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Depuis plusieurs semaines, le risque de famine est évoqué dans la bande de Gaza, sans pour autant qu'elle ne soit décrétée. L'ONU a annoncé lundi que d'ici fin mai, en l'absence de mesures "urgentes", le nord de l'enclave basculerait au niveau le plus élevé d'insécurité alimentaire, tant en termes d'ampleur que de gravité. France 24 revient sur les critères stricts pour déclarer l'état de famine dans un territoire.

"Une situation de faim catastrophique", "au bord de la famine", "menace de famine". Cinq mois après le début de la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza, la population de l'enclave est gravement sous-alimentée. Plus de 1,1 million de personnes sont concernées, soit un habitant sur deux, selon le rapport du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), publié lundi 18 mars. "Le nombre le plus élevé jamais enregistré" par l'ONU. Si la famine se définit comme "le manque presque total de ressources alimentaires dans un pays, une région, aboutissant à la mort ou à la souffrance de la population", l'ONU utilise des critères spécifiques pour déclarer un état de famine.

L'organisation internationale se fonde sur ses agences spécialisées basées à Rome, le Programme alimentaire mondial (PAM) et l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), qui s'appuient sur un organisme technique, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). L'IPC analyse et classifie la sévérité de l'insécurité alimentaire sur une échelle établie en suivant des normes scientifiques internationales.

Qu'est-ce qu'une famine ?

La famine est définie par l'IPC comme "un état de privation alimentaire extrême" où "des niveaux d'inanition, de décès, de dénuement et de malnutrition aiguë critiques sont manifestes ou risquent de le devenir".

Les Nations unies redoutent une famine "imminente" dans le nord de Gaza, difficilement accessible, où vivent actuellement environ 300 000 personnes. 

Dans cette région, les habitants scrutent quotidiennement le ciel dans l'attente d'un parachutage, mais les quantités larguées sont limitées. Dès que les parachutes s'approchent du sol, les habitants se précipitent au milieu des ruines, en espérant récupérer un sac de nourriture.

L'aide par voie terrestre, très insuffisante face aux besoins immenses, entre principalement dans la bande de Gaza depuis l'Égypte via le poste-frontière de Rafah, après avoir été inspectée par Israël.

Mais le volume d'aide arrivant ainsi ne suffit pas à répondre aux besoins de la population, d'où les appels à l'ouverture d'autres voies donnant sur le nord du territoire, et différentes initiatives comme l'envoi de navires chargés de vivres depuis Chypre.

Un couloir humanitaire maritime a été ouvert depuis Chypre, le pays de l'Union européenne le plus proche de la bande de Gaza, pour faire face à l'insuffisance de l'aide rentrant par camion dans le territoire palestinien. L'Open Arms, navire habituellement utilisé pour des missions de sauvetage de migrants en Méditerranée, est arrivé le 15 mars à Gaza après trois jours de navigation. À son bord, 200 tonnes d'aide alimentaire.

Un deuxième bateau, le "Jennifer", a été chargé de 240 tonnes de nourriture. Mais "il n'y a actuellement pas de date ou d'horaire de départ", car "les prévisions météo ne sont pas favorables", a indiqué World Central Kitchen (WCK), associée dans ces opérations aux Émirats arabes unis.

La communauté internationale et les ONG soulignent toutefois que l'envoi d'aide par la mer ou les parachutages d'aide ne peuvent se substituer aux routes terrestres.

Comment mesurer la famine ?

La classification en état de "famine" représente la phase de sévérité la plus élevée de l'échelle IPC d'insécurité alimentaire aiguë, qui en compte cinq : phase 1 ("minimale"), phase 2 ("stress"), phase 3 ("crise"), phase 4 ("urgence"), et enfin phase 5 ("catastrophe/famine").

La phase 5 est atteinte lorsqu'un territoire remplit ces trois critères :

  • Au moins 20 % des foyers sont confrontés à un manque extrême de nourriture.
  • Au moins 30 % des enfants souffrent de malnutrition aiguë.
  • Au moins deux personnes sur 10 000 ou au moins quatre enfants de moins de cinq ans sur 10 000 meurent chaque jour d'inanition ou en raison d'une interaction malnutrition/maladie.

Concernant ce troisième critère, la mortalité "accélère, mais les chiffres disponibles sont limités, comme c'est souvent le cas dans les zones en guerre", selon le PAM. Toutefois, "attendre une confirmation qu'une famine est en cours (...) pour prendre des mesures radicales est indéfendable", estime l'IPC dans son rapport.

Pour Jean-Raphaël Poitou de l'ONG Action contre la faim, présente sur place, les chiffres publiés par l'IPC sont "la dernière sonnette d'alarme pour le monde". "Il faut agir maintenant, nous avons la solution pour sauver les enfants souffrant de malnutrition, mais nous n'avons pas d'accès" à Gaza, a-t-il souligné dans un entretien avec l'AFP.

Les causes de la famine

  • Les catastrophes naturelles : sécheresse, inondations, cyclones, tremblements de terre, insectes nuisibles (criquets, etc.) qui affectent la disponibilité et l'accès aux aliments.
  • Les crises économiques qui entraînent une perturbation du commerce des produits alimentaires, l'augmentation et la volatilité des prix des aliments.
  • Les réponses humanitaires inadéquates face à une catastrophe, quand l'acheminement de l'aide n'est pas suffisant, assez rapide ou bien coordonné.
  • Enfin, les conflits armés, qui entraînent des déplacements de populations et les confrontent à la pénurie alimentaire, comme c'est le cas à Gaza, où selon l'IPC 1,9 million d'habitants sont déplacés.

Qui déclare la famine ? 

Une fois que les critères déterminés par l'IPC sont atteints, il appartient aux parties prenantes concernées au niveau du pays, telles que les autorités gouvernementales et les agences des Nations unies, de déclarer une famine. Les dernières famines déclarées par l'ONU remontent à 2017 au Soudan du Sud et 2011 en Somalie.

La faim, arme de guerre à Gaza ?

Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, désigne clairement Israël comme responsable de la situation alimentaire dans la bande de Gaza, et particulièrement dans le nord du territoire palestinien.

"La situation de faim et de famine est le résultat des restrictions étendues imposées par Israël à l'entrée et à la distribution de l'aide humanitaire et des biens commerciaux, du déplacement de la majeure partie de la population, ainsi que de la destruction d'infrastructures civiles cruciales", souligne Volker Türk dans un communiqué, avant d'ajouter que "le temps presse".

Pour Jeremy Laurence, porte-parole du Haut-Commissariat des droits de l'homme à Genève, il pourrait s'agir d'un "crime de guerre". "L'ampleur des restrictions imposées par Israël à l'entrée de l'aide à Gaza, ainsi que la manière dont il continue de mener les hostilités, peut équivaloir à l'utilisation de la famine comme méthode de guerre, ce qui constitue un crime de guerre".

Dans une déclaration envoyée peu après aux médias, la représentation israélienne auprès des Nations unies à Genève a affirmé au contraire qu'"Israël fait tout ce qui est en son pouvoir pour inonder Gaza d'aide, y compris par voie terrestre, aérienne et maritime".