Élue présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum sera confrontée à de grands défis lors de son mandat : endiguer le fléau du narcotrafic, lutter contre les violences envers les femmes ou encore répondre à l'urgence climatique.
Un mandat chargé d'enjeux majeurs pour la présidente mexicaine. Claudia Sheinbaum, vainqueure de la présidentielle du 2 juin, succédera à Andrés Manuel Lopez Obrador le 1er octobre, pour un mandat de six ans, jusqu'en 2030.
Les premiers pas de la scientifique de 61 ans s'annoncent ardus, le scrutin ayant été marqué par des violences meurtrières, avec deux personnes tuées dans des attaques contre des bureaux de vote dimanche. Ces assassinats portent à au moins 27 le nombre de candidats assassinés pendant la campagne électorale, un chiffre alarmant qui témoigne du climat de violence qui gangrène le pays. Claudia Sheinbaum devra aussi faire face à des défis économiques et climatiques.
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La sécurité, premier défi à l’agenda
La future présidente hérite d'un Mexique en proie à une violence endémique, avec plus de 450 000 assassinats et 100 000 disparus depuis 2006 et la guerre contre les cartels de drogue lancée par l'ancien président Felipe Calderon, selon les chiffres officiels. Malgré l'échec de son prédécesseur, Andrés Manuel López Obrador, à freiner la violence avec l'approche "abrazos no balazos" ("des câlins, pas des balles", en français), la nouvelle dirigeante promet de continuer sa stratégie de désescalade, mais sans les "accolades" aux cartels.
L'un des autres enjeux majeurs pour la future présidente sera la lutte contre la violence envers les femmes, dans un pays où dix femmes et filles sont tuées chaque jour par un conjoint ou un membre de leur famille, d'après les données du gouvernement. La majorité de ces meurtres de femmes restent classés comme des crimes ordinaires, malgré l'adoption d'une loi pionnière sur le féminicide en 2012. Résolue à lutter contre ce fléau, la nouvelle dirigeante promet de qualifier le féminicide au niveau national, palliant ainsi l'inapplication de la loi par certains États mexicains.
"L'arrivée d'une femme à la présidence est un symbole puissant et un tournant politique majeur", analyse Gema Kloppe-Santamaria, professeure d'histoire latino-américaine à l'Université George Washington sur France 24. "Cependant, on ne peut pas attendre d’elle qu’elle révolutionne tout le pays concernant les violences sexistes et sexuelles [...] Les défis à relever sont immenses et prendront des décennies."
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La gestion d'un lourd déficit budgétaire
Le président sortant laisse à sa successeuse une situation financière délicate, marquée par un déficit public de 5 % du PIB selon le budget révisé pour 2024, le plus élevé depuis des décennies. Claudia Sheinbaum devra s'atteler à la maîtrise des dépenses publiques tout en gérant un casse-tête de taille : le sort de Pemex, la compagnie pétrolière nationale croulant sous le poids de la dette la plus élevée au monde – quelques 93 milliards d'euros fin avril.
Pour relancer l'économie et attirer les investissements, la nouvelle dirigeante mise sur le "nearshoring", une stratégie visant à relocaliser une partie de la production d'entreprises installées en Asie le long de la frontière avec les États-Unis.
Un autre défi majeur sera de renflouer les caisses de l'État pour financer les prestations sociales dont bénéficient actuellement 25 millions de Mexicains, incluant les jeunes, les personnes âgées et les personnes handicapées. Sur le plan monétaire, la nouvelle présidente devra trouver un équilibre entre la stabilité du peso face au dollar – dont se félicite le président sortant – et la nécessité de soutenir les exportateurs mexicains et la croissance économique.
Son programme devrait toutefois rencontrer un écho favorable au Congrès, avec des projections indiquant que son parti Morena et ses alliés sont sur le point de décrocher une majorité dans les deux chambres, après l'élection qui a eu lieu le même jour que la présidentielle.
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Les États-Unis, un partenariat crucial à entretenir
La présidente élue du Mexique devra accorder une attention particulière à la relation complexe avec les États-Unis. Washington exhorte son voisin à intensifier ses efforts pour endiguer le trafic de fentanyl, un opioïde synthétique extrêmement dangereux, responsable de milliers d'overdoses aux États-Unis. En réponse à la violence armée qui sévit au Mexique, le pays a engagé des poursuites judiciaires contre des fabricants d'armes américains, les accusant d'être indirectement responsables de la mort de nombreux citoyens mexicains.
Les deux pays sont également confrontés à un afflux sans précédent d'immigrants clandestins, avec un nombre record de 2,4 millions d'arrestations effectuées par les autorités américaines en 2023. Stephanie Brewer, directrice Mexique du bureau de Washington sur l'Amérique latine (Wola), suggère auprès de l’AFP que la nouvelle présidente "brise ce cycle et mette la protection des personnes au centre (de son action)", en donnant la priorité à la lutte contre la violence et l'extorsion envers les migrants.
L'identité du prochain président américain, qu'il s'agisse du démocrate Joe Biden ou du républicain Donald Trump, influencera grandement la relation bilatérale. Le traité de libre-échange nord-américain (Alena), qui unit le Mexique, les États-Unis et le Canada, doit être renégocié en 2026.
"Le Mexique sera confronté à un défi de taille en matière commerciale : d’une part, il doit aplanir les différends dans sa relation bilatérale avec les États-Unis, et d’autre part, il doit renégocier de manière satisfaisante l’accord commercial trilatéral, afin de maximiser les avantages pour le Mexique et d'éliminer les conflits potentiels qui pourraient découler de sa relation commerciale avec la Chine", a déclaré Alfredo Coutino, directeur pour l'Amérique latine chez Moody's Analytics, à France 24.
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L’urgence climatique, un dossier prioritaire
Scientifique de formation, Claudia Sheinbaum arrive à la tête du pays dans un contexte environnemental critique. Le Mexique est en proie à une sécheresse intense, à des incendies de forêt dévastateurs et à une hausse préoccupante des températures. La sécheresse a entraîné de graves pénuries d'eau, menaçant l'approvisionnement des populations. La disponibilité moyenne d'eau par habitant a diminué de 68 % depuis 1960, d'après une analyse de l'Institut mexicain de la compétitivité.
Forte de son expérience en tant qu'ex-membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), la nouvelle présidente s'est engagée à investir 13,6 milliards de dollars dans les énergies renouvelables d'ici 2030. "Nous allons impulser la transition énergétique", a-t-elle déclaré.
"Elle va se démarquer de Lopez Obrador", a affirmé à l’AFP Pamela Starr, professeure de sciences politiques et spécialiste du Mexique à l'Université de Californie du Sud. "Elle va encourager bien davantage d'investissements dans l'énergie propre".
Parmi les autres défis auxquels la nouvelle présidente devra faire face, figure le train Maya, projet de son prédécesseur. Cette ligne ferroviaire géante, construite dans le sud-est du pays pour stimuler le tourisme et le transport de marchandises, suscite de vives critiques de la part des écologistes pour ses conséquences sur l'environnement. Pour en atténuer l'impact, le gouvernement affirme avoir lancé le plus grand plan de reforestation au monde, avec la plantation d'arbres sur un million d'hectares.