Le changement dans la continuité ? La mort du président iranien, Ebrahim Raïssi, dimanche 19 mai, dans un accident d’hélicoptère, ne devrait pas bouleverser la vie politique du pays, le Guide suprême, Ali Khamenei, étant l’homme fort du pouvoir, selon Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia à Bruxelles.
Dans un entretien avec France 24, le chercheur revient sur les marges de manœuvre limitées du président de la République en Iran et dresse le bilan d’une "présidence faible". Les trois années au pouvoir d’Ebrahim Raïssi, ultra-conservateur, ont notamment été marquées par le mouvement des libertés après la mort de Mahsa Amini.
Et alors que l’Iran a décrété, lundi 20 mai, cinq jours de deuil pour lui rendre hommage, Jonathan Piron souligne l’impopularité d’Ebrahim Raïssi.
France 24 : Dans l’immédiat, que change pour l’Iran la mort d’Ebrahim Raïssi ?
Jonathan Piron : Pas grand-chose. Cette disparition est bien sûr un moment fort dans la vie politique iranienne, mais la continuité du pouvoir est assurée, les institutions sont en place et l’article 131 de la Constitution prévoit ce type d’événement avec un intérim et l’organisation d’une nouvelle élection dans un délai maximum de 50 jours. Rappelons que le président de la République en Iran est davantage un exécutant. Le vrai détenteur du pouvoir, c’est le Guide suprême de la révolution iranienne, Ali Khamenei, qui contrôle l’ensemble des leviers et qui a le dernier mot sur les grandes orientations stratégiques. Donc il ne faut pas s’attendre dans l’immédiat à des changements dans la manière dont la politique est menée en Iran, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.
Cela ne signifie pas que le président n’a aucune importance. Il prend de nombreuses décisions au quotidien, notamment au niveau économique, mais il reste contraint par les luttes de pouvoirs qui se jouent en coulisses et par l’omniprésence du Guide suprême. Sa marge de manœuvre est réduite et dépend de ses relations avec le Guide suprême et avec les Gardiens de la révolution. La présidence du prédécesseur de Raïssi, Hassan Rohani, l’a d’ailleurs parfaitement illustrée : en tant que modéré, il s’est souvent retrouvé en difficulté lorsqu’il voulait prendre ses propres orientations. En revanche, avec Ebrahim Raïssi et la présence à ses côtés d’ultra-conservateurs, il y avait une vraie cohésion politique entre la présidence et le Guide suprême.
Quel bilan peut-on faire des trois années au pouvoir d’Ebrahim Raïssi ?
Celle d’une présidence faible et d’une grande impopularité. Ebrahim Raïssi a dû faire face à de grands mouvements de contestation, comme le mouvement des libertés après la mort de Mahsa Amini, qui a atteint une ampleur qui n’avait pas été vue depuis la contestation de l’élection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad en 2009. Par ailleurs, il avait promis de venir en aide aux déshérités, aux précaires. Or, sur le plan social et économique, sa présidence est un échec. Il n'a pas réussi à redresser la barre du pays avec un taux d'inflation qui reste élevé et qui dépasse les 40 % depuis plusieurs mois. Il y a aussi des manifestations presque quotidiennes de certaines catégories de la population qui demandent des augmentations de salaires ou le versement des pensions. Il a enfin symbolisé une fracture de plus en plus grande entre le régime et sa population, apparaissant à de nombreuses reprises comme l’exécutant et le protégé d’Ali Khamenei, notamment dans le choix très verrouillé des candidats autorisés à se présenter aux élections.
Il y a eu des scènes de joie diffusées sur les réseaux sociaux par ses opposants et des scènes de prière diffusées par le régime. Que penser de ces images ?
Les enquêtes de terrain étant interdites en Iran, c'est très difficile de répondre à cette question. Il y a la propagande du régime pour montrer qu’il y a une tristesse populaire, qu’Ebrahim Raïssi était reconnu, qu’il avait une légitimité. Et de l’autre côté il y a ces scènes de joie, des feux d’artifice qui ont été tirés, en particulier à Téhéran, ce qui n’est pas anodin alors que la répression brutale des opposants est toujours bien en place. Il est toutefois difficile d’évaluer leur ampleur, mais ce qui est certain, c’est que son impopularité était importante chez une grande partie de la population. Le faible taux de participation aux dernières élections en est la preuve.
À quoi faut-il s’attendre lors des prochaines semaines en Iran ?
La campagne présidentielle va être très courte. Quel candidat va réussir à émerger alors que le pouvoir a considérablement restreint le cercle politique en Iran autour du noyau dur proche de Khamenei ? Il y avait encore de la place il y a quelques années pour des personnalités modérées, mais elles ont complètement été marginalisées. Tout a été fait ces derniers temps pour faciliter le maintien au pouvoir des ultra-conservateurs. La mort d’Ebrahim Raïssi vient chambouler cet édifice et il va falloir trouver un remplaçant ayant les mêmes caractéristiques et capable de rassurer le noyau dur du régime.