Le 20 mars 2024 au Gabon, un incendie s’est déclaré sur une plateforme pétrolière de l’entreprise franco-britannique Perenco. Cinq travailleurs de la plateforme ont trouvé la mort dans l’incendie et deux autres ont été blessés. Pour les salariés, cette tragédie n’est pas due au hasard.
Ce mercredi 20 mars, un incendie se déclenche sur la plateforme pétrolière de Becuna située dans le terminal pétrolier de Tchatamba, à proximité de la ville de Port-Gentil au Gabon. Cinq travailleurs trouvent la mort. Parmi les 12 personnes évacuées, une personne, blessée à la jambe, a été transportée à l’hôpital de Port-Gentil, et une autre a été sévèrement brûlée. Le ministère gabonais de l’Énergie définit cette tragédie comme étant "la plus grave dans l’histoire de l’exploitation pétrolière dans notre pays".
la vraie vidéo de l'incendie sur la plateforme de Perenco où les gabonais ont péri pic.twitter.com/iciyYF6Apv
— Montgomery Marcus Garvey (@Mont_Marcus_G) March 23, 2024Si l’incendie s’est déclaré en milieu d’après midi, Perenco a attendu le lendemain pour publier un communiqué dans lequel l’entreprise annonce la mort des travailleurs. La compagnie pétrolière évoque un "incident survenu hier", tout en précisant que "l'incendie a été éteint et que le site a été sécurisé" et qu’une "personne est toujours portée disparue".
Un grave accident se serait produit sur le site pétrolier Tchatamba au puits BECUNA. On parle 5 disparus, 2 évacués sur POG, 1 en observation sur place, 2 autres sont là-bas (dont probablement un brûlé au 2nd degré). On en saura plus d'ici demain. pic.twitter.com/ySZDSjUvnu
— Un Prince Odzip (@richie_ndomez) March 20, 2024Contactée par la rédaction des Observateurs, l’entreprise n’a pas souhaité communiquer sur les causes de la tragédie. Dans un second communiqué, Perenco affirme qu’une "enquête est en cours" et des "experts indépendants ont été mobilisés" afin de déterminer les circonstances du drame.
Suite à l'explosion qui s'est déroulee hier sur le site d'exploitation PERENCO de TCHATAMBA, voici les victimes qui ont péri. Certainement que vous pouvez connaître l'un d'entre eux. Condoléances aux familles 💔😔🙏🏿#Gabon pic.twitter.com/1UeQlz81tV
— Tchikaya Claude-Gaël (@Chog_Tchikaya) March 22, 2024Selon le média spécialisé Mer et marine, la tragédie se serait produite pendant une opération de "workover". Cette manipulation délicate vise à augmenter la rentabilité et à entretenir le puits de pétrole.
Dans un communiqué, le syndicat du pétrole gabonais – l'Organisation nationale des employés du pétrole (Onep) – évoque la "perte de contrôle sur un puits [...] avec défaillance des barrières principales". Pour le syndicat, ce sont également des "matériels thermiques" – à savoir des moteurs – situés à proximité du puits qui "auraient créé une explosion au contact d’un nuage de gaz".
Plus qu’un incident isolé, les salariés évoquent un "système" qui bafoue les règles de sécurité depuis de nombreuses années :
"Ce qui s’est passé est le résultat de plusieurs années de négligences"
Pour "Jean", un salarié gabonais qui travaille sur les plateformes pétrolières et qui a souhaité rester anonyme, les exigences de sécurité ne sont pas respectées par l’entreprise :
Ce type d’accident est fréquent. C’est un système qui est en place depuis longtemps. Il y a une pression des chefs sur la sécurité. Si Perenco a un système de normes de sécurité, sur le terrain, c’est autre chose. Par exemple, si tu refuses une mission parce que c’est trop risqué, tu n’es pas sûr de pouvoir travailler demain.
Un ancien employé de Perenco, Moustapha Thior, dit que Perenco ne respecte pas les travailleurs gabonais qui sont morts le 20 mars :
Regardez comment ils ont enterré les corps des cinq salariés qui sont morts. Les cadres de Perenco n’ont même pas daigné se déplacer devant leur cercueil. Pour moi, ils ne donnent pas d’importance à la vie des Africains.
80 % des grues qui soulèvent les turbines ne sont pas aux normes [...]. Un jour, une charge d’environ sept tonnes est tombée sur l’un de mes amis : il en est mort. Sa famille n’a pas été indemnisée par Perenco sous prétexte qu’il était intérimaire [...]. J’ai déjà fait ce type d’opération, plusieurs fois la grue a lâché devant moi. J’ai fait remonter ces problèmes à la direction – photos à l’appui – mais ils ont fait semblant de ne pas me croire.
Sur les réseaux sociaux, la sépulture sommaire mise en place pour les cinq travailleurs décédés a soulevé l’indignation. Contactée par la rédaction des Observateurs, Perenco n’a pas souhaité faire de commentaire sur les conditions dans lesquelles ont été enterrés les corps. Cependant, la compagnie pétrolière affirme avoir dépêché des "experts internationaux" afin de procéder à l’identification des corps.
Au total, l’équipe des Observateurs a échangé avec cinq travailleurs ayant été deployés sur les installations de Perenco. Pour tous ces ouvriers, c’est tout un système qui est mis en cause: celui de la sous-traitance. En effet, nombre d’entre eux travaillant sur les plateformes ne sont pas directement employés par Perenco mais sont payés par des prestataires.
"Nous sommes en situation de précarité, donc nous sommes obligés de prendre des risques"
Pour "André", un ancien salarié de Perenco dont le prénom a été modifié, ce système d’intermédiaires entre Perenco et les travailleurs permet à l’entreprise de niveler les normes de sécurité par le bas.
Le droit de retrait n’est pas respecté. Normalement, Perenco nous donne le droit de refuser certaines missions, car elles sont trop risquées. Mais comme nous sommes salariés des prestataires, cela ne s’applique pas pour nous [...]. Si on refuse de travailler, on ne recevra pas de nouveaux contrats de mission. Comme nous sommes en situation de précarité, nous sommes obligés de prendre des risques.
Pourtant, selon Moustapha Thior, le droit de retrait des salariés étrangers et blancs serait beaucoup plus respecté que celui des travailleurs gabonais.
De plus, les conditions de travail sont dénoncées par les salariés depuis longtemps. Le 8 décembre dernier, les travailleurs de la compagnie pétrolière franco-britannique s’étaient mis en grève afin de contester la précarité et "les atteintes aux droits humains de Perenco". Pour le secrétaire général du syndicat Onep, Sylvain Mayabi Binet :
Il y a des menaces et des intimidations permanentes [...] quand il y a une assemblée générale du personnel, la direction vient mettre la pression sur les employés qui se sont réunis. Il y a des pressions permanentes, les gens sont licenciés pour rien. C’est une gestion autoritaire du personnel.
Outre les atteintes au droit du personnel, Perenco a été plusieurs fois pointée du droit pour son non-respect des normes environnementales. La rédaction des Observateurs a demandé à Perenco de réagir aux déclarations des travailleurs. L’entreprise n’a pas souhaité répondre à ces témoignages.
Perenco continue d’investir au Gabon. En févier 2023, l’entreprise annonce investir plus d'un milliard de dollars dans la construction d’une usine de gaz naturel liquéfié au Gabon.