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À Cannes, le cri du cœur des Argentins pour protéger leur cinéma face à Javier Milei
De notre envoyé spécial à Cannes – Sept films argentins sont projetés cette année à Cannes, dans un contexte d’inquiétude généralisée quant à l’avenir de ce cinéma parmi les plus prolifiques du continent sud-américain. Depuis son arrivée au pouvoir en décembre dernier, le président Javier Milei a déclaré la guerre à la culture et à l’industrie du septième art, en supprimant toutes les demandes d’aides publiques. Sur la Croisette, cinéastes et producteurs argentins tentent de faire entendre leur voix.

Premier festival de cinéma du monde, rassemblant stars hollywoodiennes et films internationaux jusqu'aux plus confidentiels, Cannes à un rôle de prescripteur dans cette industrie, comme l'a rappelé la trajectoire d'"Anatomie d'une chute" de Justice Triet, qui, après avoir décroché la Palme d'or 2023, s'est envolé à Los Angeles rafler l'Oscar du meilleur scénario.  

La Mecque française du cinéma international est également une plateforme où l'art côtoie le militantisme, qu'il s'agisse du combat contre les violences sexistes, la dénonciation des conflits qui perdurent, ou bien encore la défense du cinéma face à la montée en puissance des géants du numérique. Mais il arrive également que le septième art soit menacé par les autorités, comme c'est le cas notamment en Argentine depuis l'élection de Javier Milei, en novembre 2023.

Dimanche 19 mai, une centaine de professionnels argentins ont organisé une manifestation à Cannes pour la défense du cinéma dans leur pays.  

"Le gouvernement actuel s'est lancé dans une croisade contre la culture, la science et l'éducation. Il semble prendre plaisir à démanteler les industries culturelles" a dénoncé Clara Massot, productrice argentine, fustigeant une politique qui prive le pays "de son identité en attaquant une source vitale d'emploi pour des dizaines de milliers de familles". 

À Cannes, le cinéma argentin se mobilise contre le gel des financements, imposé par le president Javier Milei. pic.twitter.com/3fmMNDlx5L

— david rich (@DavidRichf24) May 20, 2024

Industrie sur pause 

Chantre de la droite radicale - comparé à Trump et Bolsonaro pour son discours "anti-système" agressif – Javier Milei à mis en branle le "choc budgétaire", promis lors de son discours d'investiture, pour sortir le pays de la grave crise économique qu'il traverse depuis plusieurs années. Une politique d'austérité à tous les étages, s'attaquant à l'éducation, supprimant de nombreuses aides sociales et subventions dans la culture et en particulier dans le domaine du cinéma.  

Le nouveau dirigeant avait dans un premier temps annoncé la suppression des subventions attribuées par l'Institut national du film et des arts audiovisuels (INCAA) - l'équivalent du Centre national de la cinématographie (CNC) en France. Il a ensuite reculé face à la vague d'indignation et de manifestations suscitées par ce projet. Avant de revenir à la charge.  

Le 11 mars dernier, le gouvernement a annoncé un plan drastique de réduction des dépenses publiques pour le cinéma : fin du financement des festivals, suppression des déplacements, non-renouvellement des contrats publics arrivant à échéance.

Les aides sont gelées et le secteur plonge dans l'incertitude. Exit les financements du plus grand festival de cinéma du pays, le Festival international du film de Mar del Plata, qui doit désormais se tourner vers des investisseurs privés au risque de disparaître. Idem pour l'École nationale d'expérimentation et de production cinématographiques (Enerc), dont on ne sait à l'heure actuelle si les cours pourront reprendre à la rentrée. Le marché du film et de la télévision Ventana Sur, partenaire de celui de Cannes, pourrait quant à lui migrer en Uruguay. 

"Pour l'instant tout est bloqué, pendant encore au moins deux mois officiellement mais nous ne savons pas ce qu'il va se passer ensuite" s'inquiète le producteur Nicolas Avruj, l'un des organisateurs de la manifestation cannoise. "Nous sommes un punching-ball. Le but n'est pas de nous tuer mais de nous assoiffer". 

Si elle admet volontiers que la crise économique dans son pays est bien réelle, Clara Massot fustige le "faux remède" du gouvernement. "En France, le CNC a été créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en pleine période de crise, alors qu'il n'y avait pas d'argent. Cet antagonisme que l'on nous vend, la culture ou l'économie, est un mensonge" insiste-t-elle.  

À Cannes, le cri du cœur des Argentins pour protéger leur cinéma face à Javier Milei

Combat pour sa survie

Dans ce contexte, l'industrie cinématographique d'Argentine a été contrainte de réduire la voilure cette année au Festival de Cannes. Plus de pavillon ni de stand de l'INCAA au marché du film.  

Pour empêcher que le cinéma argentin ne disparaisse, les professionnels se mobilisent, à l'instar de Clara Massot et de Nicolas Avruj, derrière le slogan "Cine argentino unido" (ciné argentin uni) et tentent de mobiliser l'opinion durant les grands festivals. 

Cannes joue également son rôle. L'Argentine est représentée cette année par sept films, projetés dans le cadre des sections parallèles du festival. À leur manière, plusieurs de ces œuvres abordent des thèmes ancrés dans la vie de ce pays, confronté à une forte récession et à une explosion du coût de la vie, qui ont favorisé l'essor de la droite extrême.  

Présenté dans le cadre de la Semaine de la Critique, "Simon de la montaña", de Frédéric Luis, s'intéresse au regard porté sur les personnes handicapées et aux discriminations dont elles sont victimes. Dans la Quinzaine des Cinéastes, la comédie "Something Old, Something New, Something Borrowed", de Hernan Rosselli, propose une plongée dans l'économie parallèle du pays, à travers l'histoire d'une famille de bookmakers de la banlieue de Buenos Aires. Le court-métrage "Nuestra sombra", d'Augustina Sanchez, aborde l'impact sur la population de la déforestation dans le nord-est de l'Argentine.  

Autre film remarqué cette année, "Most people die on Sundays", l'histoire d'un jeune juif homosexuel, aussi gauche qu'attachant, contraint de rentrer dans Argentine natale pour l'enterrement de son oncle. Il tente de trouver sa place, confronté à la situation précaire de sa mère vieillissante et à celle de son père maintenu en vie dans un coma artificiel.   

À Cannes, le cri du cœur des Argentins pour protéger leur cinéma face à Javier Milei

Inspiré de sa propre histoire, le long métrage de Iair Said, 36 ans, qui joue également le rôle-titre, montre le coût prohibitif des funérailles en Argentine. "Lorsque mon père est mort, nous avons dû payer 10 000 dollars pour l'enterrer dans un cimetière juif", explique-t-il. "Il nous a fallu deux ans et demi pour payer cette somme". 

Le réalisateur se dit lui aussi très inquiet pour l'avenir du cinéma dans son pays. "Avec ces réformes, beaucoup moins de personnes auront l'opportunité de faire des films. Sans fonds publics, le cinéma va devenir un sport de riches" déplore-t-il. "Il y a bien les grandes plateformes, mais les entreprises privées influent parfois sur la direction artistique et notre industrie culturelle ne peut s'appuyer que sur elles, c'est un chemin dangereux" dénonce le jeune cinéaste, qui ne cache pas son fatalisme. 

"Je ne suis pas très optimiste pour le futur de notre cinéma. Mais nous devons essayer de résister, de trouver le moyen de continuer à raconter nos histoires, en espérant que ce que nous traversons n'est qu'une mauvaise période" conclut-il.   

À Cannes, le cri du cœur des Argentins pour protéger leur cinéma face à Javier Milei