levée de ces nouveaux tabous intervient alors que Kiev est en difficulté sur le front. Ces dernières semaines, la Russie ne cesse de revendiquer des avancées modestes mais constantes dans l'est de l'Ukraine et menace désormais Kharkiv, la deuxième ville du pays.
"Des instructeurs occidentaux peuvent également aider les Ukrainiens à concevoir des opérations complexes conjuguant l'action des forces terrestres et des forces aériennes. Il y a une réelle utilité de cette présence pour préparer de futures contre-offensives", indique Guillaume Lasconjarias.
L'initiative française porte aussi "un message politique et la volonté des Européens de marquer leur opposition aux actions russes", analyse le général Trinquand.
"La France défend ici sa vision d'une Europe capable de prendre son destin en main et de peser sur les questions de défense", abonde Guillaume Lasconjarias. "D'autant plus dans un environnement géopolitique incertain avec la possibilité d'un deuxième mandat de Donald Trump".