À peine 48 heures après avoir été annoncé, le plan pour une transition en Haïti est-il menacé ? Des désaccords sont rapidement apparus au sein des partis politiques censés s'entendre sur la composition d'autorités provisoires après l'annonce de la démission du Premier ministre contesté Ariel Henry.
Un "conseil présidentiel de transition" doit voir le jour pour tenter de rétablir un semblant de stabilité dans ce pays pauvre des Caraïbes miné par les gangs. Mais le chef de l'une de ces bandes armées a jeté un pavé dans la mare en assurant qu'il allait "continuer la lutte pour la libération d'Haïti".
Lundi soir, lors d'une réunion d'urgence en Jamaïque avec la participation de représentants haïtiens, la Communauté des Caraïbes (Caricom), l'ONU et plusieurs pays comme les États-Unis et la France avaient chargé des formations haïtiennes de mettre sur pied ce conseil transitoire. Haïti, qui n'a connu aucune élection depuis 2016, est toujours sans chef d'État.
Le conseil présidentiel doit être formé de sept membres votants représentant les principales forces politiques en Haïti et le secteur privé. Il doit choisir un Premier ministre intérimaire et nommer un gouvernement "inclusif".
Selon les Américains, ce conseil devait être formé "dans les 24 à 48 heures", mais les négociations sont ardues.
Jean Charles Moïse, du parti de gauche Pitit Desalin, a dit mercredi rejeter la proposition de la Caricom sur la formation d'un conseil présidentiel.
Et la plupart des partis contactés par l'AFP ont indiqué être encore en pourparlers.
Si le regroupement EDE/RED/Compromis historique, formation proche du président assassiné Jovenel Moïse, a déjà soumis sa représentante à la Caricom, des membres du collectif du 21 décembre – groupe d'Ariel Henry – sont eux en désaccord sur la personne à choisir.
"Rien de tout cela n'est facile. Rien de tout cela ne va se produire d'un jour à l'autre", a déclaré mercredi le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken. "Mais au moins, il y a un plan, un processus en place pour y parvenir."
La mission des policiers kényans suspendue
Les gangs contrôlent des pans entiers du pays, notamment 80 % de la capitale Port-au-Prince. Leurs violences – meurtres, viols, enlèvements contre rançon, pillages – se sont étendues jusqu'à des zones rurales auparavant considérées comme sûres, avait indiqué l'ONU en novembre.
Le Kenya devait déployer un millier de policiers dans le pays dans le cadre d'une mission internationale soutenue par l'ONU, mais a annoncé suspendre cet envoi au vu de la situation. Son président a toutefois assuré que ce déploiement interviendrait une fois installé un conseil présidentiel.
"Évidemment, la situation politique reste un peu floue", a reconnu le porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Stéphane Dujarric, en exhortant à un accord sur ce conseil "aussi vite que possible".
"Ce que nous demandons, c'est que la communauté internationale accompagne au plus vite la création de cette mission de soutien", a-t-il ajouté. "Je ne pense pas qu'il soit juste de faire reposer l'avenir d'Haïti, la sécurité en Haïti uniquement sur les épaules du Kenya."
Les gangs sont a priori exclus de la transition en préparation. Mais du fait de leur puissance de feu, ils risquent de peser de facto.
Ces dernières années, ils "sont devenus très puissants. Ils ont pénétré profondément dans les communautés. Ils ont recruté beaucoup de jeunes, ils ont exploité le désespoir des jeunes" et "ne veulent pas disparaître", dit Ivan Briscoe, de l'International Crisis Group.
Dans une interview à la radio colombienne W, le chef de gang Jimmy Chérizier alias "Barbecue" a dit que la démission d'Ariel Henry lui "import(ait) peu". "J'ai vu des pays de la Caricom en train de décider pour le peuple haïtien (...). Nous allons continuer la lutte pour la libération d'Haïti", a-t-il lancé.
En attendant à Port-au-Prince, les activités commerciales ont repris mercredi et certains bureaux de l'administration publique ont rouvert leurs portes, selon un correspondant de l'AFP. Les établissements scolaires restent toutefois fermés, tout comme l'aéroport international.
Les États-Unis ont annoncé avoir envoyé une équipe de leurs Marines pour protéger leur ambassade.
L'ONU a de son côté indiqué qu'un "pont aérien" entre Haïti et la République dominicaine voisine allait être mis en place pour permettre "la fluidité de l'aide humanitaire" vers le pays en crise.
Avec AFP