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Boudée par l'UE, la Macédoine du Nord vote sans enthousiasme pour la présidentielle
La Macédoine du Nord se rend aux urnes mercredi pour choisir son prochain président. Dans ce pays pauvre et enclavé des Balkans, candidat depuis près de vingt ans à l'adhésion à l'UE, la lassitude s'installe et l'Europe peine à faire encore rêver. D'autant que Bruxelles, dans le but de réduire les réticences du voisin bulgare, demande une modification de la Constitution qui suscite un vif débat.

Les électeurs de Macédoine du Nord sont appelés à se rendre aux urnes, mercredi 24 avril, pour le premier tour d'une élection présidentielle où la modification de la Constitution - en vue d'un déblocage des négociations d'adhésion à l'UE - a été l'un des thèmes majeurs de la campagne.

Contraint de changer de nom pour régler un conflit identitaire avec la Grèce, le petit pays multi ethnique doit désormais composer avec les exigences de son voisin bulgare. Sofia réclame la reconnaissance d’une minorité bulgare dans la constitution macédonienne mais aussi la modification des manuels scolaires contenant des références à la Bulgarie jugées "négatives".

Le 17 juillet 2022, les deux pays ont signé un protocole bilatéral engageant Skopje à modifier la constitution du pays, ce qui nécessite une majorité des deux tiers des députés macédoniens. 

"Vu le calendrier, le premier tour de l'élection présidentielle sera surtout une répétition générale pour les élections législatives du 8 mai et permettra d'évaluer le poids des principaux partis politiques", explique à l'AFP Ana Petruseva, éditorialiste et directrice du réseau d'investigation BIRN.  

D'un côté, Stevo Pendarovski, président social-démocrate candidat à sa réélection, veut immédiatement changer la Constitution pour faire avancer les négociations avec l'UE. 

"Au cours de mon premier mandat, nous avons réglé une question capitale, celle de l'adhésion à l'Otan", a vanté ce professeur d'université de 61 ans pendant la campagne. "Je crois que lors de mon prochain mandat, nous réussirons à clore tous les chapitres avec l'UE. Ce ne sera pas facile, mais cela signifiera une plus grande prospérité".

Son adversaire principale, Gordana Siljanovska-Davkova, 71 ans, soutenue par le plus grand parti de droite (VRMO-DPMNE), propose de son côté que la modification de la loi suprême ne prenne effet qu'après l'acceptation de la Macédoine du Nord comme membre de l'UE.

"S'il suffisait de changer la Constitution pour entrer dans l'Union européenne, nous y serions déjà", a-t-elle balayé pendant la campagne, promettant de "ne pas oublier les intérêts nationaux".

"Cette réforme constitutionnelle reste très impopulaire en Macédoine du Nord", explique Florent Marciacq, co-directeur de l'Observatoire des Balkans à la Fondation Jean-Jaurès. "Déjà opposé au changement de nom, le VRMO-DPMNE est dans une forme de jeu politique ici : il ne peut pas être complètement contre car cela reviendrait à bloquer la Macédoine du Nord sur son chemin vers l'Union européenne. Mais il pose ses conditions pour montrer qu'il défend une ligne conservatrice et nationaliste", ajoute l'expert.

Un bon élève pas récompensé

Depuis des années, la vie politique macédonienne est engluée dans des discussions sans fin sur l'opportunité ou non d'accepter les conditions imposées par l'UE et ses voisins dans une région où le poids de l'histoire continue d'alimenter les tensions.

En Macédoine du Nord, la majorité des quelque 1,8 million d'habitants sont orthodoxes, et un quart de la population appartient à la minorité albanaise. Mais le pays est aussi connu pour son mélange de nationalités, de cultures et de religions. Outre les Macédoniens et les Albanais, le pays abrite des Roms, des Valaques, des Turcs, des Bosniaques ... qui cohabitent dans une relative tranquillité.

Après avoir évité une guerre interethnique lors de l'éclatement sanglant de la Yougoslavie dans les années 1990, la Macédoine du Nord a toutefois connu des violences lorsque les rebelles albanais ont lancé une insurrection en 2001. Les combats ont été stoppés en août 2001 par les accords d'Ohrid, qui accordent davantage de droits aux Albanais et aux autres minorités.

Malgré un chemin long et difficile, Skpoje a voulu maintenir le cap européen et mener les réformes demandées par Bruxelles. Le pays est même allé jusqu'à changer de nom en 2019 pour satisfaire la Grèce, qui possède une province du même nom et avec laquelle elle se disputait depuis son indépendance l'appellation "Macédoine". Cet accord a permis à Skopje d'adhérer à l'Otan en 2020 mais pour l'UE, c'était sans compter sur un autre voisin : la Bulgarie.

Sofia a mis entre 2020 et 2022 un veto à l'ouverture de négociations d'adhésion en raison d'un différend sur des questions linguistiques et historiques. Une fois ce différend levé, les négociations se sont ouvertes avec l'UE, à la condition que la Macédoine du Nord reconnaisse la minorité bulgare dans la Constitution.

"Le changement de nom a été extrêmement coûteux politiquement à faire accepter. Dans la foulée, il y a eu a une dynamique de réformes et un optimisme très fort en Macédoine du Nord. Mais ces nouveaux obstacles à l'adhésion ont conduit à une forme de dépit et à un retour en arrière sur la liberté de la presse et les libertés civiles", explique Florent Marciacq.

La Macédoine du Nord espère profiter du regain d’intérêt porté à l’intégration des pays des Balkans depuis l'irruption de la guerre en Ukraine, comme par exemple celle de la Moldavie. Pour Bruxelles, l'objectif est de contrer l'influence de Moscou dans la région et limiter les risques d'une déstabilisation sur son flanc est. Mais Skopje, candidat depuis 2005, s'impatiente. L'ouverture de négociations avec Kiev et Chisinau a pu donner l'impression que l'UE avait désormais d'autres priorités tandis que les sentiments pro-européens s'érodent. 

"En 2014, 80 % des Macédoniens soutenaient l'adhésion, ils ne sont plus que 68 % car ils ont l'impression que l'UE ne veut pas d'eux. Il y a clairement une fatigue de ce point de vue là", détaille Florent Marciacq.

"En imposant ce changement de constitution à la Macédoine du Nord, l'UE légalise une forme d'ingérence historiographique de la part d'un voisin [la Bulgarie] sous couvert de son statut d'État membre. Cela conduit à un manque de crédibilité de l'UE dont la Russie se sert pour polariser les sociétés des Balkans", déplore l'expert. 

L'un des pays les plus pauvres d'Europe

Au-delà de cette présidentielle en forme de référendum sur la position à adopter face à l'Union européenne, ce premier tour sera surtout un occasion de soupeser le poids des différents partis avant le 8 mai, date du second tour et des élections législatives.

À coté des deux principaux candidats, cinq autres candidats sont prétendants à la fonction présidentielle, dont Bujar Osmani - ministre des Affaires étrangères et candidat du parti albanais DUI - et Arben Taravari, soutenu par une coalition de trois partis baptisée "Vlen" ("Ça vaut la peine").

Leur soutien au second tour sera crucial, "en particulier (celui) des partis albanais", explique l'éditorialiste Ana Petruseva. 

Le DUI a ainsi posé comme condition à un éventuel soutien au second tour l'exigence d'un changement de Constitution pour que le prochain président soit élu par le Parlement à la majorité des deux tiers ainsi qu'à la majorité des partis représentant les minorités. "Il est temps d'avoir un président albanais" est d'ailleurs leur slogan de campagne. Ni Pendarovski ni Siljanovska-Davkova ne sont pour cette idée, affirmant qu'un suffrage universel direct est plus démocratique. 

Pour la majorité des citoyens, ces questions apparaissent comme secondaires dans ce pays faisant partie des plus pauvres d'Europe avec un salaire moyen de 640 euros. De maigres perspectives économiques qui conduisent chaque année des dizaines de milliers de personnes à tenter leur chance ailleurs. Le pays a perdu 11 % de sa population - la plus grosse chute du continent - entre 2012 et 2022, selon l'agence de statistique européenne Eurostat.

"On peut également citer les affaires de corruption qui se multiplient, une inflation très forte mais aussi des problèmes environnementaux", énumère Florent Marciacq. "Skopje est, par exemple, l'une des capitales les plus polluées en Europe à cause du manque de réglementation dans le secteur de l'énergie et l'utilisation de charbon de mauvaise qualité pour le chauffage individuel".  

Dans ces conditions, les analystes s'attendent à une forte abstention lors des scrutins présidentiel et législatifs. Déjà, en 2019, seuls 41 % des électeurs s'étaient rendus aux urnes pour le premier tour de la présidentielle, soit le taux le plus faible depuis l'indépendance de l'ex-République yougoslave.

Avec AFP