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Kanak, Caldoche, Caillou... Le lexique de la crise en Nouvelle-Calédonie
Alors qu'un fragile retour au calme s'amorce en Nouvelle-Calédonie, le président de la République Emmanuel Macron se rend sur place mardi soir pour y installer une "mission". Après six morts et plus d'une semaine d'émeutes sur l'archipel, la situation sécuritaire "s'améliore", selon les autorités. France 24 revient sur le déclencheur politique – la réforme du corps électoral – de cette séquence inédite en 40 ans, ainsi que sur plusieurs autres mots pour expliquer la situation sur place.
  • Kanak ou Canaque

Les Kanaks forment la principale communauté de l'archipel : ils représentaient 111 856 (soit 41,2 %) des 271 407 habitants du territoire en 2019, selon l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee) de Nouvelle-Calédonie. Ils vivent principalement dans les zones les plus pauvres, au nord de l'archipel.

Colonie française depuis le 24 septembre 1853, sous le règne de Napoléon III, la Nouvelle-Calédonie devient un territoire d'outre-mer (TOM) à partir de 1946.

Le terme pour désigner les Kanaks est issu du mot hawaïen "kanaka" ("être humain"). Il a été "francisé" au XIXe siècle et est devenu "Canaque", utilisé alors de manière péjorative par les colons européens pour désigner les populations autochtones de Mélanésie – un ensemble d’archipels et d’îles du sud-ouest du Pacifique regroupant la Nouvelle-Calédonie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, Vanuatu ainsi que les îles Fidji.

Mais la connotation de ce mot a changé dans les années 1970-1980, quand la population autochtone a repris ce terme à son compte et l’a valorisé pour en faire le marqueur identitaire d’une génération indépendantiste.

C’est à cette même période que le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) est créé, en 1984, après la dissolution du Front indépendantiste. Le principal mouvement indépendantiste rassemble des partis politiques et des groupes militants de gauche engagés pour l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie et s'inscrivant dans l'histoire de la lutte contre la colonisation.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie est actuellement présidé par un indépendantiste, Louis Mapou.

  • Caldoche

Les Caldoches sont l'autre principale communauté du territoire. Ils représentaient 65 488 habitants (soit 24,1 % de la population totale) de l’archipel en 2019, selon l’Isee de Nouvelle-Calédonie. Ils vivent souvent à l'opposé des Kanaks, dans des quartiers plus aisés et résidentiels au sud du territoire, notamment à Nouméa, la capitale.

Le mot est une contraction du nom Calédonie et du suffixe péjoratif "-oche", utilisé par la communauté kanak pour désigner les descendants de colons libres ou bagnards français – qui représentaient l'essentiel du colonat calédonien jusqu'au début du XXe siècle. La communauté européenne vivant sur place a peu recours à ce mot pour se désigner elle-même, préférant souvent se présenter par le terme plus neutre de "Calédoniens".

  • "Métro" ou "Zoreill"

La communauté métropolitaine vivant dans l’archipel est aussi parfois désignée par les termes de "métro" ou "zoreill". Originaire de l’île de la Réunion, cette dernière appellation – qui aurait un lien avec les "oreilles rouges des Européens" – est utilisé de manière péjorative par les Calédoniens autochtones pour désigner les métropolitains résidant en Nouvelle-Calédonie "le temps d’une mutation ou pour un contrat à durée déterminée", selon Libération.

Politiquement, les Caldoches sont le plus souvent loyalistes – aussi appelés non-indépendantistes – et tendent à œuvrer pour que l'archipel demeure sous le giron français. La principale coalition, née en 2020, s'appelle d'ailleurs Les Loyalistes, et est formée de partis classés au centre et à droite. Sa principale figure est la présidente de la province Sud et ex-secrétaire d'État Sonia Backès.

  • Caillou

La Nouvelle-Calédonie est surnommée le Caillou – les indépendantistes emploient aussi le terme "Kanaky", pour la "terre des Kanaks" – en raison de ses ressources en nickel. Ces grandes richesses sont découvertes dans le sous-sol de l’archipel à la fin du XIXe siècle par le géologue stéphanois Jules Garnier, comme l’explique le média Outre-mer La Première.

Ce métal, qui sert à fabriquer de l’acier inoxydable, a aussi une grande importance dans le cadre de la transition énergétique : il sert notamment pour la fabrication des batteries électriques.

Et en Nouvelle-Calédonie, l'industrie du nickel est cruciale sur le plan économique : en plus d’employer près de 25 % des travailleurs calédoniens, ce secteur pèse chaque année pour 90 % des exportations du territoire. Quelque 193 800 tonnes de ce métal ont été produites dans l’archipel en 2023, selon les données de l’Institut d’études géologiques des États-Unis, ce qui fait de l’archipel le quatrième producteur mondial de nickel derrière l’Indonésie, les Philippines et la Russie. Par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie recèle entre 20 % et 30 % des réserves mondiales, selon Le Monde.

Cela fait du Caillou un territoire au centre de toutes les attentions. Mais l’effondrement des prix du nickel – dont le cours a chuté de 46 % depuis début 2023, a expliqué en février dernier le Financial Times – a été l'un des facteurs de mécontentement pour les salariés calédoniens travaillant dans ce secteur.

  • Accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa

Ces deux accords ont marqué des évolutions notables du statut de la Nouvelle-Calédonie ces dernières décennies.

En juin 1988, quelques semaines après la sanglante prise d’otages d’Ouvéa, l’accord de Matignon-Oudinot est signé entre Jean Marie Tjibaou (indépendantiste kanak) et Jacques Lafleur (non-indépendantiste), sous l’égide du Premier ministre Michel Rocard.

Ce texte marque officiellement "la volonté des habitants de la Nouvelle-Calédonie de tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix". Il crée trois provinces – Nord, Sud et Îles Loyauté, qui sont dotées de compétences propres pour partager les responsabilités politiques – et reconnait officiellement le peuple kanak.

Dix ans plus tard, l'accord de Nouméa est signé sous la tutelle du Premier ministre Lionel Jospin, en mai 1998. "Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière", précise notamment le texte en préambule.

Cet accord crée un gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie, en plus des trois provinces existantes. Il engage aussi un processus de décolonisation du Caillou par étapes et repousse de 20 ans les trois référendums d’autodétermination. Ceux-ci ont lieu en 2018, 2020 et 2021.

À la question "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?", les électeurs répondent non à 56,67 % (oui à 43,33 %) en 2018, non à 53,26 % (oui à 46,74 %) en 2020 et non à 96,5 % (oui à 3,5 %) en 2021 – mais les indépendantistes contestent ces résultats, ayant même appelé à boycotter le dernier scrutin.

  • Réforme de 2024

La question de la modification du corps électoral, défendue par Emmanuel Macron dès l’été 2023, a été la mèche qui a mis le feu aux poudres en Nouvelle-Calédonie. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont adopté, début avril, puis début mai, la réforme constitutionnelle controversée de l’exécutif visant à élargir la base électorale de l’archipel, en vue des prochaines élections provinciales, reportées au plus tard au 15 décembre prochain.

Jusqu’à ce vote, et depuis 1998, le corps électoral était partiellement gelé dans le territoire. Seuls les natifs et les résidents de longue date pouvaient prendre part aux scrutins provinciaux et aux référendums, afin de préserver l’équilibre entre la population kanak et les nouveaux venus dans l’archipel au fil des ans.

Cette situation a conduit à ce que 20 % des électeurs – ceux arrivés après 1998 – soient privés de vote en Nouvelle-Calédonie. Avec cette réforme, le gouvernement prévoit d’ouvrir le corps électoral à toutes les personnes domiciliées sur place depuis au moins dix ans.

Si le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est félicité sur X de ce vote, les indépendantistes le désapprouvent, quant à eux, largement. Ils craignent une perte de poids électoral des Kanaks en cas de l’inscription de 25 000 nouveaux électeurs sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie.