La bonne fortune de Donald Trump tient peut-être en quatre lettres : DWAC. La Digital World Acquisition Corp pourrait devenir l’étonnante planche de salut financière de l’ex-président américain, qui se plaint que personne ne veut lui prêter les 454 millions de dollars qu’il doit payer en amendes avant lundi 24 mars pour solder les dommages et intérêts auxquels il a été condamné dans deux affaires judiciaires. En jeu : un gain potentiel d’environ 3,5 milliards de dollars pour Donald Trump.
La DWAC, un étrange véhicule financier coté en Bourse depuis avril 2021, est sur le point de fusionner avec Truth Social, le réseau social fondé par l’ex-président après son éviction de Twitter en janvier 2021, explique le Wall Street Journal, dans un article publié mardi 20 mars. Une opération qui doit encore être validée cette semaine par les actionnaires de la Digital World Acquisition Corp, qui "sont tous des 'trumpistes' convaincus", souligne le quotidien économique nord-américain.
Conséquence : Donald Trump, qui détient environ 60 % de Truth Social, pourrait se retrouver plus riche de 3,6 milliards de dollars, "peut-être même dès lundi", note le Wall Street Journal.
DWAC est un Spac
Il peut être difficile d’imaginer que Truth Social qui, depuis sa naissance en 2021, n’a fait que perdre de l’argent et peine à attirer des utilisateurs à part les trumpistes les plus acharnés, puisse se transformer en jackpot pour Donald Trump. Ce tour de passe-passe s’explique par quatre autres lettres : Spac.
La DWAC est en effet un Spac. "Les Special purpose acquisition companies sont des sociétés cotées en Bourse qui sont des coquilles vides à la recherche d’entreprises privés [comme des start-up, NDLR] à acquérir", explique James Bowden, spécialiste de la finance à l’université de Strathclyde (Écosse).
À leur grande époque, au début des années 2020, les Spac ont représenté une porte d’entrée sur les marchés financiers très prisée par les entreprises qui ne voulaient pas se soumettre au long processus d’introduction en Bourse traditionnel. En effet, le Spac, déjà coté en Bourse, disparaît au profit de l’entreprise acquise dès lors que le mariage est consommé.
Dans le cas de Truth Social, l’action DWAC serait effacée de la Bourse de New York et remplacée par DJT (les initiales de Donald J. Tump), le sigle boursier choisi par l'ex-président pour désigner la maison mère de Truth Social, baptisé Trump Media & Technology Group.
Autrement dit, pour savoir quel bénéfice Donald Trump peut tirer de son réseau social, "ce n’est pas la valeur de Truth Social qui compte, mais celle de DWAC", souligne James Bowden. Depuis janvier 2024, l’action de ce Spac est passée de 20 dollars le titre à plus de 45 dollars, permettant à Digital World Acquisition Corp de peser environ 6 milliards de dollars en Bourse, ce qui fournirait à Donald Trump les fameux 3,5 milliards de dollars.
Spéculation à but politique ?
Cette montée en flèche soudaine de l’action de DWAC peut surprendre. D’habitude ces véhicules financiers gagnent en valeur quand leur cible d’acquisition est connue. Ici, le projet de fusion avec Truth Social n’est pas nouveau : il avait été dévoilé dès septembre 2021. Ce mariage boursier a, en outre, été marqué par une série de retards et de revers, y compris une enquête pour délits d’initié.
"L’une des raisons possibles de cette envolée boursière est la survenue d’un élément nouveau et positif pour la fusion entre les deux entités à cette période", explique James Bowden. C’est ce qui s’est passé avec le feu vert de la SEC (Security Exchange Commission, le gendarme américain de la Bourse) en février. Des investisseurs qui croient sincèrement dans les perspectives d'un autre réseau social marqué très à droite auraient décidé qu'il était temps de miser sur DWAC.
Un autre scénario a été évoqué par le Wall Street Journal : des hordes de petits porteurs pro-Trump qui investissent dans le Spac afin de gonfler sa valeur pour qu’il rapporte une petite fortune à leur champion le jour du mariage. Ce serait alors une sorte de dot qui n’est pas sans rappeler l’affaire Gamestop de 2021. "À l’époque, des petits porteurs avaient choisi de miser sur cette société, dont la valeur avait grimpé de 19 000 % en un an", rappelle Antoine Andreani, analyste des marchés sénior pour XTB, un courtier boursier.
Mais pour lui, pas la peine d’invoquer une armée de petits porteurs pour expliquer cette hausse vertigineuse. "Il n’y pas de volumes importants de transactions, donc il suffirait de quelques milliardaires en phase avec Donald Trump et son projet de réseau social, qui ont décidé d’investir à ce moment-là pour entraîner cette hausse en quelques jours", précise Antoine Andréani.
De toute façon, autour d’une introduction en Bourse, il y a toujours une période "de lune de miel durant laquelle la spéculation permet à la valeur de l’action de grimper. Mais seules les entreprises les plus solides résistent sur le long terme", note l'analyste.
Six mois à attendre ?
Donald Trump n’a, en théorie, pas besoin du long terme. Il peut vouloir profiter de cette "lune de miel" pour vendre ses actions afin d’obtenir rapidement l’argent dont il a besoin pour solder ses ardoises et financer sa campagne présidentielle contre Joe Biden.
Sauf que… L’accord entre Truth Social et DWAC prévoit que Donald Trump conserve ses actions au moins six mois après la cotation de Truth Social. "C’est une clause classique pour assurer une certaine stabilité autour de l’actionnariat d’une nouvelle société cotée", décrypte James Bowden.
Tout ça pour ça ? Donald Trump va-t-il devoir ronger son frein jusqu’en septembre pour encaisser la mise, soit deux mois seulement avant l’élection présidentielle américaine ? Surtout que d’ici là, "la valeur de l’action Truth Social peut avoir baissé", note Antoine Andréani.
Ce serait en tout cas trop tard pour servir à payer ses amende. Mais, il existe une autre clause dans le contrat de "mariage" dont Donald Trump peut se servir, souligne le Wall Street Journal : il pourrait utiliser ses actions dans Truth Social comme une garantie collatérale pour obtenir un prêt. C’est-à-dire que des financiers lui prêteraient de l’argent et seraient remboursés en actions six mois plus tard, si Donald Trump n’a pas d’autres moyens de payer. Encore faut-il trouver des investisseurs prêts à prendre ce risque.
Il n’empêche que vendre ses parts à la première occasion "n’est pas une très bonne décision d’homme d’affaires", souligne James Bowden. En effet, cela serait interprété par les marchés comme un signe que le principal actionnaire de Truth Social ne croit pas en son réseau social, ou l’utilise uniquement comme vache à lait. "La conséquence serait un effondrement probable de la valeur boursière de Truth Social", estime James Bowden.
"S’il le fait, il sacrifie son électorat. En effet, ceux qui ont investi dans ce réseau social – et qui seraient les premières victimes de l’effondrement du cours de Truth social – sont probablement aussi ceux qui votent pour lui", conclut Antoine Andréani. Donald Trump pourrait donc être amené à choisir entre l’argent et ses supporters.