Les sénateurs français ont voté contre le traité Ceta de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, jeudi 21 mars, mettant en péril la ratification de cet accord décrié et auquel est favorable le gouvernement. Dans un climat extrêmement tendu, ils ont rejeté à 211 voix contre 44 l'article premier du projet de loi relatif à ce traité.
C'est "un coup de tonnerre politique", une "victoire démocratique", a savouré le sénateur communiste Fabien Gay, appelant le gouvernement à poursuivre la navette parlementaire pour ce traité appliqué provisoirement depuis 2017, mais jamais ratifié complètement par la France.
Les sénateurs communistes ont rivalisé d'ingéniosité pour en arriver là : fait rarissime au Parlement, ils ont inscrit dans leur temps parlementaire réservé non pas une de leurs propositions de loi, mais un projet de loi du gouvernement autorisant ce dernier à ratifier ce fameux Comprehensive Economic and Trade Agreement (Ceta) ou Accord économique et commercial global (AECG) en français.
"Je veux dénoncer par avance ce qui serait une manœuvre grossière, une manipulation inacceptable aux lourdes conséquences pour notre pays", avait lancé le ministre délégué au Commerce extérieur Franck Riester en ouverture des débats dans la matinée.
Signé en 2016, adopté en 2017 à l'échelle européenne, le Ceta a été validé de justesse à l'Assemblée nationale en 2019. Mais le gouvernement n'avait jamais saisi le Sénat, une étape pourtant nécessaire dans le processus.
Alliance gauche-droite de circonstance
Les écologistes, les socialistes et une grande partie des sénateurs Les Républicains, premier groupe du Sénat, étaient opposés à ce traité.
Le Ceta, qui supprime notamment les droits de douane sur 98 % des produits échangés entre l'Union européenne et le Canada, est fortement critiqué, notamment par les éleveurs français qui épinglent des importations de viande à des coûts de revient bien inférieurs aux leurs et avec des méthodes moins strictes que celles auxquelles ils sont soumis.
Rejet du #CETA par le Sénat : "Il faut que le gouvernement entende le vote qui va avoir lieu au Sénat. Il faudra respecter le vote démocratique de l'ensemble du Parlement", avertit le sénateur communiste @fabien_gay pic.twitter.com/7PGtp9bjor
— Public Sénat (@publicsenat) March 21, 2024"Nous disons stop à la concurrence déloyale que nous faisons subir aux producteurs européens en imposant des normes toujours plus draconiennes, tout en fermant les yeux sur les produits importés", a tonné le sénateur-agriculteur LR Laurent Duplomb.
Les socialistes insistent de leur côté sur le "renoncement aux ambitions environnementales" incarné par cet accord, selon leur sénateur Didier Marie.
À l'appel de quelques syndicats et associations, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées aux abords du Sénat jeudi matin pour s'opposer au Ceta, en présence de plusieurs parlementaires.
De son côté, le lobbying pro-Ceta a été hyperactif ces derniers jours, ont reconnu plusieurs sénateurs, sollicités par l'ambassade canadienne, des chefs d'entreprise ou des organisations patronales.
Le vote du Sénat "ne peut rester lettre morte"
Si le gouvernement avait compris que la partie était mal embarquée, Franck Riester a tenté de convaincre Les Républicains de "ne pas tomber dans le piège d'une alliance incongrue et contre-nature avec les communistes" et de "mettre la campagne européenne entre parenthèses".
Mais la messe était dite, d'autant qu'une motion pour renvoyer le texte en commission et repousser son examen a été rejetée par plus de 100 voix d'écart.
Le refus sénatorial est loin d'être anodin car il va entraîner un nouvel examen du texte par l'Assemblée nationale, avec là aussi un sérieux risque de rejet.
Le groupe communiste à l'Assemblée a d'ailleurs rapidement annoncé dans la foulée du rejet du Ceta par le Sénat qu'il était prêt à mettre le texte le 30 mai dans sa niche parlementaire, à dix jours des élections européennes. Le vote du Sénat "ne peut rester lettre morte", ont estimé les députés communistes dans un communiqué. "La confirmation par l'Assemblée nationale du rejet du Ceta permettra de mettre fin à son application", ont-ils jugé.
Or, si un Parlement national acte la non-ratification du traité, cela remet en cause son application provisoire à l'échelle de toute l'Europe, à condition néanmoins que le gouvernement français notifie à Bruxelles la décision de son Parlement.
Actuellement, dix États membres n'ont pas terminé le processus de ratification et un seul l'a rejeté : Chypre. Mais Nicosie n'a jamais notifié ce rejet, ce qui permet à l'accord de continuer de s'appliquer.
Avec AFP