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Pourquoi la Chine a recréé un quartier de Taipei en Mongolie-Intérieure
Des images satellites, que France 24 a pu confirmer, montre que la Chine a construit une réplique du quartier présidentiel de Taipei en Mongolie Intérieure. Une initiative qui suggère que Pékin se prépare à une prochaine invasion ?

Que se trame-t-il aux coordonnées GPS 39.29525, 105.49995, en Mongolie-Intérieure ? Une image satellite, postée mardi 26 mars sur Twitter par un Taïwanais qui se spécialise dans l’analyse des données libres, montre des constructions qui ressemblent à s’y méprendre au quartier gouvernemental de Taipei, la capitale de Taïwan, mais situées dans le nord de la Chine, à plus de 1 200 kilomètres de Pékin.

朱日和的是總統府,但這次內蒙古阿拉善左旗的佈景,準確來說是博愛特區,不過性質似乎不同,阿拉善的比較像炸射靶場。 https://t.co/ESWXMwthKg pic.twitter.com/kymsQJgaRH

— Joseph.W 約瑟 (@JosephWen___) March 26, 2024

"La Chine crée une réplique de Taipei pour s’entraîner à l’invasion", s’est enflammé le site d’information Taiwan News, jeudi 28 mars. Ce n’est en réalité pas toute la ville qui vient d’être reproduite dans le sud-ouest de la Mongolie-Intérieure.

Réplique d'un quartier clé de Taipei

La photo satellite montre une succession de rues disposées de telle sorte que l’ensemble évoque fortement une partie de la zone spéciale de Bo’ai, un quartier très particulier du district de Zhongzheng à Taipei. C’est en effet dans cette partie de la capitale que se trouvent la plupart des bâtiments administratifs, tels que le palais présidentiel, la Cour suprême, le ministère de la Justice ou encore la Banque centrale de Taïwan. La zone spéciale de Bo’ai est soumise à une réglementation spécifique qui inclut, entre autres, une interdiction de survol aérien.

La réalité de cette construction a été confirmée à France 24 par Sim Tack, un analyste de Force Analysis, une société de surveillance des zones de conflit qui a accès à l’imagerie satellite. La Chine a commencé à bâtir cette reproduction du quartier présidentiel de Taipei "à partir de mars 2021 et jusqu’au moins février 2022", précise cet expert.

Pourquoi la Chine a recréé un quartier de Taipei en Mongolie-Intérieure

C’est en outre plus qu’un simple réseau de routes. Les Chinois y ont ajouté des bâtiments ou du moins des façades "qui s’inspirent de ce qu’on peut voir à Taipei sans avoir exactement les mêmes forme et taille", précise Sim Tack.

"Il est inévitable que l’armée chinoise produise ce genre d’imitation. Lorsqu’un pays peut le faire, il le fait", a affirmé Chiu Kuo-cheng, le ministre taïwanais de la Défense, mercredi 27 mars. Il a ajouté que Taïwan pouvait aussi reproduire des infrastructures de n’importe quel pays à des fins d’entraînement militaire.

ll peut sembler étonnant de minimiser ainsi la portée de ces révélations sur des nouvelles constructions en Mongolie-Intérieure alors "qu’on se rend compte ces derniers mois que la Chine multiplie les actes hostiles à Taiwan", note Marc Lanteigne, sinologue à l'université arctique de Norvège. Pékin a ainsi augmenté la pression sur l’île à grand renfort d’incursions d’avions de chasse dans la zone de défense aérienne de Taïwan à l’automne 2023. Et maintenant, l’armée a de quoi s’entraîner à bombarder le quartier présidentiel ou à y lancer une invasion terrestre ?

Comme en 2015

En fait, Taïwan a déjà eu affaire à ce genre de provocations… qui n’ont pas eu de suite. L’armée chinoise n’en est pas à son coup d’essai : "Pour comprendre ce qui se joue actuellement, il faut le comparer avec le précédent de 2015", assure Lewis Eves, spécialiste des questions de sécurité en Chine à l’université de Sheffield.

À l’époque, la Chine avait reproduit le palais présidentiel taïwanais presque à l’identique en Mongolie-Intérieure. "On s’en était rendu compte parce que la vidéo d’une simulation d’assaut sur le bâtiment avait été diffusée par la télévision chinoise et que le site de l’armée avait publié des images d’entraînement dans une reproduction des alentours du palais", note Lewis Eves.

Cet expert n’est pas étonné que l’armée chinoise ressorte de son casque l’idée d’une reconstitution d’une partie de Taipei alors que "le contexte géopolitique dans la région a de grandes similitudes avec celui de 2015". Taïwan vivait alors à l’heure de l’élection présidentielle de 2016, tout comme cette année – le scrutin s'est tenu en janvier. Les tensions entre la Chine et le Japon au sujet du statut d’îles en mer de Chine méridionale étaient très fortes en 2015, c'est également le cas actuellement

Dans les deux cas, "Pékin a jugé nécessaire de faire une démonstration de force à la fois à destination de Taïwan mais aussi à des fins de propagande interne pour stimuler et nourrir le sentiment nationaliste", estime Lewis Eves. En effet, en période de forte tensions internationales, la Chine "cherche à rassembler l’opinion derrière le PCC [Parti communiste chinois, NDLR] en jouant la carte nationaliste", précise ce spécialiste. Et la réaffirmation des revendications à l'encontre de Taïwan à des fins d’"unité nationale" chinoise participe à cet effort.

"Guerre psychologique"

Ce penchant pour les répliques de Taipei a donc une forte composante de propagande. Ou plutôt de "guerre psychologique", estime Ho Ting (Bosco) Hung, spécialiste de la Chine à l’International Team for the Study of Security de Vérone (ITSS Verona). "C’est clairement une manière de dire à Taïwan que si les autorités de l’île refusent les exigences de Pékin, la Chine se prépare à des scénarios militaires", décrypte-t-il.

Mais Pékin ne se donne pas tant de mal simplement pour envoyer un signal à Taïwan et à sa population. Il y aurait des moyens moins coûteux de le faire. Surtout que dans le cas de la reconstruction de la zone spéciale de Bo’ai, ce n’est pas Pékin qui est à l’origine de la révélation.

La Chine avait même fait des efforts pour être plus discrète qu’en 2015. À l’époque, la réplique du palais présidentiel taïwanais avait été bâtie en plein cœur de la base d'entraînement de Zhurihe, présentée par Pékin comme "la plus grande d’Asie". Les photos satellite de ce complexe montrent même que la Chine y a bâti un édifice qui ressemble à s’y méprendre à la tour Eiffel.

Les nouvelles constructions se trouvent à des centaines de kilomètres de là, dans une région "probablement moins observée par des satellites occidentaux que la base de Zhurihe", note Marc Lanteigne.

Il reste possible que "les autorités chinoises attendaient le bon moment pour divulguer leurs nouvelles constructions et ont été prises de court", reconnaît ce spécialiste. Mais le plus probable est que "si ces édifices peuvent servir à des fins de propagande, leur utilité première reste militaire", affirme Ho Ting (Bosco) Hung.

Bombardement aérien ?

"Cela montre que l’armée chinoise commence à s’intéresser concrètement à des simulations d’attaques contre des cibles précises et stratégiques", estime Marc Lanteigne. La nouvelle réplique de Taipei est en effet bien plus détaillée que celle qui avait été réalisée en 2015.

Dans le cas de la zone spéciale de Bo’ai, il y a deux scénarios. Le premier concerne des simulations de bombardements aériens afin de "décapiter les institutions taïwanaises", évoque le site Taiwan News. C’est une opération complexe car "on sait que les défenses antiaériennes taïwanaises sont excellentes", note Ho Ting (Bosco) Hung. Mais, pour ce spécialiste, cela reste une opération à préparer car "une attaque aérienne reste l’option la plus rapide pour essayer d’envahir l’île", estime-t-il.

L’autre scénario concerne la préparation à une opération terrestre. "Pour de simples bombardements, la Chine ne se serait probablement pas donné tant de mal pour recréer ce quartier de Taipei", suppose Marc Lanteigne. Il ajoute que "la guerre urbaine représente ce qu’il y a de plus difficile, donc il est naturel que Pékin cherche à s’y préparer". Et pas forcément uniquement pour une éventuelle attaque contre Taïwan. "Xi Jinping pousse pour réformer et moderniser son armée, et savoir se battre en milieu urbain est un aspect primordial pour lequel il faut s’entraîner. Le fait que l’armée a choisi de recréer le quartier présidentiel de Taipei, c’est peut être parce qu’il s’agit d’un décor probable où l’armée chinoise peut être amené à intervenir", conclut-il. Pas sûr que ce soit de nature à rassurer Taïwan.