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L’armée russe a réussi ces trois derniers jours à prendre possession de plusieurs localités au nord de Kharkiv. Cette nouvelle offensive semble mener les Russes aux portes de Kharkiv, une ville hautement symbolique pour les Ukrainiens. Mais les experts interrogés par France 24 estiment qu’il est encore trop tôt pour parler de tournant.

Ils ont franchi la frontière russo-ukrainienne et s’approchent de Kharkiv, ville devenue en 2022 symbole de la résistance à l’invasion. Les soldats russes ont fait des “avancées significatives au nord et nord-est de Kharkiv lundi 13 mai”, a résumé l’Institute for the Study of war, un cercle de réflexion militaire américain, connu pour ses notes quotidiennes sur le conflit en Ukraine.

“En trois jours, [l’armée russe] a pris au moins neuf villages et localités le long de la frontière au nord”, ajoute le New York Times dans un récit très sombre de ce qui est présenté comme une percée russe en Ukraine.

Loin du Donbass

“C’est l’avancée la plus significative réalisée par les Russes depuis des mois”, reconnaît Sim Tack, spécialiste militaire spécialisé dans l’analyse des images satellites de conflits. À Kiev, un certain pessimisme règne à l’état major, malgré les affirmations du président Volodymyr Zelensky qui a soutenu, samedi, que “l’Ukraine était prête” à faire face. “La situation devient de plus en plus critique chaque jour” : c’est en ces termes que le chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov, a résumé l'ambiance.

Lundi, les combats faisaient rage essentiellement autour des villages de Vovtchansk et Hlyboke, situés respectivement à plus de 70 km et à une quarantaine de kilomètres au nord de Kharkiv. 

De quoi donner l’impression d’une nouvelle offensive d’envergure loin de l’épicentre du front qui se trouve dans les régions de Donetsk et de Zaporijjia, au sud de l’Ukraine.

La vitesse à laquelle les troupes russes avancent d’une localité à l’autre au nord de Kharkiv tranche aussi avec la configuration beaucoup plus statique du front dans le Donbass, fait de tranchées et de fortifications.

Une incursion russe dans la région de Kharkiv n’était plus attendue par la plupart des analystes qui, il y a encore un mois, misaient davantage sur une percée à l’ouest de Bakhmout pour “ouvrir la voie vers Kramatorsk". 

Moscou aurait-il réussi à prendre Kiev par surprise, ouvrant un nouveau front capable de donner un coup de fouet à l’offensive de printemps russe ? À première vue, les succès militaires russes semblent “poser deux questions : celle de l’efficacité des fortifications dans cette région et celle de la communication militaire ukrainienne pour organiser les défenses”, avance David Lewis, spécialiste de la Russie à l’université d’Exeter. 

“Le remplacement du commandant ukrainien en charge de la région de Kharkiv lundi suggère que les autorités militaires à Kiev ont estimé qu’il était nécessaire de donner un nouveau souffle à la défense de cette zone”, abonde Will Cox, spécialiste du conflit en Ukraine pour Europinion, un centre d’analyse géopolitique européen.

Avancées russes en Ukraine : Kharkiv, si loin, si proche

Zone tampon et feinte

Pour autant, l’ampleur de l’avancée russe reste encore limitée d’après les experts interrogés par France 24. “Pour l’instant, ce sont essentiellement des soldats russes qui ont franchi la frontière et se déplacent dans le ‘no-man’s land’ au nord de Kharkiv”, nuance Sim Tack.

Après la première offensive russe au printemps 2022, les Ukrainiens ont largement évacué la zone frontalière. Vovtchansk, par exemple, est passé d’une population d’environ 17 000 habitants avant la guerre à quelques centaines de résidents restés sur place, rappelle le New York Times. “Les principales fortifications défensives ukrainiennes se situent davantage en profondeur et vers Kharkiv”, souligne Sim Tack. 

L’Ukraine n’a pas, pour autant, laissé un boulevard ouvert à tous les vents et soldats russes jusqu’à Kharkiv, deuxième plus grande ville d’Ukraine. Les combats autour de Vovtchansk prouvent que l’avancée russe va devenir de plus en plus difficile. 

Et surtout, “en l’état actuel, les forces russes engagées dans cette région sont bien trop peu nombreuses pour prendre cette ville”, assure Will Cox. L’armée russe a mobilisé environ 50 000 hommes et blindés à Belgorod pour soutenir l’ouverture du front au nord. C’est moins que les forces envoyées par Moscou à l’assaut de Bakhmout, une ville bien moins importante que Kharkiv, et où la Russie a déjà eu toutes les peines du monde à s'imposer.

Quel intérêt alors à envoyer autant de soldats dans un “no-man’s land” ? Ces forces russes auraient tout aussi bien pu renforcer l’effort de guerre principale dans la région de Donetsk.

“Le but premier semble être de créer une zone tampon autour de Kharkiv”, estime David Lewis. Moscou ne veut plus avoir à s’inquiéter pour Belgorod, ville russe qui se trouve juste de l’autre côté de la frontière. “Le Kremlin a subi d’intenses pressions politiques pour faire cesser les incursions ukrainiennes en territoire russe à cet endroit”, assure ce spécialiste.

Belgorod a, en effet, été l’une des cibles favorites pour des unités spéciales comme la Légion “Liberté de la Russie”, des Russes combattant aux côtés des Ukrainiens qui ont multiplié depuis un an les incursions en Russie.

L’autre objectif “relève plus de la ruse ou de la feinte militaire. Moscou espère que Kiev va redéployer vers Kharkiv certaines unités affectées à la défense du front au sud du pays”, résume Will Cox. Pour lui, “il n’est pas du tout certain dans ce cas là que l’Ukraine puisse défendre deux fronts en même temps”. 

Objectif à long terme

L’armée ukrainienne est de plus en plus à court d’hommes et d’équipement pour faire face aux assauts de la Russie. “Ce n’est pas un hasard si Kiev a adopté la semaine dernière une loi permettant de recruter des prisonniers pour se battre au front”, note Will Cox. “En attendant que la loi sur la mobilisation produise ses effets, et que l’aide américaine arrive, la Russie a une fenêtre de tir de quelques mois pour tenter de profiter au maximum de la situation”, assure David Lewis.

Kiev peut, en outre, difficilement laisser les soldats russes prendre leurs aises dans la région de Kharkiv. Si l’Ukraine laisse faire et que “la Russie sent qu’il y a une opportunité, elle va, à plus long terme, chercher à s’attaquer à Kharkiv”, estime David Lewis.

Cette ville reste une cible de choix pour Moscou. “Elle est symbolique parce que c’est un haut lieu de résistance et que c’est la plus grande ville après Kiev. Mais c’est aussi un objectif stratégique car si la Russie peut prendre cette ville, cela lui permettrait d’établir une ligne de ravitaillement susceptible d’envisager une nouvelle offensive vers l’ouest”, résume Will Cox. Et à l’ouest, il y a Kiev.