Auditionnée face aux membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat, l’actrice Judith Godrèche a formulé plusieurs propositions pour éviter les violences sexuelles sur les plateaux de tournage en France. Celle qui est devenue le symbole du mouvement #Metoo dans le cinéma français, après avoir récemment accusé deux cinéastes, Benoît Jacquot et Jacques Doillon, de l'avoir agressée sexuellement lorsqu'elle était adolescente, a longuement réfléchi à la question.
Elle a proposé aux sénateurs rencontrés fin février un "système de contrôle plus efficace" qui inclurait un "référent neutre" sur les tournages impliquant des mineurs et un "coach d'intimité" pour les scènes de sexe.
Aux États-Unis et au Royaume-Uni, ces coordinateurs d'intimité sont beaucoup plus répandus. Ils sont 80 à exercer sur le territoire américain. La profession est largement reconnue et réglementée. Mais la France, elle, n’en compte que quatre en activité actuellement.
Si les productions théâtrales faisaient déjà appel à des "chorégraphes de l'intimité", le métier de "coordinateur" a véritablement émergé aux États-Unis à partir de 2017, lorsque le mouvement #MeToo a mis en lumière une série de cas de violences sexuelles dans l'industrie cinématographique d’Hollywood.
Les acteurs se sont alors mis à exiger des garanties professionnelles pour leur bien-être sur les plateaux. Ils ont fait pression pour une meilleure réglementation des scènes intimes.
"Dans une série télévisée de 2017 appelée 'The Deuce', l'une des actrices a estimé qu'elle avait besoin de plus d'aide pour discuter de ses limites et a souhaité avoir plus de soutien lors du tournage de scènes intimes. Pour la deuxième saison, la chaîne de télévision américaine HBO a donc embauché une coordinatrice de l'intimité", explique Paloma Garcia Martens, l'une des rares coaches d'intimité à travailler en France. "Puis le phénomène s'est répandu".
Depuis 2018, HBO exige leur présence sur toutes ses productions comportant des scènes intimes. Une décision qui a contribué à populariser le métier.
Un médiateur entre les acteurs et le réalisateur
Pour les scènes de nudité, de simulation d'actes sexuels, de violence ou d'agression sexuelle, ou toute autre forme de gestes sexuels, des baisers aux caresses, les coordinateurs d'intimité jouent ce rôle de médiateurs entre les acteurs et le réalisateur.
À l'instar des coordinateurs de cascades, ils veillent à ce que les acteurs soient en sécurité tout au long du processus de tournage et à ce que les scènes soient crédibles. Ils agissent en tant que "référents neutres", pour reprendre les termes de Judith Godrèche, et trouvent un terrain d'entente dans une relation qui est souvent marquée par des rapports de force.
"Les réalisateurs ont parfois une façon un peu violente de diriger les acteurs", explique Pedro Labaig, premier assistant réalisateur à Paris. Il explique qu'en raison de la rareté des coordinateurs d'intimité dans les productions cinématographiques françaises, c'est souvent aux assistants réalisateurs qu'il incombe de veiller au bien-être de chacun sur le plateau.
"Il m'est arrivé de devoir intervenir et rassurer les acteurs en leur disant que j'étais là, qu'ils avaient le droit de parler au réalisateur et qu'il n'y avait pas de mal à leur dire qu'ils devaient s’y prendre autrement", explique-t-il. "Mais c'est compliqué. Le réalisateur est ‘l'artiste’ et personne ne veut le brusquer. Mais moi je peux le faire, dans une certaine mesure".
Actuellement, il n'est pas obligatoire d'avoir un coordinateur d'intimité sur les plateaux de tournage français. Les acteurs et les équipes de tournage peuvent s'adresser aux "responsables du harcèlement" en cas d'agression sexuelle. Mais, précise Marine Longuet, assistante réalisatrice et membre du collectif féministe 50/50, qui lutte contre le sexisme dans le cinéma français, cette personne est un membre de l'équipe de tournage qui fait ça en plus de son travail sur le plateau.
Autre limite, les "responsables du harcèlement" sont chargés de l'ensemble de l'équipe, alors que les coordinateurs d’intimité "ont un rôle très spécifique : ils s'occupent de la relation entre les réalisateurs et les acteurs", ajoute-t-elle.
Une zone d’écoute entre le réalisateur et les comédiens
Lorsque les coordinateurs d'intimité reçoivent un scénario, ils commencent par clarifier les détails des scènes intimes avec le réalisateur. "Les scénarios contiennent souvent des phrases vagues comme 'ils font l'amour passionnément'", explique Marine Longuet.
"Les coordinateurs de l'intimité demandent au réalisateur ce qu'il entend par là. L'acteur sera-t-il nu ? Seront-ils sous une couette ? S'embrassent-ils ? Leurs corps sont-ils couverts de sueur ? Ils aident les réalisateurs à être plus précis... Et s'assurent que les acteurs savent exactement ce à quoi ils s'engagent", détaille Marine Longuet.
Ces coaches de l’intimité travaillent également avec les acteurs pour définir les limites avant que les scènes ne soient tournées, en prenant soin de créer un espace sûr et un dialogue ouvert pour s'assurer que le consentement est donné tout au long du tournage.
"La plupart des acteurs avec lesquels j'ai travaillé m'ont raconté des histoires horribles sur des scènes intimes qui se sont mal passées pour eux sur les plateaux de tournage", relate Paloma Garcia Martens. "Très souvent, ils se retrouvent dans des situations où ils doivent improviser ou ils n'ont pas eu le temps de définir leurs limites. Ils n'ont même jamais pensé qu'ils pouvaient poser leurs propres limites. Et ils se retrouvent dans des situations qui, bien que la plupart des gens soient bien intentionnés, leur causent du tort".
Pendant le tournage, les coordinateurs d’intimité restent sur le plateau. Si un acteur change d'avis sur le détail d'une scène ou commence à se sentir mal à l'aise, il peut le signaler au coordinateur. Et si un réalisateur veut changer quelque chose qui a été convenu au préalable, il doit passer par le coordinateur et obtenir l'approbation des acteurs avant de le faire.
"Si, à un moment donné, l'idée du réalisateur ne correspond pas aux limites que s’était fixé un comédien, nous cherchons des solutions", explique Paloma Garcia Martens. "Nous prenons contact avec les différents corps de métiers [pour les informer des limites], y compris les costumes et le maquillage. Et on peut, par exemple, trouver un moyen de cacher certaines parties du corps, ou bien créer des protocoles de plateau fermé en définissant quel personnel essentiel est autorisé à être présent ou pas pendant le tournage de cette scène intime."
Bientôt une formation certifiée en France
En France, à ce jour, il n'existe pas de directives officielles pour encadrer les coordinateurs d'intimité, ni de formation reconnue offrant une certification. Aux États-Unis, la Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA) a publié des lignes directrices en 2020. Et au Royaume-Uni, le Directors UK, une organisation représentant les réalisateurs britanniques, a déjà édité un guide sur le métier en 2019.
Aussi, les personnes souhaitant se former sont redirigées vers la SAG-AFTRA pour suivre des cours agréés en anglais, sur les recommandations de la Commission paritaire nationale de l'emploi et de la formation (CPNEF). Cet organe travaille en ce moment à la création d'une formation certifiée en France pour 2025.
La demande se fait pressante. "Je vois de plus en plus de gens qui se disent coordinateurs d'intimité", s'inquiète Marine Longuet. Elle craint qu'en l'absence d'une formation certifiée, des coordinateurs d'intimité improvisés n'aggravent la situation.
Paloma Garcia Martens, qui est de plus en plus sollicitée en France, a été formée à l’étranger. "J'ai suivi plusieurs cours de formation aux États-Unis et au Canada, et je suis actuellement en train de mettre à jour ma certification auprès de Principal Intimacy Professionals [fondé aux États-Unis par un collectif de coaches en intimité] ", précise-t-elle.
Les réalisateurs français craignent de perdre leur liberté
Marine Longuet explique le manque de coordinateurs d'intimité dans le septième art français par deux raisons. Les réalisateurs ont peur de perdre leur liberté et la France voit son cinéma comme un art sacré plutôt que comme une industrie.
"Les réalisateurs imaginent souvent les coordinateurs d'intimité comme une sorte de police morale", avec le sentiment de se faire "voler" leur film, estime-t-elle. Mais pour cette assistante réalisatrice, il s'agit simplement d'une conception erronée de la fonction. "Quand on voit les coordinateurs d'intimité à l'œuvre, il est clair qu'ils ne dirigent pas les scènes, mais qu'ils les préparent".
L’autre raison du blocage français sur la question des coaches d’intimité est culturelle, selon Marine Longuet. Aux États-Unis, le cinéma a toujours été considéré comme une industrie, qui obéit plus aisément à des protocoles. "En France, nous avons un modèle différent. Depuis la Nouvelle Vague, nous avons privilégié le cinéma d'auteur. L'auteur est le réalisateur, et le réalisateur a toujours le ‘final cut’", résume-t-elle.
Enfin, Outre-Atlantique et au Royaume-Uni, les syndicats d'acteurs sont très puissants. En France, "les acteurs n'ont pas beaucoup de pouvoir et, bien souvent, leurs agents ne les soutiennent même pas parce qu'ils ne pensent qu'au prochain chèque", déplore-t-elle.
Toutefois, prévient Marine Longuet, le choses changent. Sur les tournages, elle ressent une sororité nouvelle, "même si tout semble exploser autour de nous, je vois le changement. Je vois de la gentillesse et de la bonne volonté autour de moi. Il faut s'en réjouir."
Cet article a été adapté de l'anglais. Retrouvez la version originale ici.