Les relations entre l'Algérie et le Maroc ne sont toujours pas au beau fixe. Après bientôt trois ans de rupture totale de leurs relations diplomatiques, les deux pays s'opposent de nouveau. L'objet de la dispute concerne cette fois un projet de confiscation par Rabat de biens appartenant à l'ambassade algérienne.
Selon des informations du site Maghreb Intelligence publiées vendredi 15 mars, le gouvernement marocain a décidé "d'exproprier plusieurs biens immobiliers et fonciers appartenant à l'État algérien" dans la capitale marocaine et ce "pour les besoins d'extension des locaux de services relevant du ministère des Affaires étrangères à Rabat". Les autorités n'ont fait aucune annonce officielle à ce sujet et aucune commentaire n'a pu être obtenu par l'AFP auprès de la diplomatie marocaine.
"Violation inqualifiable"
Alger a réagi fermement à ce projet. "L'Algérie condamne cette opération de spoliation caractérisée dans les termes les plus énergiques", a écrit dimanche le ministère algérien des Affaires étrangères dans un communiqué, ajoutant qu'Alger "répondra à ces provocations par tous les moyens qu'il jugera appropriés".
L'Algérie considère qu'"il y a là une violation inqualifiable du respect et du devoir de protection à l'égard des représentations diplomatiques d'États souverains que sanctuarisent tant le droit que la coutume internationale", a poursuivi le ministère. Cet acte s’inscrit "en contravention avec les pratiques internationales civilisées" et "déroge gravement aux obligations de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques qui imposent [au Maroc, NDLR] de respecter et de protéger les ambassades sur son territoire quelles que soient les circonstances."
l'Algérie dénonce l'expropriation de ses biens au Maroc pic.twitter.com/HmmsryH2ch
— Ali Boukhlef (@alakli) March 17, 2024Selon le quotidien marocain Assabah cité par le site Le 360, "un projet de décret portant expropriation de biens détenus par la République algérienne a été publié dans l’édition consacrée aux annonces légales, judiciaires et administratives du Bulletin officiel datée du 13 mars. Dans ce projet de décret, il est clairement spécifié que, pour des raisons d’extension des locaux administratifs du ministère des Affaires étrangères, il a été décidé de lancer la procédure d’expropriation des terrains nécessaires pour la construction de ces nouvelles dépendances."
Interrogé par ce quotidien, le politologue Abderrahim Manar Slimi, président du Centre atlantique des études stratégiques, a expliqué que "la décision d’expropriation est une décision souveraine de l’État marocain, même si les biens fonciers et immobiliers objets de cette décision appartiennent à l’État algérien. La décision sera exécutée dans la transparence et selon ce que prévoit la loi." L'universitaire a également précisé que la procédure d’expropriation ne portait aucunement sur le siège de l’ambassade algérienne, mais sur des propriétés situées autour du siège du ministère des Affaires étrangères, qui "se trouve un peu à l’étroit vu l’importance du royaume en tant que puissance régionale".
D'après le site Afrik.com, cette décision marocaine pourrait être une réponse à l'autorisation récente donnée par l'Algérie à l'ouverture d'un bureau du Parti national rifain (PNR) à Alger. "Ce parti est pourtant qualifié de 'séparatiste' par le Maroc. Et Rabat voyait en cette décision algérienne une ingérence dans ses affaires intérieures", précise ce site sur l'actualité africaine.
Jeu d'influence au Sahel
Pour la politologue Khadija Mohsen-Finan, ce nouvel épisode de tensions a lieu également dans une période particulière. "Il y a une perte d'influence de l'Algérie au Sahel qui profite au Maroc. Le Mali a mis récemment fin à l'accord d'Alger qui avait été signé en 2015", souligne cette spécialiste du Maghreb, enseignante à l'université de la Sorbonne. Fin janvier, la junte au pouvoir au Mali a en effet annoncé la résiliation de l'important accord d'Alger signé avec les groupes indépendantistes du Nord, longtemps considéré comme essentiel pour stabiliser le pays. Une manière de mettre sur la touche l’Algérie, principal médiateur régional de cette question très sensible.
De son côté, Rabat est "allé de l'avant" dans la région, comme le rappelle Khadija Mohsen-Finan : "Il y a eu une réunion le 23 décembre à Marrakech lors de laquelle le Maroc a réuni quatre des pays du Sahel [le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Tchad, NDLR] et leur a proposé un accès à l'Atlantique via Dakhla. Ces quatre pays ont été reconnaissants et ont montré leur proximité avec le royaume." En d'autres termes, en offrant une voie vers l'océan à ces pays enclavés, le Maroc pose ses pions et travaille à réduire l'influence de son rival algérien dans la région.
Ce nouvel épisode s'inscrit dans les "tensions récurrentes entre les deux pays" et "dans le contexte de la rupture de leurs relations", résume Khadija Mohsen-Finan. Alger a en effet rompu ses relations diplomatiques avec Rabat en août 2021, dénonçant une série d'"actes hostiles" de son voisin, concernant en particulier le Sahara occidental et la normalisation avec Israël. Le conflit du Sahara occidental, considéré comme un "territoire non autonome" par l'ONU en l'absence d'un règlement définitif, oppose depuis des décennies le Maroc au Front Polisario, dont l'Algérie est le principal soutien. Rabat, qui contrôle près de 80 % du Sahara occidental, propose un plan d'autonomie sous sa souveraineté, tandis que les indépendantistes du Polisario réclament un référendum d'autodétermination, prévu par l'ONU en 1991 lors de la signature d'un cessez-le-feu, mais jamais concrétisé.
Chaque année, lors de son traditionnel discours marquant l'anniversaire de son accession au trône, Mohammed VI appelle au rapprochement entre les deux pays voisins. En juillet dernier, le roi du Maroc a souhaité un "retour à la normale" avec Alger. Mais pour Khadija Mohsen-Finan, ces relations exécrables ne sont pas près de s'améliorer : "Il n'y a pas de lueur d'espoir. Cela remonte à loin. Cela fait 60 ans", conclut-elle.
Avec AFP