Quelque 4,2 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes, lundi 29 avril, au Togo, pour les élections législatives, couplées pour la première fois avec les régionales. Cent-treize sièges de députés et 179 postes de conseillers étaient en jeu, lors de ce scrutin dont les résultats officiels doivent être annoncés sous six jours.
Ces élections, marquées par le retour dans la compétition électorale des principales forces d’opposition - après leur boycott des dernières législatives, en 2018 - interviennent dans un contexte de tensions politiques liées à l’adoption par le Parlement d’une nouvelle constitution controversée, faisant passer le pays d’un régime présidentiel à un régime parlementaire.
Pour la majorité, ce changement majeur vise à mettre fin à l’hyper-présidentialisme qui prévaut au Togo. L’opposition y voit quant à elle une manœuvre pour permettre au chef de l’État, dont c'est le quatrième mandat, de se maintenir au pouvoir ad vitam æternam. Président depuis 2005, Faure Gnassingbé a succédé à son père Gnassingbé Eyadéma, à la mort de ce dernier après 38 ans de règne.
"Notre défi lors de ces élections est d’obtenir la majorité à l’Assemblée nationale pour imposer la cohabitation au président" assène Gérard Adja, secrétaire exécutif du parti d’opposition DMP (Dynamique pour la majorité du peuple). "Nous pourrons alors relancer le débat sur cette nouvelle constitution, adoptée de manière inacceptable et qui aurait, a minima, dû faire l’objet d’un référendum" fustige-t-il.
Participation timide ?
Gérard Adja explique avoir voté tôt, lundi, dans la commune du Golfe 7, au nord-ouest de la capitale Lomé, avant de se rendre dans différents bureaux de vote pour suivre le déroulement des opérations. En milieu de matinée, le bilan était plutôt positif : "Il y a eu un peu de retard à l’ouverture et quelques petits problèmes techniques mais pas d’incident pour l’instant. Il faut maintenant que les gens se mobilisent" souligne le représentant de l'opposition, évoquant une "affluence relativement faible".
Alors qu’un pic de participation est généralement constaté lors du déjeuner, les files d'attente sont restées clairsemées au cours de la journée dans de nombreux bureaux. "Le vote n’est pas obligatoire au Togo, les gens sont donc libres de participer ou non au scrutin" fait valoir de son côté Gilbert Bawara, ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social.
D’autres rejettent la responsabilité sur le gouvernement. "Depuis trente ans toutes les élections ont été remportées par le parti au pouvoir, les électeurs ont perdu confiance dans le processus électoral" déplore l’opposant togolais Nathaniel Olympio. "C’est un vrai problème dans le contexte actuel, car la réforme constitutionnelle donne à cette élection valeur de présidentielle".
Révision constitutionnelle décriée
Initiée par la majorité au pouvoir, la révision de la Constitution prévoit de réduire les prérogatives du président, désormais élu par les députés pour un mandat unique de 6 ans. C’est le chef du parti majoritaire à l’Assemblée qui, en tant que président du Conseil, conduira désormais la politique de la nation. Un nouveau poste qui échappe à la limitation du nombre de mandats, et qui reviendrait à l’actuel chef de l’État, Faure Gnassimbé, en cas de nouvelle victoire de son parti, Unir (Union pour la République), aux législatives.
La majorité, à l’initiative de ce texte, affirme que le régime parlementaire permet un meilleur équilibre des pouvoirs et favorise le dialogue entre les partis politiques. L’opposition dénonce pour sa part une réforme expéditive "illégitime et illégale", car votée par les députés en période d’intérim, leurs mandats ont officiellement pris fin le 7 janvier dernier. Une situation due au report des législatives, par les autorités, initialement prévues en décembre 2023.
Le retour de l’opposition dans le jeu électoral
Malgré ce débat houleux au sein de la classe politique togolaise, la révision constitutionnelle a été adoptée à deux reprises à l’Assemblée nationale, de manière quasi-unanime, le 25 mars puis le 19 avril, avec respectivement 89 et 87 voix en faveur du texte sur les 91 députés que compte la chambre.
"La raison de ces résultats est simple, nous avons une assemblée monocolore car les principaux partis d’opposition ont boycotté les législatives de 2018, pour protester contre les conditions d’organisation du scrutin" rappelle Nathaniel Olympio, porte-parole du mouvement "Touche pas à ma Constitution", qui milite pour l’annulation de la réforme.
Alors que la principale coalition de l'opposition, composée de 14 partis, avait boycotté les dernières législatives, plusieurs de ces formations politiques, comme l’ANC (Alliance nationale pour le changement) de Jean-Pierre Fabre, l’ADDI (Alliance des Démocrates pour le Développement Intégral) de Aimé Gogué ou bien le CAR (Comité d'action pour le renouveau) de Yao Daté, ont depuis changé de stratégie.
"Nous avons compris qu’il ne fallait pas boycotter une élection lorsqu'on ne peut l’empêcher de se tenir", admet Jean Kissi, le secrétaire-général du CAR. "Pour nous, il est essentiel d’être à l’Assemblée, même si nous sommes minoritaires, pour influer sur les décisions du pouvoir".
Candidat dans le Vo, une préfecture du sud-est à une cinquantaine de kilomètres de Lomé, Jean Kissi fait face à la Première ministre Victoire Tomegah Dogbé. Il y fait état de conditions d’organisation catastrophiques. "La journée s’est très mal passée, on nous a rapporté de nombreux cas de fraudes grossières, par bulletins multiples ou bien d’électeurs ayant pu voter sans même présenter leurs cartes" dénonce-t-il.
Du côté du gouvernement, Gilbert Bawara temporise. "Beaucoup de choses circulent sur les réseaux, c’était déjà le cas hier avant même le vote. Si ces fraudes sont documentées, elles peuvent faire l’objet de recours auprès de la Cour constitutionnelle qui valide les résultats des législatives" souligne-t-il. Le ministre, qui affirme ne pas avoir connaissance de tels incidents, salue pour sa part "l’atmosphère de calme et de sérénité qui a prévalu" en cette journée de vote.
Lundi, la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a déployé une équipe d'observateurs électoraux dans le pays. La Conférence des évêques du Togo, qui souhaitait faire de même, a été tenue à l’écart du scrutin, tout comme la presse étrangère, dont les accréditations ont été temporairement suspendues.
Elections législatives et régionales du 29 avril 2024 au Togo : Très ce matin, la Mission d’Observation Electorale de la CEDEAO conduite par S.E Mme Fatoumata JALLOW-TAMBAJANG, Ancienne Vice-Présidente de la Gambie, a visité quelques bureaux de vote dans la ville de Lomé. pic.twitter.com/eLd1GErS91
— Ecowas - Cedeao (@ecowas_cedeao) April 29, 2024